Amine, Mourad, Ayoub et Zakaria. Quatre garçons dans le vent, ou du moins en apparence. Normal, quand on a 20 ans. Ils viennent d’horizons différents mais ont un dénominateur commun, celui d’appartenir à des familles modestes. Amine est peu bavard. En acceptant de se confier à un journaliste, il pense contribuer à promouvoir une profession dont il fait déjà partie en tant qu’étudiant en deuxième année à la faculté de communication. Un rêve d’enfance qu’il nourrit chaque jour en se voyant souvent à la place des présentateurs de JT ou autres émissions. «Après avoir décroché mon bac avec une bonne moyenne, confie-t-il, je n’ai pas hésité une seconde en optant pour ce métier passionnant». Belle frimousse et taille élancée. Des attributs plaidant pour réussir son vœu. En attendant, nous le ramenons sur terre et parler de l’été, de ses longues journées, ses nuits douces et des vacances bien sûr. «Je vous avoue tout de suite que les vacances, je ne sais pas ce que c’est.
Dès mes quinze ans, l’été est pour moi synonyme de petits boulots. Le paternel arrive tout juste à nourrir une famille de sept personnes et ses fins de mois sont difficiles à boucler. Il me paraît donc nécessaire d’amoindrir ses problèmes en me prenant en charge, et pourquoi pas, l’aider un tant soit peu. Une fois l’année scolaire achevée, je prends attache avec mes contacts pour travailler durant l’été. Pendant trois ou quatre ans, j’ai été plongeur, vendeur de fruits et légumes, coursier, manœuvre. Ces deux dernières années, j’ai été engagé comme serveur respectivement dans un restaurant et un salon de thé. Pour l’année en cours, je viens d’obtenir une place comme serveur dans un salon de glaces huppé du littoral.
Dès que je termine mes six heures, je prends une pause de deux à trois heures avant d’attaquer le même créneau en soirée jusqu’après minuit. Je n’ai ni congé ni de journée de repos. Mais le jeu en vaut la chandelle. Côté compensation financière, on n’a pas à se plaindre. Si le salaire est disproportionné par rapport aux exigences du boulot, le pourboire reste un stimulant intéressant. Il y a des clients qui laissent 500 DA sur la table et même plus. Surtout le soir avec l’arrivée des grosses cylindrées. Leurs propriétaires, contrairement à certains médisants, sont gentils avec nous. Les femmes le sont davantage et plus généreuses. Une fois, à la suite d’une petite discussion avec une dame au cours de laquelle j’ai exprimé mon refus total au mode boat-people (harraga), j’ai été gratifié d’un billet de 20 euros en guise de pourboire. Cependant, ce n’est pas toujours le gros lot et il faut savoir s’en contenter», conclut le futur homme des médias. Etudiant en troisième année, Mourad veut devenir avocat en droit international. Loquace et fougueux, il en a les ingrédients. Il compte pour cela défendre les grosses affaires et améliorer sa condition sociale. «J’espère pénétrer ce monde fascinant mais pour le moment, soyons plus réalistes. On verra après le CAPA, dit-il en préambule de notre discussion. Quant aux vacances, il a une autre vision de la chose. «Prendre des vacances est un droit et une nécessité surtout lorsqu’on a trimé pendant toute une année. Néanmoins, il faut être réaliste. D’abord c’est une question d’argent et si on n’en a pas, vaut mieux ne pas y penser. Pour moi, casquer des millions dans une destination parfois hasardeuse s’assimile à un gaspillage. Je préfère en faire meilleur usage, ce qui m’évitera des déceptions et me permettra d’affronter avec les jours de dèche, étant d’un milieu social modeste où chaque petit billet répond à un besoin», raconte-t-il non sans amertume, et d’ajouter qu’il préfère aussi attaquer la dernière année de licence avec moins de soucis financiers. Il travaille comme agent commercial pour une nouvelle marque de détergents. Avec ses deux collègues, il sillonne à bord d’un fourgon les quartiers de la capitale où il promeut ses produits auprès des ménagères et des superettes. «Ce n’est pas de tout repos sous un soleil de plomb, mais quand on n’a pas mieux, on s’en contente», se résigne-t-il à dire. Il est payé en fonction des ventes, ce qui veut dire qu’à chaque jour suffit sa peine. Son expérience, il l’a acquise en activant depuis des années dans ce créneau où il a appris à compter avec tous les aléas. «El hamdoulah, j’ai réussi à grâce à cela à faire face à mes besoins et aider en même temps ma famille», conclut Mourad.

