L’un des leviers efficients sur lesquels devra s’appuyer l’Algérie pour protéger et promouvoir la production nationale et assainir son économie reste inéluctablement l’éradication du commerce informel. Le marché parallèle, qui gangrène l’économie nationale depuis de longues décennies, continue d’imposer son diktat devant le regard impuissant, voire apathique, des responsables en charge du dossier. Les pouvoirs publics, à commencer part le ministère de tutelle, avouent leur échec ou, du moins, leur incapacité à cerner avec précision l’ampleur de ces activités commerciales illicites. Toutes les stratégies élaborées dans ce sens par les gouvernements qui se sont succédé ont montré leurs limites.
Selon des statistiques avancées par des experts, le secteur informel représente 50% de la taille de l’économie nationale. Cette boîte de Pandore détiendrait environ 600 milliards de dinars, soit 17% de l’ensemble des revenus primaires nets des ménages algériens. D’autres spécialistes estiment que l’économie informelle brasserait 50% de la masse monétaire en circulation, soit 62,5 milliards de dollars.
Ces données sont corroborées par la Banque d’Algérie dans une note datant de 2012. Selon un document du ministère du Commerce, il existerait 12 000 sociétés-écrans avec une transaction qui avoisinerait 51 milliards d’euros, soit 66 milliards de dollars. Ce qui représente plus de quatre fois le chiffre d’affaires de quelque 500 grandes entreprises privées. D’autres observateurs indiquent que ce circuit clandestin représente entre 30 et 50% de l’économie nationale. C’est dire que pour tirer cette fâcheuse épine du pied, l’État doit inévitablement changer son fusil d’épaule et doubler d’efforts. Car toutes les transactions commerciales se traitent encore en cash, alors que le fondement d’une économie saine exige l’utilisation du crédit et le contrat. Ce manquement à la réglementation explique, en grande partie, la corruption qui freine le développement du tissu productif. Par ailleurs, la nouvelle réglementation d’approvisionnement en produits de large consommation imposée aux grossistes et détaillants a provoqué un véritable cataclysme sur les principales places commerciales informelles du pays.
Cette mesure, qui exige la fourniture par les détaillants (aux grossistes et transformateurs) de documents sur leurs activités, notamment le registre du commerce, l’achat par facture et leur bilan comptable, ainsi que l’utilisation du chèque pour les paiements de marchandises, a secoué le marché parallèle dans son intégralité. Si les grossistes des espaces non officiels de Smar, d’El-Hamiz, d’El-Harrach… ont tenté, tant bien que mal, de s’adapter à cette décision gouvernementale, les petits détaillants informels, en revanche, en ont subi les conséquences.
Convaincre ces marchands indélicats de régulariser leur situation
Ils sont tenus de se conformer à la loi, faute de quoi, ils seront interdits d’activité. N’ayant pas les moyens matériels et financiers et les qualifications nécessaires pour entrer dans le circuit officiel, ces marchands occasionnels ont choisi, contre vents et marées, l’option du maintien de leur business. Ils font fi de toutes les lois régissant les activités commerciales. Ils sont, en fait, devant un dilemme : officialiser leur commerce demande des capacités multiples inaccessibles, et s’ils poursuivent leur activité informelle, ils risqueront d’être débusqués par les contrôleurs. Et dans ce cas précis, c’est tout un avenir qui se rembrunit.
Pis encore, tant de familles et autant de bouches à nourrir qui ne trouveront pas de quoi se sustenter. La lutte contre ce phénomène provoquera moult réactions et souvent violentes de la part de cette catégorie de citoyens. Les agissements de ces jeunes concitoyens, à qui on enlève leurs revenus quotidiens, forment en réalité ce cri de sédition, lancé à l’égard des gouvernants. Ils n’ont d’autre alternative que ce circuit parallèle afin d’assurer quelques entrées financières, quand bien même illégales.
Et si l’on ose extirper ce commerçant de fortune de son “tbazniss”, l’on coupera les vivres à toute une famille. L’informel demeure donc cette alternative vitale pour des femmes au foyer, des adultes ayant perdu leur emploi, et même des enfants et des jeunes gens qui arrivent sur le marché de l’emploi…
Ces quelques chiffres illustrent parfaitement l’étendue de ce marché, qualifié d’invisible, mais géré de manière structurée par ses acteurs. Si des mesures plus convaincantes et pas nécessairement coercitives ne sont pas prises, ce marché risque de mettre tout un pays sur le carreau. Des actions ont été entreprises pour son éradication, certes, il n’en demeure pas moins que le chemin à parcourir dans ce sens s’est avéré encore plus long. La tutelle a vite compris que la solution ne réside guère dans la répression tous azimuts des acteurs de cet espace clandestin. Bien au contraire, le défi que doit relever le département d’Amara Benyounès est de réussir à convaincre ces “vendeurs malveillants” à suivre la voie de la légalité en leur proposant des solutions concrètes.
Le ministère gagnerait à leur offrir, en fait, la chance de pouvoir régulariser leur situation. Il faut, pour cela, étudier avec minutie les raisons qui poussent ces citoyens indélicats à jeter leur dévolu sur ce monde de transactions parallèles. La principale raison à l’origine de ce choix “imposé”, ce sont toutes les conditions jugées inaccessibles pour exercer ce métier en toute conformité à la réglementation en vigueur. Afin de les inciter, les attirer à la régularité, les responsables concernés doivent arrêter ainsi une batterie de mesures de facilitation.
L’on peut citer les modalités d’obtention du registre du commerce, l’accès au financement bancaire, l’achat ou la location d’un local… Si tout ce soutien est apporté et que ce “marchand de trot