Il voulait céder naftal aux Qataris,Au profit de quels intérêts étrangers agissait donc Chakib Khelil ?

Il voulait céder naftal aux Qataris,Au profit de quels intérêts étrangers agissait donc Chakib Khelil ?

L a dernière révélation rendue publique par le quotidien El-Watan à propos de la cession «en catimini» de l’entreprise Naftal, la filiale de Sonatrach spécialisée dans la distribution des produits pétroliers, au groupe qatari Woqod, confirme bien que l’affaire Chakib Khelil n’est pas qu’une banale histoire de dilapidation de fonds publics.

Elle est, avant tout, une troublante énigme politique : au profit de quels intérêts étrangers agissait l’ancien ministre de l’Energie ? Et qui lui assurait une couverture pour entreprendre un tel méfait contre son propre pays ? Car cette transaction que s’apprêtait à commettre Chakib Khelil n’était pas seulement une opération blanche pour l’Algérie, elle était dirigée contre les intérêts de l’Algérie.

Dans les documents qu’a pu se procurer notre confrère, l’ancien ministre algérien de l’Energie proposait aux Qataris rien moins que de leur céder les nouvelles stations-service de l’autoroute Est-Ouest après leur «rodage» par l’entreprise algérienne Sonatrach. Chakib Khelil écrit, en effet : «La gestion de ces stations-service sera assurée dans un premier temps par Sonatrach durant moins de deux ans. Après cette période, nous ferons en sorte que les infrastructures réalisées soient transférées pour le bénéfice de votre groupe par le biais d’un avis d’appel d’offres international selon les termes et les conditions que nous avons déjà décidés. Etant convaincu de la réussite de cet important projet, nous resterons toujours prêts à vous assister dans des projets que vous désirez mettre en œuvre.» C’est donc ainsi que l’ancien ministre entendait défendre les intérêts de l’Algérie : «Venez faire des affaires avec notre propre argent !» Cette conception peu glorieuse et antinationale de gérer l’économie de l’Algérie s’était élargie, rappelons-le, à la dilapidation de notre principale richesse, le pétrole. Le bradage de Naftal que se préparait à fomenter Chakib Khelil s’intégrait dans une vaste stratégie de démantèlement de Sonatrach, lui-même entrant parfaitement dans le cadre du bradage des hydrocarbures au profit d’intérêts étrangers. Conformément au plan de la pègre pétrolière internationale, Chakib Khelil avait mis en œuvre la nouvelle loi sur les hydrocarbures (gelée depuis) qui autorisait un pillage en règle du sous-sol algérien par les majors anglo-saxons moyennant quelques dividendes accordés à leurs amis algériens. C’est cela, le fond réel du système de pillage institué par Chakib Khelil : asservir l’Algérie aux appétits de l’affairisme étranger, qu’ils soient occidentaux ou arabes. Cela va beaucoup plus loin que la simple corruption. Aussi, la réflexion va-t-elle au-delà du personnage de Khelil pour concerner, plus globalement, les interrogations qui entourent la constitution du premier gouvernement Bouteflika en 1999. Tout se passe comme si ce dernier avait agi dans une sorte de dépendance visà- vis des groupes qui ont favorisé son avènement. Sommes-nous vraiment face à une conspiration qui n’a jamais dit son nom, un axe qui va de certaines capitales d’Europe à des monarchies arabes, qui aurait exploité le malaise de l’armée qui ne voulait plus être au centre du système politique, accéléré le départ du commandement militaire, poussé le général Zéroual à la démission et fabriqué de toutes pièces le fameux «transfert du pouvoir aux civils» ? Dans la récente interview accordée par l’expert pétrolier Nicolas Sarkis au Soir d’Algérie, il a été question de la stratégie occidentale de reconfiguration des pouvoirs au sein des pays exportateurs de pétrole, de sorte que leur politique pétrolière favorise une surproduction qui viendrait compenser le déclin de la production mondiale. Cette politique d’ingérence, notable depuis une vingtaine d’années, c’est-à-dire depuis que le volume du pétrole extrait du sous-sol dépasse celui du pétrole découvert, a-t-elle concerné l’Algérie ? Toujours est-il que les chiffres sont éloquents : en l’espace de cinq ans seulement, de 2001 à 2005, la production algérienne de pétrole et de gaz naturel liquéfié est passée de 1,6 à 2 millions de barils par jour, soit un bond de 25% ou le double de la moyenne d’augmentation de la production Opep durant la même période.

