«A tout seigneur, tout honneur.» La ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, Iman Houda Feraoun a été choyée hier, dans les colonnes du journal français, L’Est républicain. Ce quotidien régional qui lui a réservé un article élogieux en tire une fierté du fait que l’actuelle ministre a été une ancienne doctorante de l’université de technologies de Belfort-Montbéliard. «La plus jeune ministre de l’histoire algérienne. Une tête bien faite, une femme énergique derrière une façade glamour. Un symbole national à elle seule», écrit le journal. Mais passons à L’Expression.
Dans cet entretien, la plus jeune ministre du gouvernement parle sans fard. En ligne droite avec un sens aigu de la rationalité. C’est le propre des esprits scientifiques, auquel elle cède souvent oubliant la phraséologie creuse des politiques. Elle identifie le problème, le cerne puis va au-delà et toujours vers l’avant. Iman Houda Feraoun n’aime pas le mouvement circulaire.
L’Expression: Le e-gouvernement, la e-éducation… des projets annoncés mais qui s’éternisent. Où se situe exactement le problème?
Iman Houda Feraoun: Il s’agit de deux problématiques séparées. Elles sont très connexes, mais ne veulent pas dire forcément la même chose. En fait, elles devraient être une seconde étape après la généralisation des usages de l’Internet. Elles ont été annoncées au moment où 20% de la population étaient connectés. Cela il y a quelques années. Rappelez-vous au début des années 2000, le pourcentage des personnes connectées était faible, pour les entreprises c’était plus faible, pratiquement aucune n’utilisait les TIC. On en parlait, mais c’était une vision, une stratégie, celle du programme du président de la République, qui consistait à aller vers le e-gouvernement. Ce n’est pas une annonce d’application imminente, c’était une annonce de vision qui devait passer par des étapes.
L’échéancier n’étant qu’en première étape, il fallait généraliser le réseau de connexion à travers le territoire national. Aujourd’hui enfin, on y est. On a un taux de pénétration important. Grâce au réseau de télécommunications mobiles, notamment la 3G qui a atteint un niveau de satisfaction qui permettrait de penser au e-commerce de façon cohérente. On ne peut pas lancer le e-commerce sans clients potentiels. Aucun investisseur ne viendra vendre en ligne si ses clients sont très rares. Ce n’est que maintenant que nous sommes dans une situation suffisamment maturée. Reste le cadre réglementaire pour le e-commerce, il est en phase d’élaboration. S’agissant de la e-éducation, elle consiste à numériser le contenu éducatif qui ne passe forcément pas par Internet, mais serait meilleure avec Internet.
Il faut savoir que le secteur avait un certain nombre de priorités plus urgentes avant le passage à l’éducation numérique. Aujourd’hui, l’arrêté portant plan d’action du Fonds d’appropriation des usages et développement des TIC (Faudtic) porte des projets financés à un très haut niveau sur le commerce électronique, l’éducation électronique, certains sur la santé et des programmes connexes au e- gouvernement qui a largement avancé par la e-administration.
Pouvez-vous être plus explicite à propos de ce fonds?
C’est un fonds créé par l’Etat, il y a un certain nombre d’années pour développer les usages des TIC quel que soit le domaine. Il n’a été mis en oeuvre que pour quelques projets dont la télé médecine. Suite à l’instruction du Premier ministre, il a été inscrit spécialement pour les projets sectoriels en concertation avec tous les départements ministériels. Nous avons mis en exergue un ensemble de 28 projets dédiés aux usages des TIC, pratiquement dans tous les départements ministériels pour leur modernisation et numérisation. L’arrêté est signé, on a déjà commencé la mise en oeuvre. On a une à deux années pour finaliser l’ensemble de ce programme. Les sommes varient de 5 à 6 millions de dinars pour les plus petits projets jusqu’à 2 milliards de dinars pour les plus grands.
L’arrivée du payement électronique est très attendue par les citoyens. Or, là aussi, il y a comme une réticence.
