Il ya 41 ans ,il adressait un mémorandum au conseil de la révolution,Kaïd Ahmed avait raison

Il ya 41 ans ,il adressait un mémorandum au conseil de la révolution,Kaïd Ahmed avait raison

Un visionnaire

Kaïd Ahmed est passé de vie à trépas le 5 mars 1978 à Rabat mais, «comme un poète qui meurt jeune, tandis que l’homme survit» (1), il demeure encore dans la mémoire des honnêtes gens, comme tous ces «Grands» qui ne cessent d’exister.

En effet, il est constamment rappelé aux bons souvenirs des Algériens, lui qui a obstinément dénoncé la corruption, et qui s’est attaqué aux «sectes» mafieuses qui, en son temps, et par pudeur – elle existait quand même -, ne s’exhibaient pas avec autant d’ostentation, comme elles le font actuellement, pensant que l’absolution leur est garantie.

Kaïd Ahmed le visionnaire

Kaïd Ahmed, que nous évoquons dans cet article est, parmi ces «Grands», bien désigné pour être revisité, en ces temps maussades où le vol, la corruption, l’enrichissement rapide et d’autres maux du siècle, se perpétuent effrontément, impunément chez nous, jusqu’à être banalisés au quotidien par une campagne médiatique qui nous semble interminable et infructueuse, malgré la volonté des gens de la presse qui essayent de s’acquitter correctement de leur tâche.

Ainsi, plus de quarante ans après son «fameux Mémorandum» de décembre 1972, destiné à ses pairs du Conseil de la Révolution d’alors, qu’a-t-il changé dans notre pays, sur le plan des moeurs politiques, de la gestion des institutions, de la compréhension de la gouvernance au sein des équipes dirigeantes qui se sont succédé durant toute cette période, enfin, sur le plan de l’orthodoxie dans le fonctionnement de tous les secteurs, en général et de la moralité des dépenses publiques, en particulier? Les «atteintes» que dénonçait hier Kaïd Ahmed et contre lesquelles il se dressait avec la force du responsable conscient, ont-elles disparu de notre «culture» pour permettre à la jeune génération d’évoluer selon les orientations longtemps serinées dans les manuels de bonne conduite de pays civilisés et du nôtre? Deux questions essentielles qui posent en réalité un même principe qui nous incite à aller au-devant d’un bilan, dont le résultat, hélas nous annonce des situations déplorables sur toute la ligne et dont nos gouvernants en sont les premiers responsables, par leur mauvaise gestion, par leur faiblesse, leur silence, voire leur indifférence, quand ce ne n’est pas par leur mépris, purement et simplement.

Mais avant d’exprimer notre avis sur la situation que nous vivons aujourd’hui, remontons cette période des années mille neuf cent soixante- dix, pour nous remémorer les mises en garde de Kaïd Ahmed, et reconnaître, de facto, non seulement qu’il avait entièrement raison, mais aussi qu’il ne voulait pas que l’on vive, plus tard, cet état de dégradation qui est le nôtre. Il s’avérait un bon visionnaire et possédait, effectivement, l’intuition et la clairvoyance du militant patriotique, aimant fortement son pays.

Pour étayer ce présent écrit, nous avons tiré des «archives» – qui sont là, et persistent à y être, comme l’oeil de Caïn – quelques bonnes feuilles qui nous rappellent ce «fougueux» dirigeant dans ce qu’on appelait alors, en termes qui ne lui convenaient pas, vraiment…, «les élucubrations de Slimane Klata» (2). Franchement, était-ce des élucubrations quand il dénonçait des situations, relativement «audacieuses» pour son époque, même si elles n’avaient pas encore atteint l’ampleur dangereuse que nous vivons aujourd’hui, avec l’insolence et le dédain des transgresseurs, de même qu’avec le détachement et l’impuissance des dirigeants «en extra»? Était-ce des élucubrations quand, maintenant, nous vivons «la totale», dans un climat de délabrement, où de «lourdes soustractions» et d’impressionnantes opérations de corruption font bon ménage avec l’impunité…? Enfin, était-ce des élucubrations quand il donnait, à ses compagnons du Conseil de la Révolution, une leçon de franchise et d’humilité, en affirmant que «nous avons quelque part échoué», et une autre leçon de courage, en soutenant absolument «qu’il faudrait changer les méthodes de gestion dans tous les domaines»? D’entrée, il plantait le décor, en abordant ainsi son Mémorandum de valeur historique, pour introduire la situation précaire que vivait déjà notre pays. Il relevait, avec l’audace et la fermeté qui lui étaient connues, l’état de la nation à l’ombre de contraintes d’«un environnement malsain, pollué par le fonctionnarisme, le carriérisme et le bureaucratisme, tous phénomènes qui favorisaient l’affairisme, les complaisances, le népotisme, les jeux, les manoeuvres subalternes et autres maux, dont la conséquence a été le désengagement des cadres existants et la démobilisation politique, désolante, des masses».

