Il y a 49 ans les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris : L’autre déni de la mémoire

Il y a 49 ans les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris : L’autre déni de la mémoire

Les massacres de milliers d’Algériens sortis le 17 Octobre 1961 à Paris pour dire non au couvre-feu imposé par le préfet de police d’alors Maurice Papon, constituent une autre « page noire » de l’histoire coloniale de la France qui continue de faire dans le « déni de la mémoire », ont affirmé à l’unisson des historiens interrogés par l’APS.

Pour Gilles Manceron, ce déni est « emblématique de l’absence de reconnaissance de ce que le passé colonial a été marqué par d’importantes atteintes aux droits de l’homme ».

« Le Président de la République (Nicolas Sarkozy, ndlr) a choisi de se faire élire notamment sur le thème du refus de la repentance et continue à tenter de séduire, dans la perspective des prochaines élections présidentielles, la frange de l’électorat la plus nostalgique de la colonisation et la plus imprégnée de préjugés anti-arabes et anti-musulmans », a indiqué l’historien.

Il a estimé que la société française est « profondément divisée » sur la question, signalant que de nombreuses municipalités et collectivités locales ont fait des actes symboliques de reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961 et d’hommage aux victimes, à commencer par la ville de Paris qui a apposé en 2001 une plaque commémorative sur le Pont Saint-Michel.

Et M. Manceron d’affirmer que « tôt ou tard, les plus hautes autorités de la République française seront contraintes de cesser de s’enfermer dans ce déni de la réalité ».

Pour Henri Pouillot, écrivain et néanmoins témoin de la torture à la villa Susini (Alger) dont un des ouvrages porte l’intitulé de ce lieu de sinistre mémoire, accepter de reconnaître le caractère criminel de la colonisation « n’est pas concevable pour (le) pouvoir » en place en France.

« Les massacres du 17 octobre 1961 sont un crime d’Etat, et le reconnaître serait ouvrir une brèche dans cette voie », a-t-il affirmé, concédant que la « seule petite avancée » faite en la matière c’est quand un ancien ambassadeur de France en Algérie avait « reconnu » que les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945, étaient une « tragédie inexcusable ».

Mais cette reconnaissance, a-t-il nuancé, « semblait renvoyer dos à dos Algériens et forces de l’ordre françaises ».

De son côté, l’universitaire Olivier Le Cour Grandmaison a estimé que la non-reconnaissance par la France de ces faits de l’histoire s’explique par l’implication, dans ces massacres, de personnalités (Michel Debré, Premier ministre d’alors et le général De Gaulle) au Panthéon de la Ve République. « C’est pourquoi une partie de la droite ne peut concevoir de reconnaître ce qui a été perpétré les 17 et 18 octobre 1961 par les policiers sous l’autorité de Maurice Papon ».

A cela s’ajoutent, a-t-il indiqué, les orientations « particulières » de Nicolas Sarkozy et de la majorité qui le soutient, « tous se faisant les avocats d’une réhabilitation sans précédent depuis 1962 du passé colonial de la France en général et de sa présence en Algérie, en particulier ».

Pour l’auteur de « De l’indigénat », les causes de cette réhabilitation sont « claires : dans un contexte politique fortement dégradé pour le chef de l’Etat et de son parti, il s’agit encore et toujours +d’aller chercher les électeurs du Front national un par un+ comme l’affirmait Sarkozy lors de la campagne des élections présidentielles en 2007 ».

Black-out sur les archives

Pour rétablir la vérité et « surtout la faire admettre », ces historiens affirment toujours être confrontés au problème d’inaccessibilité aux archives publiques notamment celles se rapportant à la guerre d’Algérie.

Il reste des éléments à découvrir et à expliquer au sujet de ces massacres. Les archives de la préfecture de Paris ne sont pas encore complètement accessibles, a déploré Manceron, signalant que les notes prises par le secrétaire général de la présidence de la République lors des conseils des ministres qui ont suivi cet événement ne sont toujours pas accessibles aux historiens. Ces archives, a-t-il ajouté, pourront contribuer à permettre de mieux comprendre la réaction du général De Gaulle et le lien entre l’hostilité d’une certain nombre de ministres d’alors, dont le premier ministre Michel Debré, à la reprise des négociations avec le GPRA en vue de la fin de la guerre.

