Le Soir d’Algérie : Dans la déclaration écrite que vous avez envoyée à certains organes de presse sur l’affaire de corruption Sonatrach-Saipem, nous avons relevé un certain nombre de points sur lesquels vous avez insisté et qui mériteraient quelques explications à même d’éclairer nos lecteurs.
Ces points sont au nombre de quatre et concernent essentiellement :
1. Votre indignation sur le fait que la presse algérienne ait fait mention de votre nom du seul fait, dites-vous, de votre parenté avec votre neveu, Farid Bedjaoui, présumé principal intermédiaire dans cette affaire de corruption.
2. Votre affirmation selon laquelle vous n’auriez jamais disposé de la moindre parcelle d’influence ni auprès du ministère de l’Energie ni de SH ni n’êtes jamais intervenu en faveur de quiconque pour favoriser l’attribution d’un quelconque «contrat ou de quelque avantage particulier».
3. Votre déclaration sur l’absence totale de tout rapport entre vous et l’ENI ou Saipem en Algérie ou à l’étranger.
4. Votre rappel sur le fait que depuis six ans, vous n’exercez plus de fonction, et partant, vous ne pouviez avoir aucune «influence supposée» sur des faits survenus durant ces dernières années. Si vous permettez, Monsieur Bedjaoui, nous allons évoquer tous ces points avec vous. Nous souhaiterions enfin avoir votre propre appréciation sur ce que vit aujourd’hui le pays en termes d’affaires qui défraient les chroniques et qui empoisonnent le climat aux différents plans économique, politique et surtout social.
«Au nom de quelle raison faudra-t-il faire de la parenté un fait générateur de délit ?» dites-vous, très justement, dans votre déclaration. Il ne peut y avoir, en effet, de délit génétique, de délit du seul fait de la parenté. Il nous semble, toutefois, que les médias algériens ont fait ce qu’ont fait quelques jours auparavant leurs confrères, français, italiens ou canadiens (AFP Canada du 21 février 2012 ; journal canadien La Pressedu même jour) qui ont immédiatement précisé que Farid Bedjaoui est le neveu de l’ancien MAE algérien et ancien président de la Cour internationale de La Haye. Eu égard à votre ancien statut d’homme public ayant exercé de très hautes fonctions au plan national et international et qui plus est dans des fonctions notamment de justice, croyez-vous, Monsieur Mohamed Bedjaoui, que l’on pouvait faire l’économie de votre parenté avec le présumé corrupteur ? Et qu’est-ce qui fait que vous vous sentiez atteint dans votre honneur ?
Mohamed Bedjaoui : Le fait que la presse étrangère ait fait référence à ma parenté avec Farid Bedjaoui ne crée aucune obligation pour notre presse nationale de faire de même. Ce comportement constituerait un suivisme de mauvais aloi, car je ne doute pas un seul instant que la référence faite par la presse étrangère à ladite parenté n’est pas innocente. J’avoue que j’ai la faiblesse de croire que notre presse, la presse de mon pays, n’aurait certainement pas démérité en faisant crédit au vieux militant de la cause de la justice que je suis et dont vous rappelez les états de services, en bannissant de ses articles une référence à ma parenté, forcément préjudiciable, avec celui que vous qualifiez de «présumé corrupteur». Le rabâchage de mon lien de parenté n’est pas anodin. Si ces allusions étaient anodines ou banales, alors quel intérêt y aurait-il eu à les pointer ? Je vois dans ce rappel incessant, comme une intention malveillante d’introduire le doute sur ma probité, pratique qui me paraît attentatoire à mon honneur et qui me blesse profondément. Mon capital est qu’à 83 ans, j’ai, semble-t-il encore, l’œil vert et la pensée claire. Je travaille ; je donne des consultations à des Etats (je les choisis) ; j’ai mes livres (il m’en reste encore beaucoup, alors même que j’ai offert pas moins de 6 500 ouvrages à la Bibliothèque nationale d’Alger en 2009) ; j’ai mes conférences internationales ; j’ai mes travaux personnels. N’est-ce pas beaucoup d’ingrédients pour faire le bonheur ? Avec mes pensions de retraite de La Haye et de mon pays, et avec les honoraires perçus pour mes travaux (même s’il m’arrive de travailler bénévolement pour des pays pauvres), je mène le reste de mes jours très correctement… Il y a certes une ombre au tableau à l’heure d’internet. Certains chez nous s’acharnent à salir ce qui reste encore propre. Cela me cause aujourd’hui un tort immense. Je n’en dis pas plus.