Il a pris un certain nombre d’années de retard. Là aussi, il faut d’abord s’assurer qu’il y ait un réseau et ensuite il faut un cadrage juridique. Mais il a déjà plusieurs entités qui proposent et payent on line, à commencer par Algérie Télécom. Il reste timide, mais les citoyens ne sont pas friands pour la simple raison que c’est un autre type de payement qu’on souhaite, au-delà des factures. Mais encore faut-il qu’il soit absolument encadré par la loi sur le commerce. Aussi, permettez-moi d’aborder le payement mobile qui remplace le payement électronique, c’est la tendance mondiale. Le payement mobile ne demande pas d’investissements colossaux, c’est juste une phase technologique plus développée. Au lieu de s’éterniser dans le payement électronique, il serait temps pour l’Algérie d’apprendre à faire un saut technologique. Sur le plan juridique, il n’y a pas une grande différence, techniquement nos opérateurs sont prêts. Le secteur commercial est demandeur. Il reste une jonction, l’industrie des TIC.
Peut-on aujourd’hui parler en Algérie d’industrie des TIC? Comment concevez-vous ce grand chantier?
Cette industrie comporte deux volets. Une industrie hard… fabrication des smartphones, des ordinateurs, des équipements de réseaux, etc… Il y a déjà un embryon à Bordj Bou Arréridj, Sétif, à Sidi Bel Abbès, à Tlemcen, mais on est amenés à faire plus d’intégration dans des partenariats avec des entreprises étrangères pour s’approprier la technologie.
Il y a l’industrie soft, celle des contenus. En ce qui concerne le développement des services on-line, des études prévoient un marché de centaines de milliards de dollars pour l’Internet des objets dans les trois années à venir. On doit avoir notre part de ce marché. Une industrie réalisable avec de petites innovations qui ne demandent que l’idée, une industrie qui peut être financée dans le cadre de la PME-PMI. On y arrive en même temps que notre réseau de connexion qui est propice. Le marché existe avec des millions d’Algériens connectés et au niveau de la technologie, cela permet à de petites PME de se développer.
Mais comment y arriver quand on sait que votre secteur est très mal nanti. Son budget de fonctionnement n’est que de trois milliards de dinars?
Je vais vous contredire complètement. Il s’agit là d’un budget de fonctionnement d’une administration: le ministère et des entités déconcentrées. Ce n’est pas le budget de fonctionnement ni des usages des technologies pour lequel il y a le Faudtic ni de la généralisation d’Internet sur les zones rurales et éloignées. Pour ça, il y a le fonds universel ni pour le développement du réseau pour lequel il y a Algérie Télécom ni pour le mobile, il y a les opérateurs mobiles. En somme, c’est un secteur autofinancé car hautement générateur de bénéfices. Vous savez que le chiffre d’affaires des TIC de par le monde est le premier, il génère plus d’argent que le transport, que l’industrie lourde. On prévoit qu’à l’horizon 2025-2030, ce secteur totalisera un chiffre d’affaires double de tous les autres. J’ajoute que le fonds universel et le Faudtic sont financés très largement par les revenus du secteur qui puise très peu dans le Trésor public.
Des incubateurs ont été initiés par votre département. Sauf que ces entreprises se plaignent d’un manque de cadre juridique. Comment pensez-vous remédier à cette situation?
C’est une question très à-propos puisqu’on vient juste d’examiner le projet de loi avec le ministère de l’Industrie concernant la PME-PMI et surtout l’encadrement par l’Etat, notamment des petites entreprises innovantes. Avant, ces projets qui sont incubés, dès l’instant où ils vont vers le monde réel ils sont submergés par la bureaucratie, la réalité d’un marché concurrentiel par l’importation. Désormais, il y a un projet de loi qui encadre les PME-PMI et qui sera présenté prochainement au Parlement. Ce projet de loi prévoit un chapitre sur la petite entreprise innovante avec une mention particulière pour les entreprises innovantes en TIC, afin de l’accompagner au cours de son développement dans le monde économique.
