Les partis politiques divergent dans leurs appréciations des évènements d’octobre. Le FLN, fidèle à sa logique, les qualifie de simples “émeutes” dénuées de tout message politique.
À l’inverse, les partis d’opposition estiment que le 5 octobre 88 est une “rupture historique” qui a ouvert la voie au pluralisme politique. Ces mêmes partis de l’opposition conviennent que, 22 ans après, le système s’est de nouveau refermé alertant, par ailleurs, sur le risque d’un 5 octobre bis.
Mohcine Bellabas (RCD)
“Chahut de gamins pour certains, lutte entre clans au pouvoir pour d’autres, conséquence d’un ras-le-bol de la population d’une situation de crise latente…, la question des évènements d’Octobre 88 reste posée.
L’essentiel est qu’une page de l’Histoire nationale était tournée et un processus de démocratisation a été enclenché avec la fin du règne du parti unique par la consécration du multipartisme, d’une presse privée et aussi de l’adoption de l’économie de marché. 22 ans après et malgré l’embellie financière consécutive à l’augmentation des prix du baril, les mêmes signes de crise marquent la scène politique et sociale du pays. L’Algérie vit encore sous l’état d’urgence et le terrorisme continue de frapper. Le tissu social est déstructuré et les démons du tribalisme sont réveillés.
Le désespoir des jeunes fait qu’ils sont réduits à choisir entre la harraga ou le maquis ; l’élite marginalisée continue à s’installer à l’étranger, l’islamisme est plus que jamais dans les institutions. La dépendance aux hydrocarbures continue à menacer l’avenir national. Les partis politiques d’opposition sont muselés.
Les espaces de liberté arrachés par le sacrifice d’une génération sont réduits à néant. La presse privée a vu ses champs d’investigation restreints et le délit de presse pénalisé. L’Algérie reste l’un des rares pays à continuer à fermer le champ audiovisuel.
L’opinion publique nationale est livrée à l’influence des médias arabes et orientaux. Les syndicats autonomes sont pourchassés et leur champ d’action s’est rétréci. Les fraudes électorales sont récurrentes et la corruption a atteint des proportions jamais égalées.
Avec le viol de la Constitution de novembre 2008, une autre variante du régime du parti unique s’installe. Le chef de l’État s’est accaparé tous les pouvoirs de décision. Les missions et prérogatives des élus sont confisquées au profit de l’administration, le projet de loi sur le code de la commune adopté par le dernier Conseil des ministres vient encore de le confirmer. Malgré cela, le RCD est plus que jamais déterminé à se battre pour faire triompher la voie de la liberté et de la démocratie.
Les interventions des députés RCD à l’APN continuent de susciter espoir. Des ressorts qu’on croyait cassés se remettent en mouvement. La réhabilitation de l’Histoire nationale, l’implication de la jeunesse dans la vie politique et sociale, l’environnement, l’intégration nord-africaine… sont autant de chantiers que le RCD a relancés.”
Mohamed Djemâa (MSP)
“Les évènements d’Octobre constituent une rupture radicale avec le système de l’époque, abstraction faite de savoir s’ils ont été manipulés ou non. Ils ont surpris même ceux qui les ont faits. Il ne faut pas négliger le militantisme de pans entiers de la société civile dans la clandestinité. Comme conséquence, il y a eu la Constitution de 89 que nous avons soutenue.
Ensuite, la démocratie naissante a été travestie par une frange du système, ce qui a conduit aux évènements tragiques que nous avons connus. Pour être honnête, ce qui reste aujourd’hui d’Octobre, c’est que la démocratie ne répond pas à toutes les attentes de la population, mais nous sommes contre le dénigrement.
Cela dit, il y a des acquis comme la presse, le pluralisme syndical malgré la contrainte, il y a aussi des partis qui se font entendre malgré eux aussi les conditions dans lesquelles ils évoluent.
Incontestablement de ce point de vue, il y a une avancée. Le plus important pour nous, aujourd’hui, est que la démocratie soit irréversible, même le système a tiré les leçons. Certes, les islamistes ont fait des erreurs et les laïcs ont été piégés. Mais, la décennie nous a appris que chacun doit accepter l’autre.”
Kassa Aïssi (FLN)
“Jusqu’à présent, il n’y a pas unanimité sur le déroulement de ces évènements, de ses auteurs. Y a beaucoup de zones d’ombre. Nous devons définir d’abord les évènements d’Octobre. Ils sont tragiques, c’est vrai.
C’est clair qu’on est passé d’un système de parti unique au pluralisme, cela a permis aussi l’émergence de la presse privée, des syndicats, du mouvement associatif. Mais est ce qu’il y a une organisation, un mouvement, une plate-forme de ces évènements ? Qui en assume la paternité ? Est-ce qu’il y a des objectifs ? Comment les qualifier ? Actuellement, lors des opérations de dégourbisation, y a des émeutes !! Est-ce qu’on peut dire pour autant que c’est Octobre en miniature ? J’ai l’impression qu’il y a eu un psychodrame, malheureusement y avait un drame, mais pas assez de psychologie.
Comme les laboratoires qui ont fait ça ne connaissent pas notre peuple, il y a eu malheureusement des jeunes qui sont morts. Notre armée était obligée d’intervenir pour rétablir l’ordre menacé. C’est le moment de faire une étude approfondie et d’en tirer toutes les leçons pour que plus jamais y aura ça. Il ne faut pas que les victimes partent comme ça…”
Karim Tabbou (FFS)
“C’est un véritable repli. C’est un système qui se referme. Toutes les ouvertures d’Octobre se referment. En 2010, le pouvoir interdit aux universitaires de participer à des rencontres scientifiques à l’étranger, il interdit aux mairies de faire des jumelages, il y a une razzia sur le mouvement associatif et une violence contre les associations de la société civile.
On a abouti à des situations où le Snapap a été divisé en trois, le Satef en deux, la Ligue des droits de l’Homme en deux structures… L’infiltration, le chantage financier et les coups de force de l’intérieur, voilà les méthodes utilisées par le régime pour diviser toutes les organisations autonomes. La Constitution de 1989 a été finalement rattrapée par la Constitution de Bouteflika.
On a repris le chemin du parti unique. Les évènements de 88 sont finalement un fleuve détourné. Les Algériens ont été punis durant les dernières années pour avoir demandé la liberté. En 88, les jeunes avaient les moyens de sortir dans la rue, aujourd’hui, ils sont devenus harragas.
Sur le plan politique, on s’est retrouvé dans un pays unique avec plusieurs partis uniques. Sur le plan économique, l’approche sérieuse de la Constitution de 89 qui préconisait l’ouverture avec une dimension sociale, a été remise en cause. Le pouvoir est revenu sur tous ce qu’a fait Hamrouche. Aujourd’hui, le pays est hors normes, il est rangé par la corruption.”