Canada – Depuis cinq ans, entre 3000 à 4000 émigrants algériens arrivent chaque année au Québec à la recherche d’une vie meilleure.
Le nombre d’Algériens installés aujourd’hui dans ce pays hôte dépasse, selon les dernières estimations, les 45 000. Le Québec est la destination favorite, vu que le français est la première langue d’usage dans cette province. Une grande partie de ces émigrants ont des diplômes universitaires. Les difficultés que rencontrent de plus en plus d’Algériens en Algérie, notamment le problème du chômage qui touche un grand nombre d’universitaires, la cherté de la vie, les lourdeurs administratives, le problème de logement, bref la dégradation des conditions de vie, poussent de nombreux Algériens au départ. Et le Canada semble être ces dernières années l’eldorado recherché par ces candidats à l’émigration pour diverses raisons.
Les facilités qu’accordent les autorités canadiennes aux immigrants, le niveau de vie élevé, le système scolaire performant, ainsi que les nombreux avantages sociaux que le Canada est l’un des rares pays à offrir, séduisent de plus en plus de candidats algériens à l’émigration. « Personne n’a envie de laisser derrière lui son pays, sa famille et ses amis et partir refaire sa vie ailleurs. Cependant, la situation en Algérie n’encourage pas à y rester », nous dit Hamid, ingénieur en mécanique. Cet avis semble faire l’unanimité parmi les quelques candidats à l’émigration interrogés. « J’ai obtenu un diplôme d’ingéniorat en électronique depuis trois ans. J’ai travaillé dans de nombreux domaines en Algérie, mais ma situation ne s’est pas améliorée. Je touche un salaire qui me permet tout juste de survivre. Je n’ai jamais pu mettre de l’argent de côté pour réaliser des projets », nous dit, pour sa part, Djamal, un jeune électronicien. « Un ami parti au Canada depuis quelques années m’a conseillé de tenter ma chance au Québec et m’a ainsi suggéré d’entamer les démarches et me voilà, c’est ce que je suis en train de faire depuis plus d’un an », nous a-t-il expliqu
En effet, les salaires d’une grande partie des travailleurs algériens ne servent qu’à faire vivre leurs familles, rien de plus. « J’ai presque 40 ans, depuis l’obtention de mon diplôme de technicien supérieur, j’ai travaillé au moins dans 4 entreprises. Pour le moment je n’ai ni logement individuel, ni compte bancaire, ni voiture. Je travaille juste pour vivre », nous a indiqué Arezki, TS en informatique. Pour ces candidats à l’émigration, le Canada représente une bouée de sauvetage, un espoir. Cependant, ces dernières années les Algériens rencontrent de plus en plus de difficultés à avoir l’autorisation des autorités canadiennes pour s’installer dans ce pays hôte en tant que travailleurs qualifiés, au titre du regroupement familial ou encore en tant qu’étudiants. Outre les difficultés lors du traitement de leurs dossiers, de nombreux Algériens en éprouvent quand ils arrivent au Canada, notamment celles de trouver un travail. Ainsi le taux de chômage est relativement élevé parmi la communauté algérienne dans ce pays d’accueil. Pour cette raison et d’autres encore, de nombreux Algériens reviennent en Algérie ou émigrent vers d’autres pays, notamment européens.
Témoignages de candidats
Ali a entamé les démarches avec sa femme depuis plus de deux ans, mais ils ne sont toujours pas partis.
« On m’a dit que les candidatures de couples sont favorisées, alors nous avons décidé, ma fiancée et moi, de nous marier à la mairie afin d’obtenir un acte de mariage. Ainsi nous sommes actuellement mari et femme au vu de la loi, mais cela n’a pour le moment servi à rien. Nous attendons l’accord du service de l’immigration depuis plus de deux ans, mais rien de concret jusqu’à maintenant. » Si certains sont confrontés, dès le début, à de nombreuses difficultés qui les dissuadent, d’autres vont jusqu’au bout de leur dessein. Kaci, ex-cadre dans une entreprise nationale, est l’un d’eux. « Je me suis installé au Québec en 2003.