« Il est évident que tout n’a pas été encore été dit et ne sera pas connu », estime, de son côté, Henri Pouillot pour qui, fautes d’archives, « il n’est pas sûr que l’on puisse, même si la volonté y était, retrouver l’ampleur exacte du nombre des victimes », de ces massacres.

« J’ai l’exemple concret d’un voisin qui avait été raflé à cette occasion et +renvoyé+ en Algérie. Combien comme lui ont fait partie de ces rafles sans avoir été +répertoriés+», s’est-il interrogé.

Pour le Cour Grandmaison, l’essentiel est aujourd’hui « fort bien connu » grâce aux travaux de nombreux historiens.

De ce point de vue, a-t-il ajouté, et en dépit de difficultés pour accéder à certaines archives, à cause d’une législation « peu libérale » en la matière comparée à certains pays anglo-saxons, la « bataille pour la connaissance » a été gagnée.

Reste, selon lui, « la bataille de la reconnaissance » de ce « crime contre l’humanité » par les plus hautes autorités de l’Etat français

“17 Octobre 1961 – dissimulation d’un massacre” : témoignage accablant sur un passé refoulé

Ce fut un véritable festival de mensonges, d’erreurs et d’intoxication dans la presse française au lendemain des massacres du 17 Octobre 1961, à Paris, raconte le journaliste René Dazy qui a vu tellement de sauvagerie se déployer ce jour-là qu’à son retour à la rédaction, il vomit.

Ce témoignage accablant est cité par le réalisateur français Daniel Kupferstein dans son film-documentaire d’une poignante vérité, « 17 Octobre 1961, dissimulation d’un massacre » projeté jeudi soir au Centre culturel algérien (CCA) à Paris, dans le cadre d’une rencontre débat avec l’écrivain J.L Einaudi, organisée à la veille de la commémoration des massacres perpétrés en cette date par le préfet de police Maurice Papon et sa police auxiliaire contre une manifestation pacifiste d’Algériens.

Ce film documentaire de 52 mn, monté sur un récit chronologique, revient sur les traces de ces manifestations, organisées à l’appel de la Fédération de France du FLN, pour protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens.

Construit sur une avalanche de témoignages hallucinants, de révélations et de vérités longtemps refoulées, le film explique pourquoi ce crime a été occulté, pourquoi cette histoire a été dissimulée, dans quelles conditions et au nom de quelles raisons des responsables d’un Etat dit démocratique, ont-ils caché l’ampleur et la gravité de tels événements?

A travers les témoignages d’anciens ministres français, de journalistes et d’historiens, en quête de vérité, ce documentaire se présente comme une contribution, destinée à faire en sorte que les événements tragiques du 17 Octobre 1961 retrouvent toute leur place dans la mémoire collective et intègrent ces pages tues de l’histoire. Le journaliste Georges Mattei, celui qui fut à l’origine des travaux de recherches de J.L Einaudi sur les massacre du 17 octobre, apporte de son coté un témoignage lourd de vérité sur cette date.

« L’impression que je garde des scènes de violence, dira-t-il c’est que le peuple de Paris s’est transformé en indicateur, en auxiliaire de la police et dénonçait les Algériens qui se cachaient dans des maisons pour échapper à la sauvagerie dont ils faisaient l’objet », dira-t-il, le regard lourd de reproches.

Sur un reportage réalisé et diffusé à l’époque sur la chaîne de télévision Antenne 2 à 20 h 30, qui fit scandale parce qu’il dénonçait les massacres, le journaliste Marcel Trillat dira avec émotion que ce qu’il espérait surtout, c’est que ce reportage « serve de sépulture à tous ces Algériens porté disparus et probablement enterrés dans des fausses communes comme des chiens ».

 » Ne pas parler de la guerre d’Algérie, fait partie d’un patrimoine commun à la gauche et à la droite », souligne l’historien Pierre Vidal-Naquet, auteur du livre « La torture dans la République » sur le silence entretenu par le gouvernement de la France coloniale au lendemain des massacres.

