Les soldats français fracassant les rideaux des commerces fermés durant la grève des 8 jours
Était-ce une bonne chose cette grève des 8 jours? Était-ce une gageure de la part du FLN, au vu de la répression qui s’est abattue sur les militants et le peuple en général, peu après son entrée en vigueur? Autant de questions qui exigent de nous des réponses après 56 ans, depuis ce 28 janvier de l’année 1957.
Sans hésitation, nous répondons que cette grève a été un tournant décisif qui a consolidé cette rupture, créée par l’appel du 1er Novembre, entre le colonisateur et le peuple. En effet, elle a suscité l’approbation de tous les commerçants à travers le pays et conforté la place et le rôle du FLN, en tant que représentant légitime du peuple algérien. Car, en tout état de cause, «malgré les arrestations et la répression s’abattant sur la population d’Alger, le 28 janvier, la capitale est paralysée par le mouvement de grève initié par le FLN. Et bien que la population algérienne soit exposée aux différentes intimidations, les autorités coloniales constatent amèrement que les Algériens sont prêts à braver la mort pour que leur pays soit enfin indépendant». (1)
Alors, en évoquant cette grève décidée par le FLN – par son expression consacrée: la grève des 8 jours – il y a lieu d’insister, tout particulièrement, sur le rôle prédominant joué par l’Ugta, surtout par son syndicat des commerçants, l’Ugca (l’Union générale des commerçants algériens). Et ainsi, avant d’en parler, avec les détails qui conviennent à cet événement historique à plus d’un titre, voyons les circonstances dans lesquelles est intervenue cette grève qui constitue une des étapes les plus importantes dans l’histoire de l’évolution du mouvement révolutionnaire algérien, car étant intimement liée au développement de la question algérienne auprès des Nations unies.
Le pays vivait dans la violence d’une guerre menée différemment par ses antagonistes, car inégale sur les plans des troupes et de l’armement. Les campagnes subissaient le feu craché par la mitraille, les canons et le napalm d’une armée de plus en plus puissante et décidée à vaincre quel qu’en soit le prix que paieraient les Algériens, et la chasse à l’homme s’intensifiait dans la capitale.
«L’acharnement de la France à mettre un terme à la Révolution s’est notamment accru après que le Congrès de la Soummam ait défini les différentes bases organisationnelles et structurelles qui ont permis à la Révolution de susciter l’adhésion populaire. La politique française s’est concrétisée à travers l’intensification des opérations militaires, l’augmentation du nombre de soldats, l’appel aux forces de l’Otan, la création de zones interdites, de camps de concentration et le recours à la piraterie aérienne par le détournement de l’avion des cinq leaders en octobre, pensant ainsi mettre fin à la Révolution.» (2)
Alors, en application des décisions du Congrès de la Soummam visant à une recrudescence de l’action révolutionnaire et politique et l’implication de toutes les couches du peuple algérien dans la Révolution, une réunion fut tenue le 22 janvier 1957 à Alger par les membres du CCE (Comité de coordination et d’exécution). Après avoir étudié plusieurs propositions, Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi et Benyoucef Benkhedda arrêtèrent la date du 28 janvier 1957 pour entamer la grève et ce, avant l’examen du dossier de la question algérienne à New York, aux Nations unies.
Le rôle déterminant de l’UGTA
C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’a émergé surtout le rôle de l’Union générale des travailleurs algériens, Ugta, de l’Union des commerçants, Ugca et de l’Union Générale des Étudiants musulmans algériens, Ugema. Ce qui démontre la prise en charge de la Révolution par le peuple et, partant, son attachement à sa revendication fondamentale, à savoir le recouvrement, sous la direction du Front et de l’Armée nationale populaire, des droits dont il a été spoliés.
L’Ugta donc, comme signalé auparavant, a joué un rôle déterminant au cours de cette grève des 8 jours, que ce soit dans la préparation ou dans la mise en oeuvre. Parce que la grève concernait, dans une vaste proportion, en tout cas dans l’espace géographique du pays, le monde du travail avec tous ses ouvriers, ce potentiel conséquent dans une population active où, s’agissant du destin de la Révolution et de l’Algérie, les militants avaient leur mot à dire.
Cette mission a conduit le secrétariat national d’alors à accentuer son action sur le terrain en faisant appel à Mahfoud Zefouni, un employé des tabacs et à Mohamed Akeb, employé à la Rsta. Avec ces deux baroudeurs, la direction de l’Ugta réalisait le groupe aguerri qu’exigeait la prévisible tempête. A ces hommes valeureux s’ajoutait l’infatigable militante que fut Nassima Hablal pour qui, tous les syndicalistes portaient une très grande estime. Un comité de grève a été chargé pour la suivre dans les moindres détails. Il était composé des frères Noureddine, Rahmoun Dekkar, Mahfoud Zefouni, Mustapha Zitouni, Mahieddine Bourouiba et de Nassima Hablal, qui assurait le secrétariat et les liaisons avec le CCE.
C’est alors qu’unis et solidaires, ces responsables se préparaient, dès le début de l’année 1957, à affronter ce qu’ils appelèrent «La grande bataille» annoncée par le dernier numéro de «L’Ouvrier Algérien». (3) Un extrait de cet appel qui affirmait que l’action de l’Ugta, dans cette grève, n’était pas dirigée contre les travailleurs algériens d’origine européenne, mais visait leurs gouvernants:
«Travailleurs algériens dont la vigilance est endormie par le poison colonialo-raciste, vous mesurerez bientôt avec horreur l’abîme de votre conduite honteuse, dégradante, aveugle, insensée.
