Il y a seize ans, la marche historique du 14 juin 2001 : La mémoire oubliée du printemps noir de Kabylie

Il y a seize ans, la marche historique du 14 juin 2001 : La mémoire oubliée du printemps noir de Kabylie

Il y a seize ans, le 14 juin 2001, la Kabylie s’est mobilisée comme un seul homme. Objectif, marcher sur Alger, et interpeller les autorités centrales et leur demander de répondre aux exigences citoyennes contenues dans la plateforme d’El Kseur.

Mais que retient-on, aujourd’hui, 16 ans après cette tragédie et l’indignation citoyenne qui s’en est suivie ? La question mérite d’être posée tant paraît évanescent le souvenir de ces événements qui ont marqué de leur empreinte l’histoire politique récente de notre pays, durant tout un pan de la décennie 2000.

Un cycle de protestation-répression a marqué cette période, avec des pics de violence et des manifestations mémorables, à l’instar de la marche noire du 19 mars 2001 et celle du 14 juin 2001 qui ont fait descendre des millions de personnes dans la rue.

Présentés comme le summum de la contestation citoyenne de l’histoire post- indépendance de l’Algérie, du fait de la répression sanglante d’une ampleur jamais égalée (126 morts et plus de 5000 blessés par balles réelles), les événements de Kabylie d’avril 2001, qui ont atteint une ampleur quasi insurrectionnelle, sombrent, seize ans après leur éclatement, dans l’oubli, entourés d’un silence chargé de non-dits et de soupçons.

Il est, en effet, paradoxal qu’un mouvement porté durant de longues années par la rue soit à ce point presque effacé du logiciel mémoriel du peuple et ne fasse pas l’objet du même culte des célébrations que les événements d’avril 1980 dont il est le continuum et la deuxième face d’une même pièce. En dehors de quelques ex-délégués du mouvement citoyen qui s’évertuent à maintenir la flamme de ces événements, peu de gens se réclament encore de l’héritage de cet épisode tragique dont la mémoire paraît, pour beaucoup, encombrante. Une mémoire qui fut, pourtant, tragique et noire comme le printemps du même nom.

Une catharsis inachevée

Il faut, sans doute, une étude fine et spécialisée pour expliquer ce qui apparaît, aujourd’hui, comme un déni d’un traumatisme collectif causé par la violence meurtrière de l’Etat au nom duquel l’usage des armes pour faire taire des manifestants à mains nues engendrera la mort de cent vingt-six jeunes gens et des blessures graves à cinq mille autres. Paradoxalement, une lente désacralisation des événements du printemps noir s’est insinuée, dans une conscience collective qui semble se refuser à la remontée de souvenirs pénibles et traumatiques. Un processus qui était perceptible, dès 2005, avec le début de l’extinction de la contestation de rue, et juste après l’amorce du dialogue entre les animateurs de ce qui fut la CADC, coordination des Arch, daïras et communes et les représentants de l’Etat.

Le rite immuable de la commémoration des événements s’est estompé au fil du temps. Les rares ilots de résistance où l’on continue à célébrer les victimes et à rendre hommage à leur mémoire ne sont plus que le miroir des revers de l’histoire qui, peu à peu, entourent ces événements. Devenus quasi inaudibles et invisibles, les « héros » d’hier, ces délégués du mouvement citoyen qui avaient encadré la protestation de la rue sont oubliés et critiqués. Pour beaucoup d’analystes, l’action des Arouch est souvent présentée comme une séquence historique utilisée par le pouvoir pour briser l’irrédentisme d’une Kabylie résolument contestataire.

Fatigués par les sempiternelles émeutes, les citoyens ne s’impliquent depuis que peu ou rarement dans les actions revendicatives construites et organisées. Trop de contestation tue la contestation, pourrait-on dire. A tort ou à raison, on impute au mouvement citoyen cette situation qui a pris l’allure d’une désertification du champ des luttes politiques et citoyennes. Tout semble s’être passé comme si la contestation en Kabylie devait s’éteindre avec le début de la mise en œuvre du projet de réconciliation nationale qui était, alors, en cours d’élaboration. Une politique qui a fait des martyrs du printemps noir des victimes collatérales d’un formalisme juridique qui a imposé le grand pardon unilatéralement assumé par les victimes du terrorisme islamiste.

Le pari raté de convertir l’indignation citoyenne en dynamique démocratique

Divisés, minés par des contradictions internes, piégés par leurs choix organiques et de gestion de leur organisation, et débordés par l’hostilité des partis politiques qui leur ont mené une lutte sans merci, en plus de la pression qui leur a été imposée par les services de sécurité, les délégués du mouvement citoyen de Kabylie n’ont pas su transformer l’indignation de la rue en projet politique. Pour des raisons qui restent à analyser, les animateurs de ce mouvement n’ont pas su, pu ou voulu faire jonction avec les acteurs de la société civile, politique ou syndicale pour provoquer une dynamique de rupture et changement dans le fonctionnement des institutions.

A part l’expérience électorale au sein des partis politiques de quelques-uns, les leaders des Arouch ne réussiront pas à trouver, des années plus tard, un débouché politique à leur engagement. Ils n’ont pas su convertir l’énergie sociale qui leur a permis de se mettre en avant dans le cadre du mouvement citoyen de Kabylie en force de changement par la voie des urnes ou l’investissement dans l’action associative ou syndicale. Un tour de force que seuls les leaders du mouvement des indignés ou Podémos en Espagne ont réussi, en s’appuyant sur la mobilisation des citoyens dans la rue. Podémos a réussi à bousculer les partis politiques traditionnels qui ont animé, des années durant, la vie politique espagnole, pour devenir la première force de ce pays.