Dans les semaines qui suivirent ces « ratonnades », Maurice Papon avec l’appui du ministre de l’Intérieur Roger Frey, du Premier ministre Michel Debré et du président de la République Charles De Gaulle, fera tout pour faire échouer les demandes de commissions d’enquête, faite au Conseil municipal, au Conseil général de la Seine et au Sénat, rapporte le réalisateur qui revient longuement sur le combat de Jean-Luc Einaudi, qui a mené une enquête minutieuse sur les massacres, face à Papon.

Le 20 mai 1998, J.L Einaudi écrivait dans le journal Le Monde : « En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon ». En juillet 1998, Papon porte plainte pour diffamation contre un fonctionnaire public. « Pour préparer sa défense, Jean-Luc Einaudi compte sur les documents officiels dont il a demandé communication, trois mois plus tôt, aux Archives de Paris.

Faute de pouvoir produire des documents écrits attestant de la responsabilité de la préfecture de police, dirigée par Maurice Papon en octobre 1961, l’historien sollicite le témoignage de deux conservateurs des Archives de Paris, qui acceptent et témoignent, l’un par écrit et l’autre à la barre.

Maurice Papon, présent, fait témoigner en sa faveur entre autres l’ancien Premier ministre, Pierre Messmer, tandis que Jean-Luc Einaudi fait venir à la barre des témoins directs des massacres d’octobre 1961. Hachemi, Cherhabil, Ahcene Boulanouar, Mustapha Cherchari, Zineddine Khiari, Saade Ouazène et tant d’autres racontent alors les sévices subis ce jour là. Ils ont échappé à la mort mais les séquelles sont encore vivaces.

Le 26 mars 1999, Maurice Papon est débouté de sa plainte et l’historien relaxé au bénéfice de la bonne foi. Deux archivistes sont sanctionnés pour avoir témoigné.

Monique Hervo, ancienne du service civil international de Nanterre et qui témoigna également lors de ce procès dira qu’elle l’a fait parce que la mémoire,  » nous la devons à tous ceux qui ont souffert qui ont donné leur vie, à tous ceux qui ont été torturés ». « Au lendemain du 17 octobre, dit-elle, les bidonvilles de Nanterre n’étaient plus rien d’autre qu’un hôpital de campagne, tant les blessées étaient nombreux et lorsque j’ai témoigné, c’était pour moi rendre hommage à tous les Algériennes et Algériens qui ont lutté pour l’indépendance de leur pays ».

« L’oubli, c’est la continuation du massacre. L’oubli ce n’est pas seulement porter injure à ceux qui sont morts, à ceux qui portent sur leur corps les séquelles des tortures subies, c’est également faire injure à tout un peuple et au-delà, s’agissant d’un crime contre l’humanité c’est faire injure à l’humanité toute entière », dira quant à elle l’avocate Nicole Dreyfus Schmidt citée comme témoin.

Le débat qui suivit cette projection, permit à J.L Einaudi, de revenir longuement sur la bataille des archives sur ces massacres qui sont encore occultes pour beaucoup d’historiens.

Il précisera notamment, qu’en 2000 il obtient une dérogation pour consulter les archives qui lui ont permis, pour le 40e anniversaire, de publier de nouvelles révélations sur les morts et disparus après le 17 octobre. Mais il ajoutera surtout, qu’ »on peut toujours dire qu’on doit ouvrir les archives mais si un ministère comme celui de l’Intérieur, ne verse pas ses archives aux Archives de France, qui en a pourtant l’obligation, on ouvre sur le vide ».

Il relève aussi que l’accès à certaines archives est encore refusé, citant la présidence de la République qui s’est opposée à ce qu’il puisse accéder aux notes prises au Conseil des ministres par le secrétaire général de l’Elysée à l’époque.

« Les documents continuent donc à dormir et il faudrait une forte volonté politique pour que ces éléments soient retrouvés et mis à la disposition des chercheurs », affirme M. Einaudi.