J’ai trouvé un travail dans mon domaine (hydraulique) ma femme aussi travaille. Ma situation s’est nettement améliorée. Je suis arrivé là bas à l’âge de 42 ans, donc mes ambitions n’étaient pas grandes et les possibilités qui s’offraient à moi n’étaient pas aussi nombreuses que celles offertes aux jeunes ». « Je suis vieux, nous dit-il avec un sourire, mais mon souci, ajoute-t-il, c’est d’offrir à mes deux enfants le plus de réussite possibles. J’espère que ce que je n’ai pas pu réaliser, sera à leur portée. »
Ahmed, responsable après-vente dans une entreprise automobile, a entamé les démarches depuis un peu plus d’un an. La candidature de ce jeune ingénieur a été, selon ses propos, « favorisée ». « Mon dossier a été étudié en priorité, vu que le secteur automobile est favorisé », nous a-t-il expliqué. « J’étais très content car j’étais persuadé que j’obtiendrais le fameux sésame. Mais à ma grande surprise, j’ai reçu une lettre me disant que ma candidature était refusée.
Le motif est que je n’ai pas pu obtenir le nombre de points nécessaires. Le service de l’immigration m’a précisé que je pouvais introduire un recours, c’est ce que j’ai fait ». Ahmed attend toujours la réponse du service mais sans grand espoir. « Avant d’entamer les démarches qui m’ont coûté une importante somme, j’ai fait le test d’évaluation. J’ai eu plus de points que le nombre exigé. Mais ça n’a pas marché. Ainsi je déduis que le test ne reflète pas vraiment la réalité sur le terrain. »
En effet, plusieurs sites internet, y compris des sites officiels offrent aux intéressés à l’immigration de faire leur auto-évaluation qui leur montre leurs chances d’être acceptés. 67, est le nombre minimum de points nécessaires aux candidats pour être admis par le service canadien d’immigration. Chaque critère a un nombre de points déterminé. Par exemple un candidat ayant à son actif un diplôme universitaire, soit 15 années d’études, a 22 points sur 25. Alors qu’un candidat qui a le niveau de terminal n’a que 15 points.
Le Dr Marion Camarasa-Bellaube à InfoSoir : « Tout le monde peut tenter sa chance »
Contribution n Camarasa-Bellaube, Docteur en histoire, diplômée de l’université de Toulouse le Mirail, est aujourd’hui membre du groupe de Recherches en études canadiennes. Séjournant fréquemment au Canada, elle tient une chronique sur le site Ksari.com. Elle a d’ailleurs un livre sur le sujet intitulé : La Méditerranée sur les rives du Saint Laurent.
InfoSoir : À quelle année remontent les premières vagues d’immigrants algériens au Canada ?
Le Dr Marion Camarasa-Bellaube : L’émigration algérienne au Canada remonte à plus d’un demi-siècle. Dans les mémoires on retrouve la présence d’Algériens durant la Seconde Guerre mondiale. Mais la première vague, bien que très modeste, peut se dater du milieu des années 1960. La première vague migratoire était surtout composée d’hommes célibataires, la deuxième vague qui débute après les événements d’Octobre 1988, est marquée par le départ coûte que coûte. On parlera alors davantage d’exilés et de réfugiés. Il existe peut être depuis la fin des années 2000 une troisième vague qui s’inscrit dans un climat plus apaisé concernant les violences mais dans une détérioration des conditions de vies importantes qui poussent à partir pour une vie meilleure.
I.f : Quelles sont les principales raisons qui ont poussé les Algériens et qui les poussent toujours à émigrer au Canada, particulièrement au Québec, et non pas dans d’autres pays du monde ?
Dr. M.CB : La raison majeure est que le Canada ouvre relativement bien ses portes…et tout le monde peut tenter sa chance. La deuxième raison s’inscrit dans le fait que les traditionnels pays d’accueil notamment en Europe ont presque fermé leur porte. Et durant les années 1990, partir à tout prix d’Algérie était aussi le mot d’ordre de cette émigration. Il y a également une autre raison plus politique peut-être, le Canada, pour les Algériens n’a pas l’image d’un pays colonisateur tel que peut l’avoir la France. Les préjugés, le poids de l’histoire ne sont pas à l’ordre du jour, bien qu’il y ait d’autres difficultés et barrières sociétales propre au Québec.
I.f :Les Algériens établis au Canada s’adaptent-ils facilement au mode de vie socio -culturel et au climat canadiens ?
Dr. M.CB : Le climat canadien est un changement important. Le premier hiver paraît parfois exotique… mais il paraît que la luminosité éclatante est ce qui manque le plus. Mais on s’adapte au climat québécois et cela alimente aussi les conversations. Le mode de vie socio-culturel est un mode de vie nord-américain. Certainement que les jeunes s’adaptent beaucoup mieux que les personnes plus âgées. C’est un vaste sujet qu’il serait difficile d’éclairer en quelques phrases et pour les plus curieux, je vous renvoie au livre que j’ai écrit La Méditerranée sur les rives du Saint Laurent.
