Précarité sociale dans la plupart des cas, mais aussi parfois problème d’ordre familial. Ce sont les principaux ressorts du phénomène du suicide
À Mostaganem, “l’explosion” des Printemps arabes a boosté le phénomène du suicide banalisé qui, jusque-là, se limitait à la pendaison et à l’absorption de produits phytosanitaires ou détergents.
Pour ne citer que quelques exemples concernant l’année 2011, on se remémore tristement les tentatives de suicide de deux étudiants au campus de la Salamandre, qui voulaient se jeter du haut d’un immeuble, un certain 25 avril, pour contester une décision de l’administration qu’ils avaient jugée abusive.
Au premier jour du Ramadhan, un jeune pieux notoire, âgé de 28 ans, s’est immolé par le feu à l’intérieur du domicile parental. Sa mère, qui tentait de le secourir, a été, elle aussi, atteinte par les flammes. Les deux malheureuses victimes, ayant succombé à leurs brûlures, avaient nourri l’émoi, des semaines durant, à travers toute la région de Bouguirat.
La raison ? Un banal malentendu avec le père qui refusait catégoriquement la main de la fille que le fils voulait épouser ! Le 10 octobre, le drame se déplace à Aïn Nouissy où une jeune femme, âgée de 26 ans, se donna la mort en usant de l’arme de son mari, policier de son état. La dernière semaine de l’année 2011 a été marquée par la tentative de suicide par immolation d’un jeune, au sein même du siège de la wilaya, devant l’antenne locale de l’Ansej.
Le jeune s’était aspergé d’essence et était sur le point de commettre l’irréparable, si ce ne fut l’intervention courageuse de certains fonctionnaires présents sur place. Ce jeune homme était “fatigué” par les tergiversations de l’Ansej qui aurait continuellement remis à plus tard le traitement de son dossier. L’année suivante ne semble point davantage plus “rose” et heureuse, dès lors que le drame avait repris un certain 16 janvier 2012.
Le jeune S. Touati, 34 ans, sans emploi, a tenté de s’immoler devant le siège de la sûreté de wilaya de Mostaganem. Aspergeant d’essence les membres inférieurs de son corps, avant d’y mettre le feu, il ne dut son salut qu’à l’intervention rapide de nombre d’agents de police, accourus pour éteindre le feu. La victime, sauvée in extremis, garde toujours les cicatrices indélébiles de ses brûlures.
Il y a, à peine une dizaine de jours, le pire a été évité une fois de plus, devant le siège même de la sûreté de daïra de Sidi-Lakhdar, à Mostaganem. B. Maâmar, encore célibataire à 32 ans révolus, vivant toujours aux dépens de sa famille relativement nombreuse, venait de céder à la patience de subir davantage le ballottage de la bureaucratie, entre la daïra et le siège de la wilaya. Voilà pas moins de quatre longues années qu’il “court” pour l’obtention d’un local, où il espérait installer un atelier de ferronnerie puisque c’est là son domaine.
“Quelle alternative pouvezvous entrevoir quand plus personne ne vous prête l’oreille ? À quelle hiérarchie vous adressez-vous pour vous plaindre quand le wali vous accorde le principe de l’accès au local, alors que ses subalternes ne daignent pas s’exécuter ? À qui se plaindre ? À Bouteflika ? À un quelconque ministère ? Au Bon Dieu ? Au final, la clé des problèmes demeure entre les mains des seuls décideurs d’ici-bas”, dira-t-il.
Maâmar ne tarit pas de mots pour expliquer les raisons de sa tentative d’immolation, fort heureusement avortée par les policiers accourus pour le délester de ses bouteilles d’essence. Si ce n’était la vigilance de ces derniers, sentant son allure suspecte, Maâmar ne serait plus de ce monde.