APS

Les séquelles restent

Le 5 octobre 1961, un communiqué du préfet de police de la Seine (Ile de France), Maurice Papon, couvert par les hautes autorités de l’Etat français instaure le couvre-feu à l’encontre des Algériens résidant en région parisienne, leur interdisant de circuler entre 20 h et 5 h 30. Une grande manifestation pacifique est alors organisée le 17 octobre 1961 pour dénoncer ce couvre-feu arbitraire et raciste imposé aux Algériens.

Bravant cette décision, des dizaines de milliers d’Algériens se rassemblent à Paris pour dénoncer cette mesure discriminatoire et exigent des négociations avec le Front de libération nationale pour mettre fin à la guerre. « A bas le couvre-feu », « Négociez avec le GPRA », « Vive le FLN », « Indépendance de l’Algérie », étaient les slogans scandés pacifiquement en ce jour fatidique, racontent des témoins. Très vite cependant, cette manifestation non violente tournera au drame. Aux portes de Paris, à la sortie des stations de métro Etoile, Opéra, dans les couloirs de la station Concorde, sur les Grands-Boulevards, les manifestants seront sauvagement matraqués, à coups de crosse, de gourdin, de bâton, souvent jusqu’à ce qu’ils s’effondrent, raconte à l’APS Benhaddou M’Hamed, 75 ans, ancien membre de la fédération de France du FLN. Les forces de police auxiliaire de Papon composées de harkis frappent au visage, au ventre, les manifestants qui ne font montre à aucun moment de violence. Sur le boulevard Bonne-Nouvelle, au pont de Neuilly, au Pont-Neuf d’Argenteuil et en d’autres lieux de Paris, les policiers tirent sur les manifestants.

Sur le pont Saint-Michel, des hommes sont précipités dans la Seine. Une véritable chasse au faciès de déroule pendant plusieurs heures sous les yeux médusés de touristes, poursuit Benhaddou qui se rappelle que ce jour là, un touriste américain a été violemment tabassé par la police, son seul tort, a-t-il dit, est qu’avec sa moustache et son teint basané, « il ressemblait trop à un Algérien ».

Le bilan est lourd. Très lourd même. Des centaines de morts, de blessés et de disparus dans les rangs des Algériens qui manifestaient ce jour là, alors que ceux qui sont arrêtés et parqués pendant de nombreuses semaines au palais des sports de Versailles, au stade Pierre de Coubertin et au centre de tri de Vincennes, au vélodrome d’hiver, au Parc des Expositions se comptent par milliers.

Ils sont soumis aux pires humiliations et à des sévices d’une rare violence. Faute de soins, plusieurs d’entre eux meurent et sont jetés dans les flots en furie de la Seine. Souvent les corps portaient des marques de strangulations, affirment les témoignages de ces scènes de massacres.

Arbaoui Essid, 75 ans, relate pour sa part que les forces de police de Papon, soutenues par les harkis, ayant eu vent de la manifestation pacifique, attendaient les groupes à la sortie des stations de métro pour les passer à tabac.

« Il y avait du sang partout », a-t-il dit, en passant la main sur son front, visiblement pris par une tourmente abyssale, au souvenir de ces scènes de violence. « Je voyais des compagnons défigurés par les coups qu’ils recevaient, les vêtements déchirés et maculés de boue et de sang, d’autres gisaient par terre, et des policiers s’acharnaient sur eux et les traînaient par terre, alors que leur tête percutait le sol avec grand bruit ».

C’était horrible toutes ces scènes de brutalité et de sauvagerie non contenues », a-t-il dit, rejoignant le témoignage de Mohamed Djoughbal qui se rappelle qu’un policier fou de rage, « voyant que nous étions solidaires devant la mort, a porté un coup de matraque si terrible que le cerveau de mon pauvre compagnon m’a éclaboussé la figure.

Je n’ai entendu qu’un râle d’agonie, le frère martyrisé est mort dans mes bras. Voyant cela, le policier m’a asséné un dernier coup sur la nuque. Avant de tomber dans l’inconscient, j’ai entendu le policier dire: ils sont morts balance-les ».