Votre conscience tourmentée par un remords ineffaçable ne pourra retrouver la paix intérieure qu’avec l’abandon du mauvais chemin de l’égoïsme, de l’injustice, de la haine et le retour dans la voie droite de la fraternité ouvrière. Il est peut-être temps encore de vous dégager de l’hypnotisme socialo-colonialiste. Avant qu’il ne soit trop tard, désolidarisez-vous du bourreau Lacoste.» De cet appel, nous savons maintenant – et il faut le souligner fortement – que la grève du 28 janvier 1957 s’est faite au nom du FLN, mais aussi de l’Ugta. D’ailleurs, Ali Yahia Abdenour n’a jamais cédé sur la signature de cet appel à la grève. Ainsi, lorsque paraîtra «L’Ouvrier Algérien», il ne restera que peu de temps avant la grande bataille des 8 jours. Et là, le moment de vérité s’imposait à tous quand, le 28 janvier 1957, le FLN en étroite relation avec l’Ugta, l’Ugca décidait d’engager cette importante mission qui allait durer 8 jours.
Noureddine Skander, membre du comité de préparation de la grève, comme signalé auparavant, évoquera plus tard cette phase de la lutte des ouvriers et du syndicat:
«… La grève est totale et spectaculaire durant les trois premiers jours. Elle a eu un impact profond, national et international. Massu réussit à briser le mouvement par une répression sans précédent qui annonce déjà la méthode de combat de la Bataille d’Alger. Les syndicalistes, encore libres, sont identifiés, repérés et traqués. Les plus menacés rejoignent les maquis et l’étranger… Au cours de cette période, les responsables de l’Union des commerçants sont aussi identifiés et arrêtés. Parmi eux Amar Ouzegane, proche collaborateur du CCE. Un groupe de fidayine comprenait quelques anciens syndicalistes qui font partie du groupe de personnes qui sont placées en détention préventive…»
Objectifs atteints
Les objectifs de cette grève – pourrait-on se demander – ont-ils été atteints? On ne répondra que par l’affirmative car, malgré toutes les peines que le peuple algérien devait endurer pendant ces journées de grande épreuve et la satisfaction qu’il éprouvait quand, comme un seul homme, il s’est dressé devant la plus coriace puissance que le destin lui a léguée pour mesurer, à leurs justes valeurs, les souffrances des opprimés, il a su marquer cette action de résultats escomptés. Oui, les objectifs ont été atteints même si nous devons dire que 1957 a été une année bien dure pour tout le monde. En effet, elle l’était car, pendant cette grève des 8 jours, l’immobilisme des réseaux et des militants du FLN, pendant un certain nombre de jours, «a facilité la découverte de responsables à tous les niveaux. Ainsi, les arrestations massives, suivies de tortures systématiques ont permis d’obtenir des renseignements, d’identifier les principaux dirigeants politico-militaires d’Alger et de tous les responsables d’organisations qui apportaient un appui à l’action du FLN». (4)
Larbi Ben M’hidi a été arrêté en février 1957 et assassiné après avoir subi d’affreuses tortures. Le 1er mars 1957, le «Journal d’Alger», faisait état de cet événement concernant le membre du CCE et du Cnra. Même Aïssat Idir, incarcéré à cette époque, eut sa part dans ce même communiqué qui le déclarait membre du Cnra, ayant été désigné par le Congrès de la Soummam, le 20 août 1956. De ce fait, le colonel Godard ne l’a pas épargné par un commentaire malveillant à une presse tout aussi malveillante que provocatrice et humiliante:
«Aïssat Idir, membre du Cnra et Skander Noureddine sont de dangereux responsables. A eux deux ils valent 6 katibas, 6 compagnies militaires.»
Le colonel Godard manifestait une véritable obsession dans cette affaire de grève des 8 jours et s’employait à neutraliser toute l’organisation du FLN et la Centrale syndicale. Et c’est pour cela que les militants et les syndicalistes, comme ceux qui les entouraient, n’ont jamais oublié ces journées interminables. Leurs compagnons de lutte, lorsque l’on fait référence à leur courage, «n’ont fait que leur devoir», disaient-ils pour ne pas aller dans la surenchère. C’est vrai qu’ils n’ont fait que leur devoir, mais il y a lieu de dire quand même qu’une fois la grève terminée, elle devait révéler l’étendue et la gravité des pertes subies par l’organisation politico-militaire, le mouvement ouvrier et la population d’une façon générale. Que faire donc pour échapper à ce qui ressemblait à une fatalité afin de poursuivre le combat d’une façon ou d’une autre, et rester au service de la Révolution? Mais là, la réflexion devait être rapide car le choix des solutions offertes était très limité. Et ainsi, les militants ont choisi la solution qui a été celle où plusieurs devaient opter pour le chemin du maquis pour combattre auprès de leurs frères djounoud jusqu’à la mort, ou jusqu’à la libération du pays.
Ainsi, et on ne le dira jamais assez, les objectifs de la grève des 8 jours ont été atteints, et les résultats sur le terrain de la réalité…, on peut les qualifier de très positifs, sans aucun doute. Parce que cette grève a permis aux travailleurs et à l’ensemble du peuple algérien, de recouvrer des droits et gagner une première bataille politique, c’est-à-dire l’audience du FLN sur le plan interne et externe. Quant à la victoire politique sur le plan international, elle se situait au niveau du débat sur la question algérienne qui allait durer plus de dix jours et qui démontrait que le problème algérien était l’un de ceux auxquels devaient s’appliquer les principes de la Charte des Nations unies. Oui, cette grève visait ces principes relatifs au droit à l’autodétermination aux peuples sous domination coloniale.
(1) Blog Aït Benali Boubekeur
(2) Site de l’Ugta (Internet).
(3) Journal publié en Algérie par la Centrale syndicale Ugta, paru le 26 janvier 1957.
(4) Mohamed Farès dans «L’ouvrier Algérien»