La place Tahrir du Caire était noire de monde vendredi après-midi, comme au plus fort de la révolte égyptienne, qui a entraîné la chute du régime Moubarak. à cette différence près que cette place emblématique était aux couleurs islamistes et, plus particulièrement, aux couleurs des Frères musulmans, qui dominent la scène politique depuis les dernières législatives.
La manifestation avait un objectif précis : empêcher la candidature à l’élection présidentielle des 23 et 24 mai prochain d’acteurs de premier ordre ayant servi, d’une manière ou d’une autre, le régime de Moubarak. Trois personnalités ayant toutes fait part de leur décision de se porter candidats sont principalement ciblées : Omar Souleimane, le chef des services de renseignement égyptien accusé de bénéficier du soutien de l’armée actuellement au pouvoir, Ahmad Chafik, le dernier chef de gouvernement nommé par Hosni Moubarak en plein soulèvement de la rue, et Amr Moussa, ancien patron de la Ligue arabe et longtemps ministre des Affaires étrangères du raïs déchu. “Ni Chafik ni Souleimane !” et “Non aux restes de l’ancien régime !”, scandait-on notamment parmi les manifestants, qui n’ont pas hésité à s’en prendre directement à l’institution militaire en reprenant en chœur que “le peuple veut faire tomber l’armée”. Les manifestants brandissaient les portraits de leaders islamistes, y compris ceux de salafistes connus, ce qui signifie une jonction sur le terrain de toutes les fractions de la mouvance intégriste, malgré les dénégations tactiques des responsables des Frères musulmans. Le candidat des Frères musulmans aux prochaines présidentielles, Khayrat Al-Chater, est intervenu pour dénoncer le retour de Omar Souleimane sur la scène politique, qu’il qualifie de tentative de “voler la révolution”. Pour sa part, un chef salafiste, Hazem Abou Ismaïl, venu d’une lointaine province, a affirmé que les manifestations continueraient “jusqu’à ce que ces gens partent”, sans préciser s’il s’agit des candidats décriés ou des militaires. Cette manifestation, qui marque l’entrée de l’égypte dans une ère de confrontation directe entre islamistes et militaires, est venue en appui à une initiative parlementaire prise la veille, jeudi. Le Parlement, dominé par les islamistes a approuvé un amendement interdisant aux cadres de l’ancien régime de se porter candidats à des postes de haute responsabilité. Mais ce texte, avant d’entrer en vigueur, doit être approuvé par l’armée, d’où cette démonstration de force islamiste pour faire pression sur elle. Les libéraux et les laïcs, eux aussi hostiles à la candidature d’anciennes figures du régime, se sont abstenus de manifester avec les islamistes, mais prévoient leur propre manifestation le 20 avril prochain. Les islamistes condamnent cette attitude, affirmant qu’elle n’est motivée que par leur victoire “démocratique” aux législatives, qu’ils n’arrivent pas à accepter dans les faits. En réalité, les démocrates laïques et libéraux sont victimes d’une double spoliation. Celle de l’armée qui détient les rênes du pouvoir et celle des islamistes en voie de le conquérir. Ce sont eux, avec la jeunesse égyptienne, qui ont animé la révolte populaire, couru tous les risques et payé le prix du sang pour faire chuter l’ancien régime, en quête d’une ère nouvelle, faite de liberté et de modernité. Les Frères musulmans et les salafistes se sont bien gardés, le long des évènements sanglants, de s’illustrer de quelque manière que ce soit. Ce sont pourtant eux les premiers bénéficiaires et ils prétendent, aujourd’hui, protéger une révolution qu’ils n’ont pas faite. Lorsqu’ils parlent de “tentative de (se faire) voler la révolution”, ils feignent d’ignorer qu’ils ont été les premier à la voler par un véritable hold-up électoral.
Une chose est néanmoins évidente aux yeux de l’égyptien le moins averti : les Frères musulmans ont monté leur vraie nature et leur propension à la ruse et au mensonge. N’ont-ils pas promis qu’ils s’abstiendraient de rechercher et d’obtenir la majorité au Parlement ? Ils l’ont pourtant cherchée et obtenue. N’ont-ils pas juré qu’ils ne présenteraient pas de candidat à la présidence ? Ils en ont bien présenté un et feront tout pour les remporter, notamment en tentant d’écarter de la course des adversaires susceptibles de contredire leurs desseins. N’ont-ils pas promis de rejeter tout rapprochement avec les salafistes ? Ils votent pourtant les mêmes amendements et manifestent la main dans la main… Mais, en égypte comme ailleurs dans le monde, cela est la nature même de l’islamisme.
M. A. B