Ne pensez-vous pas que parce que vous êtes un homme public, si votre parenté et seulement celle-ci, n’avait pas été notée, ces médias d’ici et d’ailleurs auraient failli à leur devoir d’information complète ? Taire cette parenté aurait été perçu, très justement, comme une attitude bien suspecte des médias.
L’argument qui consiste à affirmer que la «révélation» de mon lien de parenté était nécessaire car de nature à mettre la presse à l’abri de toute critique de complaisance à mon égard, me paraît bien pervers. Pour dire le moins, j’affirme que faire fi de l’honneur des citoyens dans la diffusion de l’information, en particulier quand elle est lourdement abusive, c’est violer l’éthique professionnelle. Il existe deux situations qu’il est catégoriquement impératif de distinguer et d’éviter de confondre. Se réjouir de la réussite d’un proche promu ministre et même peut-être s’en vanter, relève d’un sentiment naturel à tout être humain. Mais insinuer, par divers artifices, qu’il puisse y avoir entente secrète entre parents en vue de causer préjudice à l’Etat, ne peut que blesser profondément tout homme innocent et particulièrement un serviteur de l’Etat.
Pensez-vous très sincèrement (répondez-moi sans langue de bois si vous le voulez bien) que si Farid avait eu un autre nom que Bedjaoui, il aurait pu avoir des entrées aussi faciles et aussi solides dans l’institution Sonatrach ?
Une réponse à cette question requiert un don de divination que je ne possède pas : «si Farid n’était pas Bedjaoui…» ? Mais avec de telles hypothèses et de tels conditionnels, on peut dire tout et son contraire. Mais peut-être vous-même qui aviez publié une page entière sur l’intéressé et sa famille par alliance (qui est, vous le dites, une famille bien connue des businessmen et bien introduite dans les milieux des affaires), êtes mieux en mesure de répondre à votre propre question. Le monde international des affaires possède ses réseaux, ses alliances, ses connaissances, que je ne connais pas et auxquels je suis étranger et tiens à le rester. Et pour couper court à toutes les arrière-pensées et vous répondre ‘’sans langue de bois’’, je déclare ici que je n’ai jamais ni présenté, ni introduit mon neveu à quiconque de Sonatrach ou du ministère de l’Energie. D’ailleurs, à ma connaissance, il venait très peu en Algérie.
Vous vous questionnez sur la raison qui a fait que les journalistes avaient cité votre nom dans la relation des faits présumés imputés à Farid Bedjaoui et vous dites ceci : «Je n’ai pas de réponse à ces questions, hors celle que l’on trouve dans la fable du loup et de l’agneau. J’ai, en revanche, bien des réponses à la suspicion qui m’atteint dans mon honneur.» Quelles sont justement, M. Bedjaoui, toutes ces raisons, selon vous, de la suspicion dont vous vous sentez l’objet ? C’est là une déclaration très énigmatique de votre part qui n’est pas faite pour éclairer les citoyens parce qu’elle suggère beaucoup de choses mais ne dit rien sur l’essentiel. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je n’ai pas de réponse sur les possibles ou probables raisons qui ont suscité l’amalgame créé par ma parenté avec Farid dont le nom est cité, sauf à répéter qu’il m’est hautement préjudiciable. Et pour dire tout le fond de ma pensée, je crains d’être attiré, avec cette affaire, malgré moi, dans un piège fait de supputations politiques avec cette affaire. Je me suis bien gardé d’évoquer cet aspect dans ma récente mise au point que notre presse a bien voulu publier. Veuillez me permettre de ne pas non plus le faire maintenant à l’occasion de votre question. Je prie également notre presse d’éviter de tomber dans les jeux obscurs de la politique politicienne au détriment de la transparence dans les affaires qui préoccupent à juste titre nos concitoyens.
Lorsque vous déclarez «je n’ai jamais eu un quelconque rapport avec l’entreprise italienne ENI ou Saipem ou toute autre de ses filiales, ni en Algérie, ni à l’étranger» cela peut se concevoir et aucune raison pour ne pas vous croire. Plus difficile toutefois d’imaginer, comprendre et croire votre réfutation sur toute influence que vous auriez pu avoir lorsque vous exerciez vos différentes fonctions et même d’ailleurs depuis six ans que vous avez cessé toute fonction.