Aidli Abderrahim, se rappelle quant à lui que les manifestants ramassés, étaient parqués comme du bétail dans le stade où nous avions été acheminés ».

Me Ali Haroun, en sa qualité d’encadreur de cette manifestation, a confirmé à l’APS qu’instruction a été donnée aux Algériens pour que la manifestation « se déroule de manière pacifique et qu’aucun port d’arme ne serait autorisé, fusse un petit canif ».

« Nous ne pouvions pas donner des instructions contraires à celles-ci, sachant qu’il y avait également dans la manifestation des femmes et des enfants », a soutenu M. Haroun.

Sur le nombre de personnes qui ont péri suite aux massacres perpétrés, il signale que la fédération de France du FLN « l’estime à 200 morts constatés mais que compte tenu du nombre de disparus, dont on ignorait le sort, le nombre de décès dans ces manifestations pourrait être revu à la hausse et atteindre les 400″.

Le gouvernement empêchera la création d’une commission d’enquête. Aucune plainte déposée n’aboutira. Hervé Bourges, alors journaliste à Témoignage chrétien, écrivait à l’époque: oui c’est une rude leçon que viennent de nous donner les Algériens de Paris. Jamais ils ne seraient descendus dans la rue, si nous, journalistes, avions su mieux informer une opinion chloroformée des réalités d’une guerre qui s’est établie sur notre sol ».

l Aujourd’hui, 49 ans après cette sanglante répression, la vérité et la justice sont occultées sur les crimes commis, en dépit des nombreuses preuves tangibles apportées par les historiens tant Algériens que Français et les séquelles demeurent encore vivaces.

La France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans ce que beaucoup qualifient de « crime contre l’humanité » et dont a été victime un peuple qui réclamait le recouvrement de sa souveraineté.

La raison la plus invoquée dans l’oubli qui a frappé la journée du 17 octobre 1961 serait la censure organisée par le pouvoir ce jour-là. Plusieurs publications auraient été saisies, d’autres ont été interdites. Le gouvernement de la France coloniale avait imposé le silence sur cette féroce répression.

Les journalistes ont été interdits d’accès, les quelques images qui ont été prises sont le fait de télévisions étrangères. Les lieux d’internement restèrent interdits aux journalistes pendant toute la durée de la détention. Les seuls témoignages qui les décrivent sont dues aux manifestants eux-mêmes, des médecins ou des appelés.

Les événements du 17 octobre 1961 en sont venus toutefois aujourd’hui à forcer l’espace public et à retrouver leur place dans la mémoire collective. Des historiens, des associations et des organisations se mobilisent pour raviver la mémoire et appeler à la vérité.

“Journée portée disparue”

Les quelques rares films, en majorité censurés, sur la répression sanglante du 17 Octobre 1961 à Paris, n’ont pu sensibiliser le grand public français du fait d’une chape de plomb sur les horreurs de ce crime contre l’humanité commis à l’encontre d’Algériens qui manifestaient pacifiquement pour la libération de leur pays de l’occupation coloniale.

Parmi ces produits, le film-documentaire intitulé « Une journée portée disparue » des cinéastes australiens Philip Brooks et Alan Hayling est un recueil de témoignages croisés de victimes algériennes, témoins et militants dont Ali Haroun et Omar Boudaoud de la Fédération de France du FLN. Les témoignages sont soutenus par des photographies dont celles d’Elie Kagan, photographe français témoin de la répression sanglante survenue près de 6 mois avant la signature des accords d’Evian.

Les témoignages dont ceux d’officiels français, gardiens de la paix, policiers, infirmiers, qui ont assisté à la répression sanglante, ont été mis en scène dans les lieux mêmes où se sont déroulés ces crimes. Nombre de témoignages, particulièrement celui du gardien de la paix Georges Moulinet, rappellent la participation directe de milices de harkis au massacre de milliers d’Algériens qui manifestaient pacifiquement et sans arme.

