Immigration : l’Algérie dans la mire de Sarkozy

Immigration : l’Algérie dans la mire de Sarkozy

Le président-candidat souhaite réviser l’accord d’immigration qui unit les deux pays depuis 1968. Objectif : limiter les entrées de ces ressortissants en France. Mais Alger n’entend pas se laisser faire.

Nouvelle offensive contre les droits des immigrés. Vendredi dernier, Nicolas Sarkozy a assuré que, s’il était réélu, il engagerait avec l’Algérie la renégociation du pacte liant les deux pays en matière d’immigration. Rebelote cette semaine dans une interview à l’Express: «Cinquante ans après la décolonisation, il faut achever sans tarder avec l’Algérie la renégociation des accords préférentiels en matière d’immigration, qui datent de 1968.» De manière quelque peu simpliste, Nicolas Sarkozy a détaillé sa mesure : «Nous imposerons à tous ceux qui veulent venir au titre du regroupement familial ou du mariage avec un Français l’obligation : 1. d’avoir un logement, 2. d’avoir un revenu, 3. d’apprendre le français et les valeurs de la République avant d’entrer sur le territoire national.»

Des conditions qui figurent déjà dans l’article 4 de l’accord franco-algérien, mais là n’est pas l’essentiel. La déclaration de Nicolas Sarkozy s’inscrit en fait dans une logique plus ancienne. Depuis deux ans, Paris tente de renégocier son accord d’immigration avec Alger,sans succès jusqu’à présent. En pleine campagne électorale, le président de la République a choisi de remettre sur la table un sujet qu’il imagine porteur. Les choses sont pourtant un poil plus compliquées que ne semble l’annoncer le chef de l’Etat. Explications.

De quoi parle-t-on ?

La France et l’Algérie ont conclu un accord d’immigration dérogatoire au droit commun, compte tenu des liens particuliers entre les deux pays. Signé le 27 décembre 1968, cet accord a déjà fait l’objet de trois avenants, le dernier datant de 2001.



L’accord initial prévoyait un contingent de 35 000 entrées annuelles, ramené par la suite à 25 000 en 1972 et 1973, comme le montre ce reportage de l’Ina. Aujourd’hui, environ 25.000 nouveaux «certificats de résidence» (l’équivalent d’un titre de séjour) sont délivrés aux Algériens chaque année. Avec 578 000 ressortissants, ils représentaient en 2010 la première communauté immigrée du pays (1).

L’intérêt de l’accord franco-algérien fluctue au gré des modifications de la législation de droit commun. «Les Algériens se sont sentis floués après la loi Chevènement de 1998, qui modifiait le droit commun. C’est pour cela que l’avenant de 2001 a été signé, remettant l’immigration algérienne sur un plan d’égalité avec celle des autres pays, explique Marie Hénocq, coordinatrice de la mission migrants de la Cimade. Mais comme depuis 2001, la droite ne fait que s’attaquer au régime de droit commun, fort logiquement, l’accord franco-algérien devient avantageux.»

D’où la volonté de Nicolas Sarkozy de renégocier l’accord, lui qui a fait la promesse de diviser par deux le nombre d’étrangers entrant chaque année en France. Jusqu’à présent, Alger oppose une fin de non-recevoir aux requêtes de Paris.

Quels sont les termes de l’accord avec l’Algérie ?

Les principaux avantages pour les Algériens résident dans les régularisations accordées «de plein droit», et non à titre discrétionnaire, comme pour la plupart des autres immigrés. Les possibilités sont beaucoup plus larges que dans le droit commun. Ainsi, un ressortissant algérien en mesure de prouver qu’il vit depuis dix ans en France – même en situation irrégulière – peut accéder automatiquement à un certificat de résidence d’un an. Pour les autres nationalités, cette possibilité est soumise à la discrétion de la préfecture. Rien d’évident, dans le contexte actuel.

Reste que pour un sans-papiers, prouver qu’on a vécu dix ans en France n’est pas une mince affaire. «Les seules preuves recevables par l’administration sont des avis d’imposition, des factures EDF, le genre de documents qu’une personne en situation irrégulière ne pourra pas fournir», remarque Christophe Pouly, du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Autre avantage, l’accession à un certificat de résidence de dix ans. Pour les Algériens, elle est restée de plein droit dès lors que la personne souscrit à un certain nombre de conditions. En revanche, pour toute autre personne étrangère disposant d’une carte de séjour d’un an, et vivant en France depuis cinq ans, il faudra se soumettre au bon vouloir du préfet.

Les régularisations pour les conjoints de Français sont aussi facilitées. En somme, résume Marie Hénocq, «l’accord franco-algérien reste assez favorable aux cas de regroupement familial». A l’inverse, souligne-t-elle, «les deux tendances lourdes de la réforme du droit commun sont de réduire les hypothèses de régularisation par la loi et les hypothèses de passage à une carte de séjour de dix ans». Marie Hénocq voit cependant un domaine pour lequel les Algériens sont défavorisés : l’immigration professionnelle, qui avait fait l’objet d’une «ouverture» en 2007. «Les Algériens sont exclus de cette admission exceptionnelle pour les gens qui travaillent, car c’est une disposition de droit commun.»

Que peut-il se passer ?

Au début de l’année, le ministre des Affaires étrangères algérien, Mourad Médelci, a expliqué que l’Algérie souhaitait «préserver»l’accord de 1968. Tant que les deux pays ne seront pas parvenus à un compromis, les déclarations de Nicolas Sarkozy en resteront donc au stade des intentions. «Alger n’a aucun intérêt à réviser l’accord, remarque Marie Hénocq. Tout dépendra du paquet cadeau que consentira la France en contrepartie. Je pense notamment à l’aide au développement.»

Conclusion de Christophe Pouly : «La logique de la politique de Sarkozy, c’est de restreindre l’entrée des étrangers sur le territoire au nombre desquels figurent les Algériens. Or, ce régime spécifique présenté comme avantageux ne l’est qu’en droit mais reste marginal en fait.»

En effet, selon des chiffres du ministère de l’Intérieur que nous avons pu consulter, on constate que le nombre d’Algériens rejoignant la France au titre du regroupement familial depuis 2004 est en nette diminution (-35% en six ans), avec un volume d’entrées assez modeste (3 000 personnes en 2010). Une tendance qui suit celle des autres nationalités (-42% en six ans).

(1) Chiffres issus du rapport 2011 du Comité interministériel de contrôle de l’immigration. Les binationaux ne sont pas pris en compte.

Par SYLVAIN MOUILLARD