Je vous suis reconnaissant de me faire crédit de votre confiance lorsque j’affirme n’avoir jamais eu de rapport quelconque avec l’ENI ou Saipem. En revanche, je suis perplexe devant votre difficulté à «imaginer et comprendre (ma) réfutation sur toutes influences réelles ou supposées que (j’aurais) pu avoir aussi bien lorsque (j’exerçais mes) différentes fonctions que depuis six ans que (j’ai) cessé toute fonction». Je conviens avec vous que dans l’exercice de la fonction gouvernementale, l’influence politique est le corollaire naturel du pouvoir. Dès lors, une première réponse simple à votre question est que n’ayant jamais eu un quelconque rapport, de quelque nature que ce soit, avec l’ENI et Saipem, dont je ne connais à ce jour aucun agent de quelque niveau de responsabilité que ce soit, mon influence, ou mon intervention, n’aurait pu, par hypothèse, ni cibler, ni atteindre personne de ces deux sociétés et n’aurait eu, par conséquent, aucun impact. Il y a plus. Votre question me paraît exprimer une certaine confusion entre deux situations radicalement différentes. Il existe en effet dans la vie publique deux catégories de personnes, celles qui aiment le pouvoir et qui, ayant dû le quitter un jour, entendent toutefois demeurer dans ses allées, par goût, par vocation, par intérêt ou par addiction, et celles qui vont au pouvoir pour essayer de servir l’Etat et qui, ayant volontairement quitté ce service, décident de s’orienter hors du pouvoir ou de se mettre définitivement à la retraite, compte tenu de leur âge. Je fais partie de la seconde catégorie. Le président Bouteflika, que j’avais sollicité pour me libérer de mes fonctions, avait bien voulu accéder à ma demande, de sorte que je me suis retiré de la politique en tout bien tout honneur, sans chercher à rester à Alger pour y exercer une quelconque influence. Votre analyse aurait eu quelque pertinence si je n’avais pas démissionné de ma propre initiative ou si, l’ayant fait, j’étais resté dans les allées du pouvoir à Alger. Dans mon pays, j’ai rempli mes fonctions avec passion et avec la rectitude et la légalité qui s’imposaient. Et lorsque, dans la vie complexe d’aujourd’hui où tout dépend de tout, des problèmes venaient à dépasser le cadre de mes attributions ou intéressaient des secteurs d’autres acteurs publics, j’ai toujours élevé le débat et évité d’empiéter sur les domaines de compétence d’autres collègues. Le recours à la concertation et à l’arbitrage du chef du gouvernement ou du chef de l’Etat résolvait toutes les difficultés. L’intérêt général fut mon guide permanent au service de l’Etat. Et pour ma part, Dieu en soit remercié, les nombreuses fonctions de prestige et d’importance que j’ai assumées dans mon pays comme sur le plan international à la tête de la Cour internationale de justice, ou en tant qu’arbitre dans les litiges internationaux, ou encore en tant que consultant de gouvernements, m’ont placé depuis 50 ans à l’abri du besoin matériel. Ma pension internationale et celle que me sert mon pays s’y ajoutent.
Que pense l’ancien diplomate émérite de l’image – ô combien empoisonnée par les affaires — renvoyée en ce moment sur la scène internationale par notre pays ?
Votre question trouve un écho ému non seulement chez l’ancien diplomate, mais également et surtout chez l’homme de loi et de justice que je suis et le patriote que je n’ai jamais cessé d’être. A 16 ans, je vendais le journal Egalité(devenu La République algérienne) de Ferhat Abbas, dont je fus à l’indépendance le directeur de cabinet à l’Assemblée nationale constituante. A 16 ans, je faisais circuler sous le manteau, au collège de Tlemcen, le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire. A 20 ans, de 1949 à 1953, j’étais à Grenoble président d’un «Comité de défense» des 50 000 travailleurs et chômeurs maghrébins de la région du Dauphiné. A 23 ans, j’étais exclu du concours d’entrée à l’ENA (arrêt du Conseil d’Etat français du 19 mai 1954) pour mes activités anticolonialistes. Sorti de l’université en mars 1955 avec mes diplômes en poche, je me suis mis à la disposition de notre Révolution. Je dois surtout à ma visite en mai 1956 en Suisse au Dr Ahmed Francis, auprès duquel j’ai tout appris de la vie politique (et dont j’ai épousé à l’indépendance la nièce), d’avoir rejoint les rangs du FLN. au Caire et à Tunis et d’avoir pris une grande part à la libération de mon pays aux côtés des plus grandes figures historiques de l’Algérie combattante. L’indépendance de l’Algérie, son développement démocratique, qui ne peut aller sans une saine gestion dans tous les domaines, me travaillent depuis plus de 60 ans et ont toujours inspiré mon action. Vous comprenez donc que je ne puis que déplorer fortement le climat délétère qui semble malheureusement s’être installé dans mon pays, ainsi que l’avalanche d’affaires qui gangrènent la santé financière de l’Etat. L’image que nous renvoie la situation obérée actuelle est bien loin, hélas, de celle pleine de promesses de l’Algérie combattante et victorieuse de 1962 et de la jeune République admirée et respectée alors par toutes les nations du monde.
