Imposante manifestation pour la reconnaissance par l’état français des crimes de la police de Papon : “La vérité est en marche”

Imposante manifestation pour la reconnaissance par l’état français des crimes de la police de Papon : “La vérité est en marche”

On ne le répétera jamais assez. Alors que se dessinait l’espoir de la fin de la lutte de libération et que l’indépendance de l’Algérie devenait inéluctable, un fait exceptionnel autant que tragique se produisit dans l’histoire des mobilisations politiques.

De notre envoyé spécial à Paris : Mohamed Bouraïb

On était dans un contexte de guerre contre le colonialisme français et dans la logique d’une exigence légitime d’affranchissement qui rassemblait tout le peuple algérien, les démocrates et les progressistes.

Le 17 octobre 1961, environ 20.000 Algériens et Algériennes, parqués dans les ghettos et les bidonvilles de Paris, sont sortis pour défiler dans la ville lumière, la nuit tombée et protester contre le couvre-feu mis en place par le préfet de police Maurice Papon, quelques jours auparavant.

La violence était épouvantable. Elle causa la mort de centaines de manifestants pacifiques et désarmés, tués par balles, jetés sans ménagement dans la Seine, pour- chassés dans le métro, incarcérés comme des bêtes dans les bâtiments publics.

A l’horreur d’une répression programmée et préméditée, s’est ajoutée l’ignominie d’un silence coupable. Aujourd’hui encore, cinquante ans après les événements, le crime n’est pas reconnu par l’Etat français et les vérités non révélées.

L’éveil d’une conscience collective même s’ il fut long à prendre forme, à s’affranchir des offensives permanentes et des coups de boutoir assassins, une mobilisation citoyenne orchestrée en Algérie et dans l’Hexagone, auront permis à travers une série de manifestations multiples, d’initiatives et d’actions plurielles, d’agir et d’engager la démarche politique et morale pour faire de ce 50e anniversaire, un fait majeur et une étape cruciale sur le chemin de la restauration de la vérité et de la réhabilitation de l’histoire.

Halte au déni et à l’injustice

Une synergie rassemble les citoyens de toutes obédiences, qui refusent que cette journée soit «portée disparue», frappée d’ostracisme ou noyée sous les flots des calculs politiciens, taillent inlassablement des croupières au silence, à la censure officielle et se battent pour une certaine idée de la démocratie et des valeurs républicaines. Il y a loin de la coupe aux lèvres avec ce cynique et mesquin «bilan» de deux morts que les autorités de l’époque s’échinent à brandir pour se donner bonne conscience et que des politiciens français n’ont pas la décence de toucher afin de ne pas irriter une frange de leur électorat jamais décidé à se remettre en question, ne serait-ce que pour absoudre leur conscience.

Octobre 2011 se caractérise par une avancée notable sur le sentier du recouvrement de la vérité. C’est un repère encourageant qui culmine et qui maintient l’espoir vivace quand il ne le renforce pas.

Cet optimisme de fer qui se nourrit à l’aune des combats démocratiques et des mobilisations contre l’arbitraire des postures incapacitantes, se distingue nettement grâce à une manifestation imposante qui s’est déroulée au soir d’un 17 octobre 2011 pas tout à fait comme les autres et qui aura fourni l’occasion à tous ces manifestants qui ont traversé les boulevards de Paris dans une procession solennelle, de donner la preuve d’un engagement qui ne sera jamais un feu de paille ni un défoulement illusoire.

Il fallait se fondre au milieu de ces rangs compacts constitués de jeunes, de femmes, d’adolescents, d’élus pour en mesurer l’impact, qui va très certainement peser dans le combat pour la restauration de la mémoire occultée.

Il faudra prêter attention aux slogans affichés, jeter un coup d’œil sur les messages transmis, les lire pour s’apercevoir que quelque chose de significatif est en train de prendre forme, de mûrir dans les esprits.

