Il y a deux ans, elle nous quittait: Djemaâ Djoghlal, la mémoire de l’Aurès

Il y a deux ans, elle nous quittait: Djemaâ Djoghlal, la mémoire de l’Aurès

Par Nassira Belloula

Le 14 novembre 2016  s’éteignait, à Paris, Djemaâ Djoghlal, une grande conscience du pays chaoui, une femme qui a consacré sa vie à une collecte d’archives sur l’histoire et la culture du peuple chaoui. Le résultat est un immense fonds documentaire comprenant quelque 7 000 livres, de vieux plans sur les villes d’Algérie, 5 000 cartes postales anciennes, des affiches, des manuscrits rares, des correspondances militaires inédites, des archives datant de la période coloniale française, etc. Cette documentation étant jumelée à celle que lui avait léguée, de son vivant, son ami, le chercheur et militant berbère Ammar Nagadi, constituait sa bibliothèque personnelle qui était libre d’accès aux étudiants et chercheurs.

Les recherches de Djemaâ Djoghlal concernant l’Aurès l’ont mise  sur le chemin de Germaine Tillin qu’elle a connu, et dont les rencontres se passaient à évoquer ce pays cher à leurs cœurs. Par la suite, elle  crée l’association «A la rencontre de Germaine Tillin», mais aussi  elle est à l’origine du Comité international de soutien aux intellectuels algériens pendant les années 90, et avait participé à la création du Théâtre universitaire aux côtés de Lucile Gargagnati.

Née en 1947 dans la région de Khenchela, cousine du martyr Abbas Laghrour, elle arrive à Besançon au début des années 1950, âgée alors de 5 ans pour rejoindre son père militant du FLN en France. Elle baigne très tôt dans le nationalisme et le militantisme qui vont forger son caractère.

Déterminée à arriver à réaliser ses rêves, elle va franchir toutes les étapes de la formation continue jusqu’à un master en sociologie qui constitue avec l’Histoire une passion. Elle a largement contribué par ses écrits à l’enrichissement de la culture chaouie.

Vers l’année 2013, se sachant malade, elle décide de léguer son immense fonds d’archives aux universités de Batna et Khenchela, dont l’idée initiale qu’elle partageait avec Ammar Nagadi était la création d’une bibliothèque à Batna. De ce fait et pour concrétiser ce projet, elle passe les cinq dernières années de sa vie à se battre contre la bureaucratie algérienne afin de faire parvenir son héritage auxdites universités. En vain.

Il a fallu attendre avril 2018 pour que les fonds documentaires soient répertoriés, emballés et réceptionnés par la Direction générale des archives nationales selon les mandataires Saddok Kebairi et Salah Lahgrour. Mais selon certains observateurs de la région, universitaires et militants, l’inestimable legs n’a toujours pas trouvé sa place dans les bibliothèques des universités de Batna et Khenchela, alors que c’était sa volonté, son testament et sa décision. Cette femme exceptionnelle, méconnue dans son pays, si peu médiatisée, même ses obsèques sont passées sous silence par la presse, et même ignorées par les autorités locales, a passé sa vie à défendre son pays, à s’insurger contre les révisionnistes et à tenter de préserver l’histoire et l’identité de l’Algérie en général et de l’Aurès en particulier. Elle mérite que la bibliothèque universitaire qui recevra ses dons porte son nom ou du moins l’aile sociologique ou historique comme hommage à son grand dévouement et à son activisme.

Le fonds qu’elle a collecté durant vingt-cinq ans, au prix de sacrifices,  de labeur, de recherches était tout pour elle, elle y tenait. Pourtant, avant sa mort, se sachant malade, elle décida de s’en séparer, afin qu’il soit préservé et mis au profit des étudiants et chercheurs, transmettre un legs pour les générations présentes et futures. Il est à se demander donc où est passé ce fonds ? Qu’est-il devenu ?

Pourquoi n’a-t-il pas trouvé sa place dans les bibliothèques sus-citées dans l’attente qu’une reconnaissance légitime lui soit accordée.

N. B.