Il s’exprimait dans le langage honnête, parce que lui-même honnête, dans le langage sincère et courageux, parce que lui-même sincère et courageux. Il se montrait haut, il se révélait fort. Il disait vrai et il parlait juste. L’Histoire, l’authentique – comme il nous plaît de la qualifier – lui reconnaîtra inévitablement des expressions, voire des positions vaillantes que lui seul pouvait prendre face à de «prétendus leaders prédestinés». En effet, Si Slimane criait à qui voulait l’entendre – ce que personne ne peut faire aujourd’hui, dans cette ambiance de lâcheté et de complaisance – qu’il se dressait énergiquement devant cet «effrayant processus d’affairisme révoltant, d’enrichissement éhonté autant que soudain, de corruption systématique atteignant jusqu’au niveau de la superstructure en particulier, qui fournissait l’exemple d’une dangereuse et contagieuse immoralité publique, altérant et dénaturant, en un court laps de temps, l’image du pays du 1er Novembre 54». De même que Si Slimane s’élevait obstinément, alors responsable du FLN, contre ces «rassemblements de foule opérés à grands frais, suscités, moins par un engagement spontané ou réfléchi, que par des services tout dévoués à la personnalité du pouvoir. Ainsi, toutes les acclamations organisées faisaient office d’adhésion, trompeuse, des masses populaires, dans le même temps où les cadres politiques du pays étaient réduits, bon gré mal gré, à la condition de potiches de décorum».

Oui, Kaïd Ahmed est mort, ses idées sont toujours là. Elles n’ont pas pris une ride, parce qu’elles sont audacieuses et conformes à la réalité! «Telle est l’image négative d’une situation, tels sont les faits navrants que rien ne peut masquer ni édulcorer en dépit des «magnifiques intentions proclamées», des merveilleuses ébauches de réalisations et des investissements toujours plus grandioses. Non, rien ne peut faire que soit contrebalancée la réalité politique et humaine ainsi décrite et qui est toute emplie de vide et d’interrogation angoissée.», exprimait-il ce qu’il ressentait au plus profond de lui-même…!!

Plus de 40 ans après, la corruption est toujours là…

Mais de la corruption, il disait, il y a longtemps: «Elle a commencé en haut, et maintenant, elle va prendre tout le corps de la société»… En d’autres termes, il mettait en garde et dénonçait cette allure d’impunité. Et ainsi, il continuait son combat, en écrivant, en discourant, et en conseillant de bonnes recettes pour assainir le climat. N’était-il pas affirmatif quand il lançait, au Conseil national de la JFLN en 1971, contre cette pathologie dangereuse: «Oui, c’est une gangrène bien présente et qui finira par ronger tout le corps de la société, si rien n’est fait pour l’arrêter?» Mais, à un certain niveau de la hiérarchie, on a fait fi de ses recommandations. Alors, des années après, la corruption et ses effets au sein de notre société, ou la «gangrène», comme il l’appelait, a pris bel et bien le dessus…

En effet, cette allégation de Kaïd Ahmed et d’autres affirmations que nous prenons de son Mémorandum, datent de plus de quarante ans. Par conséquent, en termes plus explicites, ces positions pertinentes affirmées par ce responsable, nous expliquent que la situation commençait à s’altérer, déjà en ce temps-là, pendant qu’à «un certain niveau du pouvoir» l’on claironnait que nous étions les «premiers partout», que notre démarche était au summum de la rationalité et que nos bilans, constamment en courbe ascendante, nous projetaient vers l’inexorable mouvement de montée vers la maturité.