Le roi des «m’hadjeb»
«C’est dur d’être tout le temps sur les plages sans pour autant profiter de la mer et se dorer au soleil. C’est encore plus dur de voir tout ce beau monde y prendre plaisir alors qu’on en est privé».
Ce lamento est d’Ayoub, vendeur à la criée d’encas sur la plage. Beignets italiens, gaufres, crêpes sont annoncés à partir de dix heures par ce jeune de 21 ans qui a déjà la cote auprès des consommateurs dont l’air iodé aguiche l’appétit. Mais beaucoup plus pour une autre spécialité bien de chez nous, à savoir les m’hadjeb, cette pâte fine de semoule farcie d’oignons et de tomates. De la Madrague à Zéralda, les estivants en raffolent à telle enseigne que notre bonhomme s’est forgé une marque de fabrique. Ses clients le surnomment «le roi des m’hadjeb». Y a-t-il un secret de préparation ou c’est l’air marin qui en rajoute ? Mystère et boule de gomme.
Ce qui est sûr, c’est que la marchandise est écoulée en un temps record. Pour notre ami, la grâce est rendue à la maman et à la frangine qui se lèvent à l’aube pour préparer la pâte et la farce. Ayoub livre trois fournées quotidiennement en sillonnant les dites plages. Sa petite moto contribue largement à la livraison raide car, selon lui, il faut occuper le terrain face à une concurrence rude. Telle est sa devise.
C’est en effet la clé de sa réussite acquise avec grand mérite. «J’ai perdu mon père, raconte-t-il, suite à une longue maladie. Un triste sort qui m’a jeté en plein d’une importante responsabilité de chef de famille. La modeste pension de retraite laissée à ma mère s’est avéré insuffisante pour nourrir six personnes. Depuis trois ans je m’échine à faire ce petit commerce en saison estivale où on ne pense qu’à l’évasion et le farniente. Cela me permet en tout cas de mettre un peu d’argent de côté pour les jours de bise.
C’est un peu comme la fable de La Fontaine mettant en exergue le travail de la fourmi. Je prépare une licence en langues et d’ici là il me faut de la patience», dira Ayoub. Quel nom prédestiné ! A 24 ans, de forte corpulence, un front dégagé et labouré, Zakaria en fait plus. Nous l’avons rencontré dans le quartier huppé Les Vergers à Birkhadem, à l’ombre d’un poivrier avec son petit camion chargé de melons et de pastèques. En réalité, le véhicule appartient à son ami et associé, lui il se charge de la marchandise. «Fifty-fifty», dit-il. Un TS en gestion des ressources humaines en poche, il court depuis deux ans après un hypothétique travail. Heureusement qu’il a la carte militaire en étant soutien de famille.
Son père a été mis en congé de longue durée à la suite d’un accident de la circulation. Il endosse la responsabilité léguée par le papa de son vivant. Question vacances, il n’y pense pas. «Déjà que je n’ai pas un job permanent avec un salaire mensuel ! Comment me mettre dans la tête l’idée de partie en vacances quand cela demande argent et disponibilité, alors que mon temps est partagé entre le marché de gros pendant qu’il fait encore nuit et l’écoulement de la marchandise en allant d’un endroit à l’autre à longueur de journée. Le soir venu, je suis exténué au point de dormir parfois sans dîner. Comme vous le voyez, les vacances c’est pour les autres. Les plus vernis. Peut-être plus tard Inchallah». Nous le lui souhaitons de tout cœur. Ces quatre jeunes hommes avec des destins différents ne sont que des échantillons croisés au hasard des lieux. Beaucoup d’autres personnes de tous âges ne connaissent pas, pour diverses raisons, ce que veut dire le mot vacances. A tous, disons-leur bon courage.