Cette année, c’est une première, des centres d’examen du baccalauréat ont été le théâtre de graves incidents : tricherie générale suivie de menaces et d’intimidations sur les enseignants et surveillants.
A cela s’ajoute un nombre inestimable d’absents, notamment du côté des candidats libres. Comment les sociologues expliquent-ils ce comportement des candidats ? Ahmed Triki, de l’université de Béchar, a qualifié « d’inacceptables » et « d’inconcevables » de tels agissements. Pour lui, la conduite des candidats ne peut s’expliquer uniquement par la nature des sujets d’examen, motif avancé par les postulants, mais bel et bien par d’autres variantes aussi « complexes » que « profondes ».
Primo, il a mis en avant la défaillance du système d’enseignement. Il cite, entre autres, un programme surchargé, un contenu dépassé, un rythme scolaire insupportable et des salles pléthoriques. Il soutient que la décision du ministère de limiter le seuil du programme de révision n’est pas pour aider les élèves mais, bien au contraire, à les habituer à la facilité. Notre interlocuteur explique qu’il suffit d’élever quelque peu le niveau pour que ces derniers se révoltent à travers des mouvements de protestation qui ont pris forme au milieu de l’année scolaire.
C’est pourquoi, il considère que la limitation du seuil n’est pas forcément la meilleure formule et qu’il faut aller, a priori, vers l’allégement du programme. Un autre détail et non des moindres : le taux de réussite, qui était, depuis des années, de l’ordre de 70%, a permis aux élèves de développer un sentiment de « réussite d’office ». Une mauvaise surprise les fait révolter, de peur de l’échec. Deusio, il soutient que les mouvements de grève à répétition, enclenchés par les enseignants et les différents corps de secteur, ont eu pour effet de perturber davantage la scolarité des élèves, devenus, tout au long de l’année scolaire, anxieux et soucieux de leur avenir.
Tertio, le sociologue met en exergue la dégradation de l’échelle des valeurs. « L’enseignement est mal vu, tout comme le métier de l’enseignant, d’ailleurs mal noté par les élèves qui, par voie de conséquence, ne croient plus aux études comme meilleur moyen pour construire leur avenir », souligne-t-il.
« On ne retient pas les leçons ! »
De son côté, Kamel Bouguessa, enseignant de sociologie à l’université d’Alger, impute la responsabilité aux « responsables chargés de l’organisation des examens » qui, selon lui, ne retiennent pas les leçons des années précédentes. « Ce sont toujours les mêmes problèmes qui ressurgisent à chaque année », dit-il non sans regretter, toutefois, les agissements des candidats. Pour lui, même l’environnement n’a pas aidé les élèves à passer dans les meilleures conditions cet examen « capital » mais aussi et surtout « déterminant ».
Un état de fait qui fait que ces derniers réagissent à la moindre anomalie. Et parmi les anomalies citées par le sociologue, figure le manque flagrant des moyens de transport qui a fait qu’un nombre important de candidats n’ont pu rejoindre les centres d’examen. « La logique aurait été, pour le ministère, a-t-il suggéré, de conclure un accord avec le ministère des Transports pour assurer le transport des candidats et leur éviter une pression supplémentaire », note-t-il. Le problème peut s’expliquer, également, par d’autres facteurs, à l’image des lacunes du système éducatif.
Il avance la surcharge des programmes et un volume horaire insupportable, en plus des perturbations de l’année scolaire par les grèves successives et le manque de moyens pédagogiques. Pour lui, l’accumulation de ces facteurs a fait que les élèves se retrouvent souvent dans un état de tension permanent. « Aussi, que dire de l’examen final auquel ils accordaient une importance capitale », a-t-il souligné. Pour ces raisons et bien d’autres, Kamel Bouguessa a estimé que les élèves ne sont pas entièrement responsables de ce qui s’est passé cette année et que les cadres du secteur doivent entièrement assumer leurs responsabilités.
Comme solution, les sociologues recommandent un débat « responsable » et « serein » sur le système éducatif, avec la participation de tous les acteurs : pédagogues, psychologues, sociologues et partenaires sociaux. « Il est bien temps, afin d’éviter ce genre d’incidents, de procéder à une évaluation franche de la réforme du système éducatif, loin de toute vision idéologique. Les incidents ayant émailé cette année le déroulement du bac sont une preuve on ne peut plus claire de l’échec du système éducatif », estime Ahmed Triki.
A. Hamiche