Malheureusement, ce n’était pas la vérité car d’aucuns comprennent, aujourd’hui, d’après ces quelques jugements mis entre guillemets, que le ver est dans le fruit depuis longtemps. Et Kaïd Ahmed, comme tous les honnêtes responsables, ne pouvait se conformer, sans peine, à une ambiance impure qui nous menait droit vers la déchéance et l’humiliation. Il a donc parlé…, en exigeant une thérapie de choc pour enrayer le mal qui prenait en profondeur et en «hauteur». Il ne désemparait pas car, même devant l’incompréhension d’un «pouvoir», auquel il appartenait, et qui le couvrait d’avanies et portait l’acharnement contre lui, il dénonçait courageusement ces pratiques qui tenaient lieu de «moeurs politiques».

Ses écrits, ses discours et ses orientations restent d’actualité. Ils restent, pour les véritables nationalistes de ce pays, «une vérité intérieure qui doit être perçue comme le cri du coeur d’un patriote en quête permanente de justice pour le peuple, dont il est issu». C’est dire qu’il voyait juste en abhorrant ce qui continue de se produire, jusqu’au jour d’aujourd’hui, dans un climat qui nous tire vers le bas et qui se perpétue, sous le regard de responsables «nourris de démagogie outrancière».

En effet, Kaïd Ahmed nous montrait obstinément la réalité…, parce qu’il défendait la vérité. Qui, en dehors de lui, a fait son mea culpa, en déclamant Victor Hugo, qu’il aimait tant: «L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn?» (3)

Alors, sur les pas de ce visionnaire, en ces moments difficiles de déballages médiatiques, de démobilisation générale et d’insubordination – se référer à la dernière Coupe d’Algérie de football – qui confirment l’état d’un pouvoir sérieusement transi, ankylosé, bref impuissant…, nous sommes obligés d’aller vers l’évidence et reconnaître qu’il y a péril en la demeure. Cela veut dire aussi que depuis le constat réel de ce leader charismatique, d’il y a quarante ans, nous pouvons encore conjuguer au présent cet amer résultat: «Dar Loqmane ala haliha», (la maison de Loqmane n’a pas changé d’un iota!), comme dit le proverbe arabe. Pis encore, la ferveur des larrons s’est multipliée par un chiffre qu’on n’ose plus évaluer au moment où le système immunitaire est sérieusement endommagé, plutôt détruit par le climat délétère qui s’est instauré en se perpétuant dans tous les rouages de l’État et même au niveau de la société, chez ces nouveaux riches, ou ces «anciens pauvres» – le terme est plus «gratifiant» – qui nous rendent la vie encore plus difficile par leurs comportements primitifs.

Nous avons échoué…, allons vers un autre régime

Nous avons échoué dans plusieurs compartiments, et il faut le reconnaître! Comme il faut reconnaître que ce mal, qui nous vient de si loin, s’est accentué en ces quelques dernières années, les rendant plus pénibles que les précédentes. Elles sont le théâtre de ratages inimaginables, dans la quasi-totalité des domaines; des ratages qui s’ajoutent à une situation déjà trop précaire, pour ne pas dire effrayante, sur le devenir du pays. Oui, des ratages – il ne faut pas se cacher la face -, quand du célèbre pharmacien, ancien secrétaire général de l’Udma et 1er président du Gpra, élu au «perchoir» de l’Assemblée nationale en 1962, on vous met à cette place un «troubadour», presque un demi-siècle après, il y a de quoi se taper la tête contre les murs! Les exemples en sont nombreux dans les principales institutions du pays. Les citer n’en vaut même pas la peine, puisque les citoyens, qui n’ont jamais été dupes, les connaissent un à un.

Pour ce qui est du vol, de la corruption et des affaires mirobolantes sur le dos de l’État, la comparaison avec ce que dénonçait Kaïd Ahmed, en une extrême véhémence, est celle dont un penseur arabe répétait souvent: «Tuer quelqu’un dans une forêt est un crime impardonnable, exterminer un peuple…, il y a matière à réfléchir!…». Aujourd’hui, on vole à l’aide d’un «poclain», (une pelle chargeuse), plus qu’hier, où le vol et la corruption existaient mais pas à cette échelle. C’est dire la différence de sommes et… de prétentions! Aujourd’hui, de grands pillards et escrocs des temps modernes se la coulent douce, parce qu’ils demeurent encore loin de la justice, à cause d’atermoiements de notre système brinquebalant et parce que notre justice n’a pas encore les mains libres, comme elle devait les avoir.

