In Salah à contre-courant de la société?

In Salah à contre-courant de la société?

J’ai déjà eu l’occasion de parler du rapport au monde de la société algérienne. On pourrait parler d’un double rapport ambivalent. Celui d’une intégration au monde par la consommation qui convient, on ne peut mieux, au monde actuel qui souffre d’une offre excédentaire, et celui d’un rapport d’opposition par le passé colonial qui établit le pouvoir algérien et le monde dans un rapport de défiance réciproque. Ce double rapport ambivalent menace la stabilité de l’Algérie et du monde en ce que la propension de la société algérienne sur laquelle surfe le pouvoir algérien risque de se retrouver en porte à faux de son développement.

Cette ambivalence résulte de l’échec de l’industrialisation et de la volonté d’intégration naturelle de la société dans le monde. La disponibilité des ressources n’a pu contenir l’expansion de la consommation et des importations alors que la production industrielle allait régressant. En préférant importer pour réduire le coût des biens salaires et favoriser l’urbanisation et l’industrialisation, on a mis en route le processus qui allait se généraliser. La préférence pour l’importation s’est imposée à l’ensemble des biens. J’ai déjà soutenu ailleurs la raison d’un tel aboutissement: C’est l’ignorance des normes mondiales de production et leur non incorporation par la société qui a conduit l’industrialisation à l’échec.



En effet la volonté sociale d’intégration dans le monde s’est séparée de celle politique qui a du concéder le fait, faute de n’avoir pu transformer la place de la société dans la division internationale du travail. Elle escomptait une réforme politique de l’ordre international plutôt qu’une réforme économique. De ce fait, la défiance politique entre la société et le monde s’est renouvelé.

L’issue à laquelle nous promet un tel rapport ambivalent n’est pas très différent du sort que connaisse un certain nombre de pays de la région. En effet, l’insoutenabilité d’une telle intégration est patente: Le pouvoir d’achat social est suspendu à l’existence de ressources non renouvelables. C’est le rapport de défiance qui est promis à un plus grand développement.

LG Algérie

Aujourd’hui cette propension à la consommation ne se refrène pas, bien que l’horizon des ressources puisse s’assombrir et qu’une dégradation du pouvoir d’achat se soit déjà enclenchée. Depuis la révolution américaine du gaz de schiste et la crise économique mondiale, le marché du gaz algérien semble particulièrement affecté. Pour s’accorder certaines marges de manœuvre, le pouvoir algérien voudrait transformer ce retournement du sort en aubaine. Le pays est en effet candidat à devenir une réserve internationale (1).

Bien que cela laisse inchangé le côté de la demande, promise à une certaine stagnation. Les principaux clients, d’Europe du Sud, étant particulièrement frappés par la crise. Mais ce qui semble compter pour l’heure tient plus à l’hypothèse qu’à l’existence des réserves réelles. L’inquiétude qui pourrait gagner l’opinion publique ne pouvant transformer la donne. La société et le pouvoir algérien sont très mal préparés à un changement de régime en matière de consommation. Et pourtant la responsabilisation de la société doit précéder la faillite si l’on ne veut pas terminer dans des chocs d’appétences, des dislocations régionales et un effondrement de l’État. Il faut rétablir le lien des populations avec leurs ressources pour qu’elles puissent réviser leur rapport au monde.

Pour ce faire, il faudra certainement nous déprendre d’un héritage colonial qui n’arrête pas de peser de tout son poids. La suffisance étatique a vécu, n’était-ce l’intéressement des puissances extérieures à la perpétuation du statu quo en attendant la dislocation. Il reste que le pilotage d’une telle transformation du rapport au monde sera confronté à un double écueil: Les intérêts compradores et la propension à l’importation de la société et de l’économie.

L’opposition plutôt que de se disputer en vue d’une alternance politique hypothétique, devrait se préparer à ne pas tomber dans les ornières que seule la Tunisie a pu jusqu’ici évitée. Il faut préparer la société à adapter son régime de consommation à ses nouvelles ressources, reclasser les intérêts dominants, revoir donc le régime d’accumulation, si l’on ne veut pas assister à certaines dérives régionales, l’unité du régime de consommation ne pouvant être maintenue ainsi que la domination des intérêts compradores. Et la seule démocratie politique ne pourrait suffire à apporter les ajustements nécessaires si les élites et la société n’y sont pas préparées. Les surenchères politiques en vue de la conquête du pouvoir, autant que celles autour du pouvoir d’achat, à force d’être considérées comme légitimes, ne pouvant servir qu’à accélérer la course vers l’abîme.

Le pilotage au cours de cette phase que l’on pourrait appeler de redressement, conjuguera autoritarisme et démocratie s’appuyant sur un solide consensus économique. Le débat économique est donc urgent (2).

Le test d’In Salah est là pour nous demander si nous voulons continuer à avancer dans le mur ou si nous voulons commencer à nous rendre compte et à nous remettre en cause pacifiquement plutôt que d’attendre que cela passe violemment. Dans notre cas la question du gaz de schiste est non seulement une question de réchauffement climatique mais aussi d’environnement juridique, de redressement du régime d’accumulation et non de simple croissance économique.

(1) Gaz de schiste: L’Algérie dispose de 740 TCF de réserves récupérables, selon Sonatrach… L’Algérie se positionne au 4e rang mondial en termes de ressources techniquement récupérables, avec ce taux de récupération de 15%, elle se hisse derrière les États-Unis, la Chine et l’Argentine, selon l’Agence Internationale de l’énergie (EIA).

(2) Comme n’a cessé d’y appeler l’ancien premier ministre Benbitour et plus récemment l’ancien ministre des finances Abdelatif Benachenhou.