La crise ultime a été apaisée, mais sans avoir, pour autant, été définitivement solutionnée. Maâmar s’est ressaisi, reprenant son mal en patience, en rouvrant son atelier “à ciel ouvert” devant le domicile parental, mais sans regretter outre mesure son geste désespéré ni, plus grave encore, abandonner définitivement la “solution” du suicide ! Qu’on se le dise, il y a moult risques et périls en l’entretien de l’oreille sourde de la bureaucratie.
M. O. T.
D. FARID, LE MIRACULÉ DE MILA: “ET SI JE VENAIS À RÉCIDIVER, JE LE FERAIS DEVANT LE SIÈGE DE LA WILAYA”
Farid, père de famille âgé de 44 ans, originaire de la commune de Sidi-Merouane, au nord de Mila, a tenté de mettre fin à sa vie en s’immolant par le feu, un certain matin du mois de décembre 2010.
En effet, écarté de la liste des bénéficiaires des 40 logements sociaux attribués fin 2010, Farid, père de quatre enfants en bas âge, s’est aspergé d’un liquide inflammable, à l’intérieur même du bâtiment municipal, et a mis le feu à son corps. Secouru par des citoyens se trouvant sur les lieux et par des éléments de la gendarmerie, Farid est évacué à l’hôpital de Mila où il passera sa journée sous surveillance médicale.
Dix-huit mois après cette triste épreuve, l’infortuné garde toujours le traumatisant, le cauchemardesque souvenir de son corps qui prenait feu, ce corps qui porte toujours les stigmates indélébiles des langues de feu. Nous l’avons approché dimanche pour savoir si, depuis, sa situation sociale s’est améliorée.
Le constat est sans appel. “Nous sommes, mes enfants et moi, accablés de misère. Je suis au bord de la folie. Certes, on m’a accordé un logement, mais je n’ai même pas de quoi payer le loyer ni les factures de gaz et d’électricité. J’ai postulé à un crédit Cnac pour concrétiser un projet de boulangerie-pâtisserie, mais on me fait poireauter depuis près de deux ans.
Je ne sais plus où donner de la tête. Et à présent, toute ma pensée est dominée par une seule idée : rééditer la mésaventure de décembre 2010. Et si je venais à récidiver, je le ferais, cette fois, devant le siège de la wilaya”, dira-t-il. Gérant d’une bicoque où il confectionne et vend de la pizza, Farid est financièrement dépassé, compte tenu des maigres retombées pécuniaires qu’il tire de son modeste commerce.
Des revenus si maigres d’ailleurs qu’il n’arrive pas à mettre de côté de quoi s’acquitter de son loyer et de ses factures d’énergie. “Je n’ai pas payé le loyer ni l’électricité et le gaz depuis pratiquement une année. Une partie de mes recettes va aux lotions et pommades que j’utilise contre les lésions qui me hantent toujours.
Le reste ne suffit même pas au pain quotidien, j’ai six bouches à nourrir. Je vous assure que si des agents de l’OPGI ou de Sonelgaz viennent pour l’encaissement, par Dieu, je leur ferai voir des vertes et des pas mûres”, dira-t-il sur un ton menaçant. Discret, n’aimant pas à se confier à tout-venant, Farid nous susurra : “Si j’obtiens ce crédit Cnac, je ferai travailler jusqu’à une dizaine de personnes. Pour avoir traîné ma bosse partout, je sais ce que c’est qu’une boulangerie-pâtisserie.”
Kamel Bouabdellah
S’ASPERGER D’ESSENCE AVANT D’ALLUMER UN BRIQUET À TIARET: “MÊME S’IL ÉCHAPPE À LA MORT, IL GARDERA DES SÉQUELLES
ÀTiaret, l’année 2012 est caractérisée par un phénomène grave qu’est le suicide par immolation. En effet, le premier cas a été enregistré au mois de janvier. Il s’agit de M. Hicham, un jeune homme de 22 ans et vendeur de lunettes de son état, qui s’est aspergé d’essence sur la place publique.
