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Même si ses initiatives politiques n’ont pas pris sur le moment, elles ont marqué des générations d’Algériens. Il a laissé des traces indélébiles.
Il y a trois ans disparaissait le dernier historique de la révolution algérienne. Hocine Ait Ahmed avait sa place sur l’échiquier politique de la guerre de Libération nationale. Il a eu un rôle moteur dans la promotion du combat des Algériens lors de la conférence de Bundang, en 1955. Il en gardera d’ailleurs un souvenir impérissable et une conviction profonde de la nécessité de la lutte pour libérer les peuples et l’inconditionnalité du dialogue et de l’action politique pour l’émancipation des sociétés.
C’est ainsi qu’au lendemain de l’indépendance, il propose l’Assemblée constituante, y milite pour un système démocratique où chaque obédience incluse au sein du FLN historique retrouve son autonomie d’action et de pensée. S’il échoue à faire admettre son projet au pouvoir de l’époque, il créé son parti, le FFS, et ne désespère pas. Il accepte de dialoguer avec le président Ahmed Ben Bella, celui qui l’a jeté en prison. Il en sortira dans les conditions que l’on sait, moins d’une année après le «redressement révolutionnaire» de Boumediene.
L’infatigable militant signe à Londres, le 16 décembre 1985, la Proclamation pour l’instauration de la démocratie en Algérie. Le cosignataire n’est autre que Ahmed Ben Bella. L’événement politique de la décennie avait fait grand bruit et mettait les deux historiques face au pouvoir de Chadli qui n’allait pas tarder à vaciller.
Trois ans après, la démocratie est proclamée en Algérie, suite aux évènements d’octobre 1988 qui ont fait plus de 500 morts. Ait Ahmed rentre au pays et participe à l’exaltante «parenthèse démocratique» où l’homme a apposé son empreinte, à travers les gigantesques marches populaires organisées par son parti, le FFS. Hocine Ait Ahmed, très à l’aise dans l’ambiance de liesse populaire, laissait libre court à son engagement pour un exercice démocratique et pacifique de la politique. Mais l’ex-FIS ferme la parenthèse démocratique en raflant l’écrasante majorité des suffrages lors des élections législatives de 1991. Le choc islamiste divise la scène politique. Hocine Ait Ahmed a choisi le camp de la lutte pacifique.
«Ni Etat policier, ni Etat intégriste.» Ce fameux slogan a été entonné par plus d’un million d’Algériens lors de la marche historique au lendemain du premier tour des législatives.
Là aussi, c’est sa conviction profonde que la politique ne doit pas souffrir de l’interventionnisme de l’armée qui a guidé ses choix. Il ne fut pas entendu, mais personne ne pourrait affirmer que son approche était la meilleure face à une idéologie totalitaire et liberticide.
L’affreuse guerre imposée aux Algériens par les intégristes n’a pas ébranlé sa détermination d’homme politique.
Il initie en Italie, une conférence avec des partis de l’opposition, sous l’égide de la communauté chrétienne de sant’egidio. Il n’a pas hésité à s’asseoir face à l’ennemi déclaré de la démocratie. Il l’a sans doute fait avec la même conviction profonde selon laquelle le dialogue est le meilleur moyen de résoudre les conflits. Le président de la République de l’époque, Liamine Zeroual, a réservé une fin de non-recevoir à l’initiative.
Là aussi, il serait hasardeux d’affirmer que le Contrat de Rome, proposé par Ait Ahmed et les autres personnalités de l’opposition, allait débarrasser l’Algérie de la folie meurtrière de l’intégrisme. Mais tous les observateurs de l’époque retiendront que le Contrat de Rome était une offre politique, au moment où le pays était dans l’impasse. Ait Ahmed en était à l’origine.
En avril 1999, il prend part à la seconde élection présidentielle pluraliste de l’histoire de l’Algérie. Après une campagne électorale passionnante, il retire sa candidature à la veille du scrutin et met le pouvoir face à une situation inédite. Cette sortie surprenante de Hocine Ait Ahmed aura été la dernière de cette envergure, dans une longue carrière politique hors normes où l’homme s’est prioritairement mis au service de son peuple. Il a cru jusqu’au bout aux vertus de la politique au sens noble du terme. Même si ses initiatives n’ont pas pris sur le moment, elles ont marqué des générations d’Algériens. Il suffit de se remémorer ses obsèques pour se rendre compte que l’homme n’a pas perdu son temps. Il a laissé des traces indélébiles.