Difficile de ne pas voir la déroutante loi sur les hydrocarbures de 2005 par laquelle le pouvoir algérien bradait ses richesses énergétiques au profit des grands groupes pétroliers, autrement que comme un alignement sur les intérêts des grands groupes. Nous le savons depuis l’affaire Mossadegh et l’affaire Mattei, les grands groupes pétroliers ne reculent devant rien. Il y a quarante ans, ils intriguaient pour conserver un pétrole bon marché. Aujourd’hui, ils intriguent pour forcer les pays producteurs à surproduire afin de répondre aux intérêts des grands groupes. L’Algérie concernée ? Pour l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi, ne fait pas de doute : «Nous n’avons pas tiré tous les enseignements de la fameuse loi sur les hydrocarbures, principal sponsor diplomatique du deuxième mandat présidentiel et manifestation concrète de la collusion avec des intérêts étrangers. Elle constitue un cas d’école dans la définition de la corruption comme une forme de trahison au moins parce que les grands groupes pétroliers en ont eu la primeur au début de l’année 2004 bien avant le gouvernement et les élus du peuple.» Oui, l’affaire Naftal semble bien entrer dans une politique plus globale de soumission aux intérêts étrangers. D’ailleurs, la manière peu glorieuse et antinationale qu’avait l’ancien ministre de l’Energie de dresser le tapis rouge aux affairistes arabes, «venez faire des affaires avec notre argent» rappelle cet autre scandale dévoilé en juin dernier par notre confrère TSA: sur instruction du président Abdelaziz Bouteflika, le fonds d’investissement émirati EIIC a bénéficié d’une autorisation exceptionnelle de financement via des banques algériennes pour son projet algérien Dounya Parc, d’un montant de 100 milliards de dinars. Les documents publiés par TSA ressemblent, à s’y méprendre, avec ceux produits par El-Watan. Faut-il rappeler également que la réalisation par Orascom de l’Égyptien Sawiris, de deux lignes de production de ciment blanc et de ciment gris basées dans la région d’Oggaz près de Mascara a été financé à hauteur de 61% par les banques publiques et privées algériennes ? «En fait, toutes ces opérations (de malversations, ndla) n’auraient jamais pu se faire si Chakib Khelil ne jouissait pas d’un soutien inconditionnel du chef de l’Etat et de quelques milieux des fournisseurs d’équipements pétroliers et gaziers de l’ex-Administration Bush, nous dit Rahabi. C’est pourquoi il décide sans consulter ni les représentants du peuple ni les organes consultatifs de l’Etat, qui s’en accommodent d’ailleurs parfaitement, et encore moins le gouvernement composé de deux collèges. Le premier jouissant d’un rang qui confère la condescendance autorisée par la proximité avec le chef de l’Etat. Le second est composé en grande partie de commis de l’Etat servant d’alibi technocratique ou faussement théocratique obéissant aux injonctions politiques et par conséquence justiciables par destination au gré des changements au sommet de l’Etat.».

«Nous serons bientôt en mission à Genève…»