Qu’en est-il de cette brouille de la tarification? Tous les opérateurs ont rendu publics des communiqués soulignant qu’il n’y a pas eu d’augmentation de tarification…
Effectivement, au plan juridique, on pourrait croire qu’ils ont raison. Le coût de la minute et de la seconde sont restés les mêmes. Ce qui a changé par contre est le palier de tarification. Avant, quand vous parliez moins de 30 secondes on vous facturait 30 secondes et après c’est à la seconde. Aujourd’hui, quand vous parlez moins d’une minute on vous facture la minute entière. C’est dire en d’autres termes, que votre appel dure moins de 30 secondes ou plus de 30 secondes, il est toujours comptabilisé comme une minute. C’est ce qu’on appelle un changement de palier tarifaire. Après consultation avec le régulateur, il nous a appris que ce sont des pratiques commerciales libres. Toutefois, je leur reproche deux choses: la première est qu’ils auraient dû mener des campagnes d’information auprès de leurs usagers et leur dire clairement qu’ils comptent changer le palier tarifaire et surtout leur expliquer ce que cela implique pour eux, surtout que nos appels durent généralement moins d’une minute…
Il faut donc voir s’il est pertinent pour les Algériens de comptabiliser leur appel à partir d’une minute ou à partir de 30 secondes. Deuxièmement, je crois que la pratique dans le monde c’est d’aller vers la tarification à la seconde. C’est quand même dommage de reculer. Alors que de par le monde on va vers la tarification à la seconde, dès la première seconde, nous on enregistre un recul. Encore une fois je souligne que cela reste dans le domaine du commercial, mais l’opérateur devra faire l’effort de se moderniser. Leur première source de revenus est le consommateur et non le corporate, ils auraient dû réfléchir un peu plus. Les pratiques les plus transparentes sont d’informer le consommateur avant de lui offrir un service différent. Ceci dit, nous avons appelé le régulateur à diligenter une enquête en regardant de plus près les contrats des usagers, s’il n’y a pas d’alinéa qui exigerait des réparations, c’est du rôle du régulateur et l’enquête est en cours, on attend les résultats.
Une anarchie règne au niveau des bureaux de poste. Vous avez fait un constat et préconisé des mesures. Où en sont les choses?
Il y a des problèmes au niveau de la poste, une certaine forme d’anarchie, due probablement à une mauvaise organisation au niveau des services. Les problèmes récurrents du manque de liquidités, du manque de bureaux de poste dans certaines localités, des réseaux en panne. C’est le constat initial, mais entre-temps il y a eu des mesures d’urgence et une vision à long terme. Les mesures d’urgence, je vous cite par exemple le réseau qui tombe souvent en panne ne l’est plus. On a mis en plus, près de 68 nouveaux bureaux de poste, plus d’une centaine modernisés, une centaine d’autres en train de l’être, d’autres sont prévus, on a réglé le problème de liquidités. Mais ce problème est un peu compliqué. Il n’est pas seulement dû à une anarchie. Il fallait optimiser la distribution des fonds, une meilleure coordination avec la Banque d’Algérie et je pense que cela a donné des fruits probants sur le terrain.
Vous avez remarqué que la dernière rentrée sociale, le Ramadhan, l’Aïd, on n’a pas eu de gros problèmes. Sur 3600 bureaux de poste, quand il y en a 10 ou 15 en difficultés, il faut quand même relativiser les choses, voyons le bon côté de la médaille. On a enregistré une nette amélioration dans la distribution des cartes de payement postales de même qu’il y a une amélioration des distributeurs de billets. Certes, il y a des problèmes, mais qui dépendront de la vision à long terme notamment. Vous savez, les salaires des Algériens augmentent, mais malheureusement le dinar se dévalorise et les gens retirent davantage leur argent. Ajouté à cela le fait qu’il y a de plus en plus de travailleurs en Algérie. Donc, le nombre de personnes qui retirent leur argent augmente (18 à 20 millions de clients). On ne pourra jamais régler ce problème de liquidités si les gens ne font pas du payement mobile. C’est la seule solution pour régler définitivement le problème.
L’Algérie est-elle suffisamment protégée contre une cyberattaque?
Nul n’est à l’abri d’une cyberattaque. Les plus grandes firmes de par le monde, les gouvernements des pays les plus développés, ne cessent pas de parler de ce problème. Ce n’est pas pour autant qu’on ne va pas nous prémunir en Algérie. Un premier effort a été fait et qui consiste en la création d’un organe de lutte contre la cybercriminalité et pour la sécurisation. Car il faut savoir qu’une cyberattaque est un crime. Nous sommes en train de réfléchir dan le cadre de la nouvelle réglementation, de penser à créer le Cert (Computer Emergency Response Team) une sorte de veille sur les nouveautés, les nouveaux virus, les nouvelles menaces. Mettre en place des mécanismes de réaction rapide, des procédures de riposte, c’est un peu comme un plan Orsec. Lorsque le système de la poste, ou d’une banque, un site gouvernemental, le site du baccalauréat, est attaqué, le Cert enclenche des mesures d’urgence dans la minute qui suit l’attaque.