Le proverbe dit: «La faute du troupeau vient du berger», et le berger, chez nous, c’est le système, avec ses «tenants» qui, dans leur satisfaction béate, continuent leur petit bonhomme de chemin en tournant le dos aux complaintes qui se lancent partout et qui réclament plus de justice, plus d’équité et, on ne le dira pas assez, plus d’intérêt et d’amour pour l’Algérie qui subit les contrecoups d’une politique au rabais, nous menant droit à la déchéance. Oui, à la déchéance! N’ayons pas peur des mots quand les maux persistent et deviennent de plus en plus dangereux pour l’ensemble des citoyens qui ne comprennent pas le pourquoi de cette descente aux enfers malgré toutes les potentialités dont dispose le pays. Mais ce constat, tout le monde peut le faire, allez-vous nous dire!.. Ce en quoi, nous vous répliquerons: nous en sommes conscients! Nous le savons, puisque nous n’avançons rien qui puisse vous ébahir. Seulement, ce que nous voulons démontrer par là, c’est cette obstination que nous avons à cacher «nos défauts» ou, à tout le moins, à les mésestimer et cela depuis des années. Alors, nous disons – et c’est là le but de notre contribution -, ne sont-ils pas suffisants tous ces forfaits pour ne pas nous permettre de vaquer, une fois pour toutes, à une gestion intelligente et raisonnable dans tous les domaines, pour instaurer un véritable État, sérieux et respectable, dans ce pays qui n’a plus le droit de souffrir sous les coups de boutoir d’un personnel politique en deçà des normes exigées par l’éducation et la morale? Ne doit-on pas nous diriger vers un changement radical, en commençant sérieusement par l’adoption d’une autre voie, à partir d’une nouvelle Constitution qui présidera à la refonte ordonnée de notre système?

Ainsi, le changement radical qui nous est demandé, impose non pas un toilettage simpliste, mais une action audacieuse qui va dans le bouleversement général au sein du pouvoir et de la société, un bouleversement qui puisse contraindre au renouveau. Alors, nous nous posons clairement ces postulats, sous forme de questionnements, pour percevoir la forme de cette autre «République», après la fin de règne de celle qui agonise. N’est-ce pas le temps d’aller vers une décision politique, historique, comme celle qu’ont prise des Hommes pour tracer notre destin un certain 1er Novembre 1954? N’est-ce pas l’instauration d’une nouvelle République – ayons le courage d’y penser et de l’exprimer -, une «IIe République» pour être plus clair, qui bannira la peur de penser, l’étouffement de l’initiative créatrice et la stérilisation intellectuelle dont est affligé le pays? N’est-ce pas le temps de foncer à corps perdu pour inciter les meilleures capacités du pays à se départir de leur frustration et leur permettre de montrer leur volonté et leur assurance et d’innover à travers des initiatives qu’ils sauront prendre en pleine confiance, dans un climat d’émulation, pour mettre le train du développement sur la voie du réel progrès, par des résultats positifs et concrets, pour ne pas être «victimes d’un triste oubli»?

Enfin, nous terminons avec cette remarquable conclusion sur laquelle a statué Kaïd Ahmed, il y a plus de quarante ans et qui est toujours d’actualité… Et cette assertion n’est pas de trop, quand on arrive à cette situation de délabrement, de décrépitude et d’anarchie après cinquante ans d’indépendance et après avoir vécu, quand même, quelques années de bien-être, pendant lesquelles l’Algérie a véritablement connu les prémices de son «âge d’or». Il écrivait: «Plaise à Dieu que la raison, la sagesse, le patriotisme et le sens des responsabilités historiques puissent prévaloir en toute hypothèse et contribuer à donner aux mortels que nous sommes la capacité de transcendance et la force d’âme si nécessaires à l’accomplissement d’un devoir sacré qui commande de tout vouer à la sauvegarde, à la permanence des intérêts supérieurs de l’Algérie, de son Peuple et de sa Révolution. C’est là notre voeu le plus fervent.»

(1)Citation de Charles-Augustin Sainte-Beuve.

(2)Slimane Klata, le nom de guerre de Kaïd Ahmed

(3)Victor Hugo (La conscience)