Ils rêvent d’améliorer leur quotidien ,Les vieux espèrent et attendent

Ils rêvent d’améliorer leur quotidien ,Les vieux espèrent et attendent

Les aiguilles des horloges s’étaient accordées à annoncer dix heures du matin. Nous sommes à Alger. Exactement au jardin Taleb Abderrahmane qu’embellit, depuis juin 2010, date de son inauguration, la fontaine d’espérance : une œuvre, sous forme d’arbre, haute d’une vingtaine de mètres, tout en charpente métallique.

En somme, un bel endroit pour faire faire de longs voyages à son esprit, et surtout… espérer et attendre pour ceux qui n’ont pas d’autres choses à faire. « Mais attendre quoi finale- ment ? », s’interroge Ami Hocine qui ne bouge que difficilement. Ce qui ne va pas en lui ?



C’est certainement son âge ! A 79 ans, le dos courbé soutenu par une canne en bois, le pas vacillant, il s’assit sur l’un des bancs du jardin, non sans efforts. Retraité de l’enseignement, il ne regrette pas uniquement sa jeunesse – « si c’était à refaire, j’aurais choisi un autre métier », dit-il- mais aussi sa vieillesse qui se déroule d’une manière aussi monotone que déplaisante.

Il se lève tôt le matin, prend ces médicaments -il est diabétique et hypertendu-, attend que le soleil soit en mesure de réchauffer assez son corps, regagne « son » jardin, et, à midi, il rentre pour manger, ressort… bref, sa vie se déroule entre son appartement de Bab El-Oued et le jardin.

Une demi-heure passa quand deux autres vieillards, Ami Mohamed et Ami Salah, arrivèrent. Ils saluèrent leur ami et s’assirent auprès de lui. Ami Mohamed, qui bouclera 70 ans durant la dernière moitié de ce mois, a passé la moitié de sa vie comme gardien d’une école non loin de son domicile, et Ami Salah, 75 ans, a fait carrière dans un poulailler en Kabylie avant que son fils l’oblige à tout vendre pour s’installer dans la capitale, ce qu’il avait l’air de regretter amèrement.

« A la campagne, on peut au moins se livrer, par moment, à la nature, mais ici dans cette soi-disant capitale on n’a même pas où aller. Il n’y a que ce vieux qui ne cesse de nous saouler avec sa politique », dit Ami Salah taquinant l’ex-enseignant. « A travers moi, tu sais au moins que tu te portes mal ! », rétorque Ami Hocine un peu irrité. Que manque-t-il à ses trois âmes, qui ne sont qu’un petit échantillon d’une large frange de la population du vaste pays ? Que désirent-ils ?

Que feront-ils des jours leur restant s’ils pouvait décider pleinement de leurs sort ?… Des questions qui les laissèrent un long momentrêveurs, avant que l’ »intellect », comme l’appellent ses amis, interrompt le long silence : « Je préfère, dit-il, vous citer ce que nous avons, car la liste de ce qui nous manque sera trop longue… »

Et à Ami Mohamed de l’interrompre avec un sourire ironique : « cesse de faire de l’esprit, et dis au jeune homme ce qui nous manque. Dis-lui que nous n’arrivons pas à nous soigner convenablement -il ne voulait pas, certainement par excès de fierté, révéler sa ou ses maladie(s)- et qu’il faut connaître un ministre pour se procurer un médicament.

Dis-lui que nous n’avons pas où passer nos journées. Dis-lui que nous ne pouvons pas nous permettre d’aller dans des centres de thalassothérapie pour soulager un peu nos os… » Ami Salah, qui était jusque-là pensif, parla comme arraché à un beau rêve : « Il n’y a pas que les moyens matériels qui nous manquent. Aussi du respect, aussi de la considération.

Parfois, je sens, et j’imagine que c’est le cas de la majorité des vieux, que je ne suis qu’un parasite dans cette vie. Quand mon fils m’a convaincu de venir ici avec la vieille, il n’avait qu’un petit môme. Aujourd’hui, il en a cinq, que Dieu leur prête longue vie. Nous vivons dans un appartement de quatre pièces, et je sens vraiment que je leur rends la vie difficile autant qu’ils me la rendent difficile.

Ça m’arrive de passer une semaine sans échanger le moindre mot avec mon propre fils, mon sang… » « Oui j’en conviens, reprit Ami Mohamed. Et il n’y a pas que cela. Même la rue nous est hostile. On nous voit, à la fois, comme des enfants et comme des vieux. Vieux, puisque incapables physiquement, et enfants parce incapables, c’est ce qu’on a tendance à penser, mentalement.

La vieillesse n’est plus perçue comme sagesse, mais comme décadence dans tout les sens du terme ». Il se tut un moment et reprit avec des rires de désolation : « mon petit-fils a voulu faire quelque chose contraire à nos moeurs que je ne vous dirais pas pour ne pas trahir les secrets de la famille.

Quand j’ai refusé il me dit cela : mais djeddou (grand-père ndlr) tu n’est pas flashé, toi ! » L’ »intellect » qui n’avait pas l’air de s’intéresser à la discussion, sursauta : « si vous m’aviez laissé finir, vous ne lui auriez pas fait supporter toutes vos conneries ». « Et qu’est-ce que tu aurais dit ? » interrogea Ami Mohamed. « Que nous n’avons que des yeux pour contempler les jours qui passent et qui se ressemblent. N’est-ce pas cela ? », répondit Ami Hocine, nerveux…

Hamid Fekhart