Ils boudent la politique et préfèrent le sport : Les jeunes Algériens sont «foot»

Ils boudent la politique et préfèrent le sport : Les jeunes Algériens sont «foot»

sup_khartoum.jpgC’est dans les titres de la presse sportive et les gadgets de la haute technologie que les jeunes cherchent leur monde.

«Je suis apolitique!». Cette phrase tombe comme une sentence de la bouche de Farid. Ce jeune de 24 ans est étudiant en commerce. A son oreille est suspendu l’écouteur de son kit-man. C’est dans la musique qu’il cherche le pays de son rêve. Sur les pas de ce rêve, nous parcourons la rue Hassiba-Benbouali à Alger. La chaleur est suffocante.

Il est 11h30. La voie publique est semblable à un fleuve métallique bouillonnant. Une file interminable de véhicules s’est formée. Des klaxons par-ci, quelques amabilités par-là. Sur les deux bord de la route, le soleil brûlant semble avoir imprimé un rythme infernal aux piétons.

Ils essayent tant bien que mal d’échapper a l’astre flamboyant qui dardent ses rayons. Seul bémol à cette frénésie, Kamel adossé à un mur, à l’entrée d’un immeuble. A la main, un journal de sports. «Il n’y a que la presse sportive qui m’intéresse», avoue ce fleuron, la vingtaine à peine entamée.

La balle ronde lui sert de refuge contre les aléas du quotidien. Son rêve perdu, il le cherche dans l’actualité sportive. «Je ne me reconnaîs ni dans le discours, ni dans les programmes politiques proposés par les partis», déclare Kamel d’un air las, et il replonge dans la lecture de son journal. Nous reprenons notre chemin vers la place Audin. Arrivés à côté d’un fleuriste, nous sommes accueillis par les parfums des roses, du jasmin, du basilic et d’autres fleurs. Ces senteurs nous transportent. Elles caressent le feuillage des arbres qui bordent la chaussée. Cette sensation de fraîcheur nous mène vers un café. Nous nous attablons en compagnie de trois jeunes: Nassim, Ahmed et Smaïl. Quelques titres de journaux traînent sur la table. Fait curieux: tous ces titres appartiennent à la presse… sportive!

La discussion tourne autour de la victoire de la JSK contre El Ismaily, en terre égyptienne. «Selon Hannachi, l’arbitre a lésé la JSK. Sans sa partialité, les Ismailys auraient pris un carton», s’enthousiasme Smaïl. Une flamme luit dans les yeux de cet étudiant en sciences politiques. Son visage s’illumine d’un sourire. La sortie réussie de la JSK en Ligue des champions africaine lui donne des ailes.

«La JSK est le premier club algérien à avoir battu un club égyptien en Egypte. Cela devrait inspirer certains», ironise-t-il. Son compagnon, Djamel, a saisi le sens de ces derniers mots. «Que tu le veuilles ou non, l’ESS est le club qui domine actuellement le championnat», réplique-t-il sèchement. Nassim est un fervent supporter de l’Aigle noir. Sa ferveur est vite tempérée par Ahmed.

«Vous dominez au point que c’est le Mouloudia qui a été sacré champion cette année», rappelle ce dernier à son ami. L’actualité politique vous intéresse-t-elle au même titre que la sportive?…Un moment de silence. Echange de regards entre les trois amis. Un sourire ironique se dessine sur le visage de Smaïl. «En politique, il n’y a que des cadeaux empoisonnés.»

Ce jeune homme donne l’impression d’une personne désabusée. Cette réflexion est le fruit de quelques années de militantisme au sein d’un parti politique. En fait, Smaïl a connu la désillusion du jeune militant ambitieux. Ses propos sont amères. Cette amertume nourrit l’inquiétude de Nassim. «Je ne m’intéresse pas à la politique car j’ai peur d’être déçu», avoue-t-il sur un ton désarmant d’innocence. Dans ses yeux se lit une crainte confuse. Nous suivons son regard. Il se perd dans la foule, ce fleuve humain qui coule comme deux parallèles sur les deux côtés de la route carrossable.

La parenthèse politique est fermée. Les trois amis reprennent leur discussion.

Laissons-leur ce loisir. Un soleil de plomb est sur nos têtes. Nous rasons les murs pour marcher à l’ombre.

Un taxi arrive. Nous le hélons. «El Biar?», lui lançons-nous. Il s’arrête. Nous prenons la direction des hauteurs d’Alger.

Le taximan commente la lecture de Abdehamid Mehri sur les relations algéro-françaises. «C’est un moudjahid qui, après l’indépendance, a occupé des postes importants. Donc, il connaît les tenants et aboutissants des relations entre Alger et Paris», estime ce dernier. Assis à droite, un jeune lui répond d’un geste par la tête.

«Quoi? ce que dit Mehri ne vous intéresse pas?», s’étonne le taximan. «Pas plus que ne m’intéresse ce que disent tous les politiques», répond le jeune homme, coiffé d’une casquette. Mieux, il avoue n’avoir jamais voté. «A quoi bon le faire?», demande-t-il. Cette question laisse pantois le chauffeur. Le silence s’installe dans la voiture. Le taximan allume la radio. Des airs chaâbi s’élèvent. Nous sommes bercés par la douceur de la mélodie.

Quelques moments de magie et nous arrivons à Saint Raphaël. Nous descendons et nous dirigeons vers le balcon éponyme. Sur les lieux, nous sommes subjugués par le spectacle époustouflant d’une ville splendide étendue comme un bijou et la mer à ses pieds, qui loue sa beauté.

Cela dit, ce spectacle est quelque jeu altéré par cette question lancinante: quel avenir pour un pays dont la jeunesse se désintéresse de la politique?

Mohamed Sadek LOUCIF