« Singh is king » (« Singh est le roi »), s’enthousiasme la dernière édition de l’hebdomadaire indien The Week. Plus modestement, Manmohan Singh n’est que premier ministre de l’Inde, ou plutôt il l’est redevenu, vendredi 22 mai. Six jours après la victoire aux élections législatives du Parti du Congrès – la matrice de l’Inde indépendante -, M. Singh a été reconduit dans ses fonctions après avoir prêté serment au palais présidentiel, à New Delhi.
Chef de gouvernement de 2004 à 2009, connu à l’étranger par son célèbre turban bleu lavande et sa barbe blanche, ce sikh de 76 ans à la voix fluette est, avec Jawaharlal Nehru, le seul premier ministre indien à avoir vu son mandat renouvelé. Il s’est présenté à la présidente de la République, Pratibha Patil, en présence de l’essentiel de son cabinet – des complications de dernières minutes l’ayant empêché d’afficher sa future équipe au grand complet. La photo de famille est prévue pour la semaine prochaine.
Franc vainqueur d’une consultation qui s’annonçait laborieuse, le Parti du Congrès, qui a recueilli à lui seul près de 38 % des sièges à l’Assemblée (Lok Sabha), n’aura pas de difficultés à rassembler une coalition majoritaire.
Le choix du Parti du Congrès de maintenir M. Singh dans ses fonctions a tenu compte du message adressé par l’électorat indien : le désir de stabilité. Technocrate à la compétence unanimement reconnue, y compris de ses adversaires, la figure du premier ministre rassure.
Economiste diplômé d’Oxford et de Cambridge, il fut gouverneur de la Banque centrale dans les années 1980 avant d’être nommé ministre des finances en 1991 à une époque où l’économie indienne était confrontée à une gravissime crise des paiements. Il sera l’artisan du redressement en imposant un tournant historique : l’amorce d’une déréglementation d’une économie bridée par l’héritage du « socialisme nehruvien ». Après 1996, M. Singh disparaît de la scène, alors que le Parti du Congrès sombre dans la disgrâce électorale.
Mais, en 2004, c’est le coup d’éclat. A rebours de tous les sondages, le vieux parti – appelé en Inde Grand Old Party, à l’instar du Parti républicain américain – l’emporte aux élections législatives face au Bharatiya Janata Party (BJP), la droite nationaliste hindoue qui dirigeait le pays depuis six ans.
Présidente du Parti du Congrès, Sonia Gandhi, veuve de l’ex-premier ministre Rajiv Gandhi – assassiné en 1991 par une terroriste affiliée aux Tigres tamouls du Sri-Lanka – est pressentie pour prendre les commandes de la plus grande démocratie du monde. Mais son origine étrangère – elle est italienne de naissance – suscite une furieuse polémique, y compris au sein du parti.
Sonia Gandhi s’efface donc, et propose le nom de Manmohan Singh, fidèle entre les fidèles, pour diriger le pays. Technicien à l’état pur, dépourvu de tout charisme politique, le premier chef de gouvernement sikh de l’histoire de l’Inde indépendante est chargé d’assurer une « régence » de transition. En attendant que la progéniture de la dynastie Nehru-Gandhi mûrisse et ramène le sceptre à la maison.
Car l’héritier naturel s’appelle Rahul Gandhi, fils de Sonia et de feu Rajiv. A l’âge de 38 ans, lunettes fines et kurta (tunique traditionnelle) blanche flottant au vent des estrades, le jeune Rahul est la révélation de la récente campagne. Il a fait souffler une bourrasque de jouvence sur un parti surpeuplé d’ »éléphants ». Les jeunes l’ont acclamé, mais il n’a pas voulu être l’otage des yuppies de villes.
Bravant les sarcasmes, il a tenu à frayer avec l’Inde misérable jusqu’à s’inviter à dormir dans une famille d’intouchables sous un toit de chaume. Quitte à être héritier, autant l’être jusqu’au bout en perpétuant les idéaux de l’arrière-grand-père Nehru : le souci des pauvres. C’est ainsi que le Parti du Congrès a gagné le scrutin.
Les électeurs lui ont su gré d’avoir mené, en dépit des impératifs de la mondialisation, d’audacieuses politiques sociales dans les campagnes. Manmohan Singh est chargé de poursuivre dans cette voie du juste milieu, mi-libérale mi-sociale, creusant le sillon qui fécondera l’avenir de Rahul.