Octobre sur Seine, « un monstre sombre et silencieux » Parmi les images poignantes, outre celles montrant des Algériens ensanglantés ou allongés morts sur les quais de la Seine, la caméra se focalise sur celle qui montre un pêcheur regardant flotter devant lui les corps sans âme d’Algériens matraqués à sang avant d’être jetés dans le fleuve. Parmi eux, la jeune Fatima Bedar, 15 ans, jetée morte cette nuit-là dans la Seine. Selon une critique cinématographique du documentaire de Philip Brooks, « l’image nocturne de la Seine, apparemment innocente, anticipe sur les témoignages qui vont suivre. Opaque, elle renvoie à l’idée du mensonge d’Etat, d’occultation des victimes et revêt, après-coup, une qualité mortifère », comme elle renvoie à la symbolique d’un « monstre sombre et silencieux, renfermant dans le secret de son eau trouble un événement coupable qu’elle ne veut pas voir ressurgir ».

« Une journée portée disparue », c’est ainsi contre l’occultation d’un crime colonial que le film de Philip Brooks s’inscrit, en relançant de rares archives réalisées par ceux qui, témoins du drame, avaient tenté de briser le silence. Le 17 Ooctobre même, les quelques images de télévision qui existent sont dues à des télévisions non françaises.

Le film de Philip Brooks montre que ceux qui tentent malgré tout de prendre des photos voient leur matériel détruit. Les saisissantes photos prises par Elie Kagan durent l’être clandestinement, notamment à la station métro Concorde où il aperçoit des dizaines de morts.

Lors du tournage, le réalisateur avait fait appel à l’historien Jean Luc Einaudi, auteur du livre « La bataille de Paris » qui relate, dans le détail, cette page des plus sombres de la colonisation. Philip Brooks, en quête de fonds pour ce film-documentaire, avait essuyé le refus des financiers, et c’est une chaîne anglaise, Channel Four, qui a accepté de le produire. La censure sur ces crimes commis par la police de la 5e République française, sur ordre du préfet Maurice Papon, a également frappé le film du biologiste Jacques Panijel, « Octobre à Paris », qui reconstitue la manifestation à partir des photos de Kagan et de témoignages d’Algériens. Ce film a été saisi par la police dès sa première projection, en octobre 1962. Dans la nouvelle revue « Partisans », l’écrivain François Maspéro reproche à Panijel de finir « Octobre à Paris » sur les huit morts de Charonne qui se réfère à la charge policière contre les manifestants anti-OAS du 8 février 1962.

Ce reproche est lié à la différence de traitement entre les deux événements, celui de Charonne, estime-t-il, ayant occulté celui du 17 octobre 1961 et « tous les efforts faits pour en connaître l’étendue ». Le 17 Octobre, un chaînon dans le drame de la colonisation

Force est aussi de citer le film « Nuit Noire » du cinéaste Alain Tasma, qui tente de retracer la trame de ce haut fait d’histoire contemporaine, avec des personnages fictifs dont une journaliste, Sabine (Clotilde Courau), une militante contre le colonialisme, porteuse de valises, Nathalie (Florence Thomassin), un ouvrier, Tarek (Athmane Khelif), son neveu Abde (Ouassini Embarek), un moudjahid de la fédération FLN de France, Ali Saïd (Abdelhafid Metalsi), entre autres témoins de ces massacres différemment interprétés qui voient leurs destins se croiser dans le carousel du débat contradictoire.

Ce long-métrage, qui était à l’origine un téléfilm produit par la chaîne de télévision Canal+, a reçu le Grand Prix du scénario au Festival international des programmes audiovisuels (FIPA) de 2005 à Biarritz et a été en sélection de plusieurs festivals étrangers tels que ceux de Toronto, Montréal, Dubaï, San Francisco, New York…

Des centaines d’ouvrages, de documents filmés, de chroniques d’associations, sans oublier les ouvrages des historiens, ou celui des collectifs d’intellectuels tel que celui dirigé par Olivier Le Cour Grandmaison, ont contribué à la reconstitution de cet événement tragique dont la mémoire, selon les historiens, « participe d’un mouvement plus général » regroupant bien d’autres faits dramatiques liées à la colonisation qui devrait devenir « une question centrale » pour l’opinion publique française d’aujourd’hui.