Ce dernier, habitant la cité Oued Tolba, dans la périphérie sud de la ville, n’a pas accepté la décision et le comportement d’un policier venu le “chasser” de l’endroit où il s’affairait à vendre des lunettes. Profondément touché, M. Hichem, ne pouvant plus se maîtriser, s’est aspergé d’essence avant d’allumer un briquet.
Des citoyens présents sur les lieux l’ont aussitôt évacué à l’EPH Yousef-Damardji où l’on lui prodiguera les premiers soins avant de l’évacuer au CHU d’Oran avec des brûlures de 3e degré. La victime a rendu l’âme à Aïn Defla, lors de son transfert vers le centre des grands brûlés de Douéra. Ce drame, considéré comme un ultime appel aux autorités locales, sourdes aux préoccupations des jeunes, a été émaillé de manifestations populaires déclenchées le jour de l’immolation et accentuées lors de l’enterrement.
Au début du mois d’avril, c’est le lycéen R. G. Walid, âgé de 16 ans, qui suivra le chemin de Hichem en s’aspergeant d’essence dans la cours de l’établissement situé à la cité Sonatiba. Brûlé au 3e degré, il sera aussitôt évacué vers le centre des grands brûlés de Douéra où, après un coma profond, il rendra l’âme une semaine plus tard.
Le 22 du même mois, Y. Mohamed, un jeune de 22 ans et originaire de la wilaya de Mostaganem, a été sauvé in extremis par les éléments de la Police judiciaire. Ce dernier, de passage à Tiaret, avait tenté de se suicider en s’arrosant d’essence, vers 22 heures, sur la place Carnot, en face du commissariat de la Police judiciaire. Les policiers se sont hâtés pour éteindre la flamme et l’évacuer à l’hôpital Yousef-Damardji où il a reçu les premiers soins.
Cependant, contrairement aux deux premières victimes, Mohamed a échappé à la mort. Mais, selon certaines informations, ce dernier garde toujours les séquelles de ce qu’il a vécu. S’agissant des parents des victimes, ils avouent ne rien comprendre à ce phénomène sinon que la situation précaire que ces jeunes enduraient les a poussés à l’irréparable.
“La malvie et l’exiguïté qui nous rongeaient ont eu raison de mon frère qui a rejoint l’au-delà à la fleur de l’âge”, relatera la soeur de Hichem qui ne cesse, aujourd’hui, de solliciter des audiences auprès du wali de Tiaret pour réclamer un cadre de vie plus décent. Aux dernières nouvelles, les autorités locales ont pris sérieusement le cas de cette famille en charge.
Chez les spécialistes, médecins et psychologues, on considère la tentative de suicide par immolation comme un geste auto-agressif réalisé avec une ferme intention de mourir. Mais ce sont, en réalité, des comportements très hétérogènes. “Chez les jeunes, un tel acte est souvent impulsif et irréfléchi.
Il intervient généralement dans une condition difficile : rivalité avec les parents, antagonisme amoureux, difficultés scolaires”, expliquera une psychologue que nous avons abordée. Cette dernière estime qu’un tel geste est souvent considéré comme “un appel au secours” et il n’y a pas lieu de le banaliser. Au contraire, dira-t-elle, il faut le prendre en charge et apporter le secours demandé.
Néanmoins, on pense aujourd’hui qu’il existe une fragilité spécifique chez certaines personnes, notamment les jeunes, tant on retrouve dans toutes les tentatives de suicide des difficultés personnelles, des problèmes sociaux, financiers ou encore judiciaires.
Par ailleurs, parler de tentative de suicide veut absolument signifier que quelque chose ne va pas au sein de la société. Ainsi, c’est l’ensemble de la société qui est interpellée : parents, enseignants, mouvement associatif… et, à plus grand égard, les pouvoirs publics qui doivent penser à l’insertion des jeunes et à leur réhabilitation dans un cadre de vie meilleur.
R. Salem