Pour la reconnaissance officielle

A partir du cinéma « Rex» en passant par les boulevards parisiens et en aboutissant au pont Saint- Michel, le cortège des participants à l’appel lancé par les associations rassemblées autour 17 Octobre 1961 : Contre l’oubli, au nom de la Mémoire, la Ligue des droits de l’Homme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, auxquelles se sont jointes les organisations politiques et syndicales de gauche, les gens ont tenu à revivifier le combat et à affirmer un symbole .

Le meeting qui s’était déroulé fut marqué par des prises de parole qui traduisent une volonté de concrétiser une exigence incontournable, la fin de la chape de plomb et insister sur une revendication déterminante qui consiste à exiger de l’Etat français qu’il fasse amende honorable en décrétant une reconnaissance officielle comme crime d’Etat, les massacres des manifestants algériens par la police de Papon. Une revendication claire comme de l’eau de roche.

Cette revendication revenait comme un leitmotiv lancinant et ne cessait de fuser des rangs des participants en cette soirée bien particulière.

Des reproches véhéments se sont exprimés contre l’actuel locataire du Palais de l’Elysée, Nicolas Sarkozy pour ne pas le nommer.

Il s’était empressé de conseiller aux Turcs de revisiter leur histoire mais il s’obstine à ne pas franchir le Rubicon, ici chez lui en France.

Ce sont des mots pleins de colère et de dépit qui sont tombés sur le président français, sa politique du deux poids deux mesures, ses fuites en avant.

Les manifestants ne se sont pas fait prier pour les asséner avec vigueur et sans ambages.

Il y a un tabou à lever, se disent-ils, à l’unisson.

Un mot qui n’arrêtait pas de voler dans l’air. Il s’agit de la honte qui était dans toutes les lèvres, et le «niet Popov» du maire de Neuilly pour empêcher une commémoration organisée par les élus de gauche de six communes de la banlieue parisienne, dans son territoire, n’est pas fait pour atténuer la charge morale et émotionnelle de ce sentiment qui frise la culpabilité.

Les calculs électoraux ont la peau dure et ils hantent les esprits d’une certaine catégorie de politiciens de l’Hexagone, qui n’en démordent plus, n’ayant dans la tête que le désir et la peur de ne pas « provoquer » le courroux d’une frange de la population française qui ne s’était jamais remise de l’indépendance de l’Algérie, qui ne supportent pas sa liberté arrachée au prix du sang.

Une feuille de route en guise d’appel

Dans la prise de parole qui a émaillé le meeting du pont Saint- Michel, l’historien Olivier Le Cour Grandmaison a parlé d’offensive énergique et planifiée mise en place par les tenants du statu quo, autrement dit la majorité qui gouverne actuellement en France qui qualifie le passé colonial de la France de positif. Il a fustigé la tristement fameuse loi de février 2005.

La rupture doit se faire, a-t-il dit, devant une assistance nombreuse, avec la reconnaissance par l’Etat français des crimes du 17 octobre 1961.

Il n’était pas le seul à clamer cela. Les intervenants à la tribune abondaient dans son sillage.

La lecture de l’appel signé par les associations et autres initiateurs de la manifestation est un signe qui ne trompe pas. C’est une espèce de feuille de route dont la teneur mérite d’être citée.

Comme il fallait s’y attendre, cet appel revendique :

– La reconnaissance officielle par l’Etat français comme crime, les massacres commis par la police parisienne un certain 17 octobre 1961.

– La suspension de la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, créée par la loi de février 2005, vantant les aspects positifs de la colonisation et dotée d’un budget pour entretenir une mémoire dévoyée.

– Une liberté effective d’accès aux archives pour tous les historiens et les citoyens.

– L’encouragement de la recherche historique sur ces questions dans un cadre fran- co-algérien indépendant.

La vérité est en marche, a souligné un orateur, la volonté de la faire triompher existe, même si le chemin reste long.

Un fait est à retenir. La célébration du 50e anniversaire des massacres du 17octobre 1961, de par son caractère rassembleur, la légitimité de ses revendications, la richesse des débats et des manifestations culturelles tous azimuts, est appelée à se renforcer car le contexte est favorable.

M. Bouraïb