I.f : Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les Algériens au Canada ?
Dr. M.CB : La principale difficulté, depuis les années 1990-2000 est, sans aucun doute, l’insertion professionnelle. Avec plus de 20% de chômage, la communauté algérienne est l’une des plus touchées au Québec. C’est notamment pour cela que certains tentent leur chance au Canada anglophone.
I.f : Les diplômés algériens installés au Canada travaillent-ils dans leur branche ou sont -ils contraints d’exercer dans des domaines étrangers à leur formation ?
Dr. M.CB : Les diplômés algériens travaillent parfois avec leurs diplômes qui doivent être reconnus. Certains ont repris leurs études, d’autres ont approfondi le domaine dans lequel ils étaient pour obtenir des diplômes canadiens. Ce qui facilite l’intégration. Il y a ensuite les difficultés de la vie qui obligent les gens à travailler dans n’importe quel domaine pour pouvoir vivre et faire vivre leur famille. On dit que Montréal est la ville au monde où les chauffeurs de taxi sont les plus diplômés !!! C’est un « joke » comme on dit au Québec… mais cela reflète le sentiment de certains immigrants
I.f : A votre avis les autorités canadiennes traitent-elles sur un pied d’égalité les immigrants qui viennent de divers pays ?
Dr. M.CB : Le système canadien d’immigration est établi selon un système de points, si l’on a assez de points on a une chance d’être pris. Au Québec, on attache davantage de prix au candidat francophone. Des objectifs chiffrés sont mis en place afin de réguler l’apport global chaque année selon les besoins du pays. Dans le temps (avant la Seconde Guerre mondiale), le Canada avait une politique discriminatoire envers certains pays dont les habitants ne rentraient pas dans le moule WASP. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Chaque immigrant arrivé sur le sol canadien aujourd’hui à les mêmes droits et les mêmes devoirs quel que soit son pays d’origine.
I.f : Les enfants de ces immigrants nés au Canada ont-ils plus de chance de réussite que leurs parents ? Et ont-ils les mêmes chances que les enfants d’immigrants venus d’autres pays du monde ?
Dr. M.CB : Les enfants nés au Québec ont réellement une chance de réussite dans leur nouveau pays. En témoignent les nombreux succès tant sur le plan sportif que culturel de cette jeunesse. Ils deviennent des Algéro-Québécois ou Algéro-Canadiens. Ils ont les mêmes chances dans le sens où ils ont accès comme tous les enfants du Canada au système éducatif du pays.
I.f : La question du terrorisme et la pression qu’exercent les Etats-Unis d’Amérique sur le Canada n’ont-t-elles pas poussé les autorités canadiennes à réduire ces dernières années le nombre d’immigrants algériens qui arrivent au Canada ?
Dr. M.CB : Les relations entre le grand voisin du Sud et le Canada sont très importantes, mais le Canada ces dernières années n’a pas toujours suivi les positions états-uniennes. Si on regarde les chiffres bruts le nombre d’immigrants algériens n’a pas chuté brutalement et a un peu progressé et se situe désormais autour de 3 000 à 4 000 personnes recrutées par an pour le Québec. L’Algérie est l’un des dix premiers pays pourvoyeurs.
Frais de l’étude du dossier : Le paiement, un casse-tête
Les candidats à l’émigration au Canada rencontrent beaucoup de difficultés dans leur parcours. Parmi ces difficultés, figure le paiement des frais de l’étude du dossier. En effet, chaque candidat doit débourser 300 dollars canadiens pour que son dossier soit étudié. Une somme importante notamment pour les chômeurs et les nouveaux diplômés qui n’ont pas encore trouvé un emploi.
Mais en plus les candidats sont confrontés au problème de paiement de cette somme. En effet, en l’absence d’un moyen de transfert d’argent vers le Canada, ils ne trouvent pas toujours le moyen de payer. Si certains peuvent compter sur leurs proches, amis ou autres connaissances établis au Canada pour payer les 300 dollars, d’autres en revanche enregistrent un grand retard à cause de l’absence d’alternative. « Moi je n’ai pas eu de problèmes pour payer cette somme, car mon frère établi au Canada depuis 3 trois ans s’en est occupé », nous a dit un candidat.
M. D