Il est édifiant, à ce propos, que l’ancien ministre de l’Energie, dans des correspondances datant de 2008 et 2009, précise à l’intention de ses interlocuteurs qataris : «Notre ami commun (Abdelaziz Bouteflika) est le seul médiateur et se portera garant.» Il leur promettra le soutien politique de Bouteflika lui-même pour la cession de Naftal : «Nous vous garantissons que le projet démarrera sous l’égide de notre président de la République Abdelaziz Bouteflika et qu’une attention particulière est réservée à ce projet, écrit Chakib Khelil aux Qataris. La politique économique de notre ami le président Abdelaziz Bouteflika est consistante et nous donne des garanties pour la réussite de l’implémentation de notre projet. C’est ce que nous avons déjà déclaré à votre émissaire et ce que notre ami mutuel vous a fait remarquer. Nous serons bientôt en mission à Genève (Suisse) et pourrons vous rencontrer si vous êtes disponible. » Comment cela a été possible sans que ne soit alertée aucune institution dans le pays ? C’est que, et l’épisode Naftal le montre bien, toute l’escroquerie Sonatrach a été mûrement réfléchie. Le pouvoir a fait en sorte que l’Algérie soit l’un de ces États autocratiques où la gestion de la rente pétrolière n’a jamais fait l’objet d’un débat public. Personne n’est en mesure de dire comment elle est gérée, où sont placées ces énormes masses d’argent générées par les hydrocarbures. Chakib Khalil eut pour première mission de contrôler Sonatrach et de la soustraire aux regards extérieurs. Le tout nouveau ministre va immédiatement entourer de barbelés la poule aux œufs d’or : il ne laissera personne s’en approcher. Dans un premier temps, il la coiffera lui-même, cumulant grossièrement sa haute fonction au sein du gouvernement avec celle de directeur général de Sonatrach. C’était, lui semblait-il, le meilleur moyen d’assurer la confidentialité à des besognes non avouables. Après quatre ans, le procédé devenait cependant assez gênant et le ministre finira par consentir à nommer un successeur à la tête de Sonatrach. Un prête-nom qui n’aurait aucun pouvoir, qui laisserait faire le clan, mais dont la désignation formelle sauverait les apparences aux yeux de l’opinion. Où trouver ce dirigeant fictif ? Chakib Khelil va avoir une idée diabolique : placer aux commandes de l’entreprise un homme atteint d’un cancer avancé et qui passe ses journées dans les séances de chimiothérapie sur un lit d’hôpital. Un homme entièrement absorbé par son combat contre la mort, et donc totalement absent. Le 7 mai 2003, sur proposition de son ministre de l’Énergie, le président Bouteflika nomme donc Djamel-Eddine Khène, grand malade, directeur général de Sonatrach. Khène mourra le 7 juillet 2003, deux mois à peine après sa désignation et Sonatrach sera, ainsi, livrée à la prédation, celle-là sur laquelle enquêtent aujourd’hui le DRS et la justice italienne. Parallèlement, le pouvoir «civil» de Bouteflika foulait aux pieds l’une des décisions les plus sages prises par un… pouvoir militaire : le Conseil national de l’énergie, créé en 1995 sous la présidence de Zeroual, «chargé d’assurer le suivi et l’évaluation de la politique énergétique nationale à long terme, notamment de la mise en œuvre d’un plan à long terme destiné à garantir l’avenir énergétique du pays», n’a jamais été convoqué par Bouteflika. Et pour cause ! Cette instance présidée par le chef de l’État et composée des ministres de l’Energie, de la Défense, des Affaires étrangères et des Finances, ne s’est plus réunie depuis 1998. «Il est évident que la prévarication et les détournements de fonds dont il est question n’auraient certainement pas pu se produire s’il n’y avait pas eu, pendant cette période et dans le secteur des hydrocarbures, une telle concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme et une telle opacité dans les mécanismes de prise de décision, pendant que des centaines de cadres qualifiés de la Sonatrach étaient systématiquement poussés vers la porte de sortie, estime Nicolas Sarkis. Il est du reste anormal, pour le moins qu’on puisse dire, que le Conseil national de l’énergie reste mis à l’écart et que les élites algériennes n’occupent pas toute la place qui leur revient dans la réflexion sur l’avenir énergétique de leur pays. Même dans les “pétromonarchies”, il y a, et depuis bien longtemps, des Conseils supérieurs du pétrole qui participent activement à l’élaboration de la politique pétrolière nationale. Et quand il arrive, comme au Koweït dans les années 1990, qu’un ministre (pourtant membre de la famille régnante) soit soupçonné d’indélicatesses, la justice nationale engage des poursuites contre lui. Autant sinon plus que la probité et/ou le sens de la morale des hauts dirigeants, le meilleur rempart contre la corruption est le régime démocratique, soit essentiellement la transparence, les contre-pouvoirs et les contrôles qui s’imposent pour empêcher les gardiens du trésor de puiser dans la caisse.»

Voilà qui est dit.

M. B.