Les pays de la région et les nations arabes plus globalement opèrent – certes dans la douleur pour la plupart — une mue profonde et surtout un rajeunissement de leur personnel politique et de gouvernance. L’Algérie semble, elle, en dehors de ce temps des changements. Très crûment et très directement, Monsieur Bedjaoui, peut-on continuer de gérer un pays de jeunes avec des vieux ?
Le déclenchement des «Printemps arabes» a constitué en soi une immense victoire des peuples sur leurs dictateurs. On a relevé cependant que dans certains de ces pays, le printemps a laissé la place à un certain hiver. C’est que ces pays n’ont pas encore achevé leur mue politique et, sans être devin, on peut penser qu’ils auront besoin de plusieurs années de luttes encore avant de pouvoir trouver leur point d’équilibre autour de la démocratie. Ils passeront encore des phases de flux positives à des phases de reflux négatives et vice-versa. Car en vérité, la démocratie ne s’instaure pas par décret. Elle suppose une «longue marche» au cours de laquelle les peuples, par leur lutte, enregistrent progressivement acquis sur acquis. Bref, la démocratie est une culture, un long et douloureux apprentissage d’une culture du respect absolu de soi et des autres. La démocratie est tout le contraire de l’instantané ou le résultat d’un claquement de doigts. Contrairement à vous, je n’ai pas vu dans ces «Printemps arabes» «un rajeunissement de leur personnel politique et de gouvernance». La situation reste à mes yeux ambiguë à cet égard. Elle se clarifiera certainement avec le temps. La question intéressante à poser serait de savoir pourquoi ces «révolutions» ont «mûri» (est-ce le mot juste ?), disons ont «éclaté» aujourd’hui et non pas hier, ou demain et pourquoi certains pays ont été atteints et pas d’autres ? Cela mériterait de p ousser la réflexion très loin sur la vie politique, économique et sociale de chacun des pays concernés. Quant à notre pays, il possède une histoire singulière, toute différente de celles des autres, marquée par la guerre de Libération nationale qui est un phénomène très distinctif générateur d’une certaine «culture révolutionnaire» propre à l’Algérie. Cette guerre a dimensionné le pays, façonné les esprits, formaté les comportements. Peut-on dire que cette guerre contre l’abjection absolue qu’était le colonialisme a été l’exploit des jeunes ? On peut l’affirmer. Mais ces «jeunes» d’hier sont les «vieux» d’aujourd’hui. Ils ont droit au respect au moins pour leur ouvrage historique. Cela devrait rester hors discussion. Quant à votre question «crue et directe» selon laquelle on ne peut pas continuer de gérer un pays de jeunes avec des vieux, elle pose bien des problèmes. Je n’en évoquerai que quelques-uns. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, la démocratie est l’affaire de tout un peuple, pas seulement que des jeunes et pas non plus que des vieux. Elle est le résultat de longs et incessants combats de tous. Je crois que les jeunes et les vieux de notre pays peuvent marier leurs forces et leurs efforts pour faire encore un bout de chemin ensemble, les uns apportant leur indomptable énergie et les autres leur longue expérience et leur sagesse à l’édification démocratique du pays. Par ailleurs, nous devons éviter quelques «effets d’optique». Prenons par exemple le FLN. Il est vu par beaucoup comme un «vieux parti» (ce qui est vrai puisque son origine remonte au déclenchement de la Révolution), mais aussi comme un «parti de vieux» (ce qui est inexact, la majorité des militants et animateurs du parti à tous les niveaux étant composée de jeunes). Il faut cependant esquisser ici une critique dans la mesure où notre génération de vieux a porté un intérêt assez relatif à préparer politiquement les jeunes à la «relève du pouvoir». On pouvait espérer des efforts plus positifs, voire plus spectaculaires compte tenu de la jeunesse du pays.
Un quatrième mandat pour l’actuel président de la République vous semblerait-il normal et conforme aux règles de l’alternance démocratique ? Et là aussi, plus brutalement dit : si elle venait à se concrétiser, soutiendrez-vous une quatrième mandature pour Bouteflika ?
J’ai cru comprendre à la lecture de la presse nationale, que le président de la République n’envisage pas un nouveau mandat. Votre question me paraît donc prématurée. C’est au peuple algérien qu’il appartient de redéfinir sa propre conception d’une démocratie moderne. Pour terminer ce long entretien, je vous demande de m’accorder la permission d’évoquer un souvenir. Il a l’avantage de vous montrer que je suis optimiste quant à l’avenir de notre pays : Je revois encore, je revis encore, ce 6 octobre 1962 à New York l’émouvante cérémonie de la levée de nos couleurs nationales devant le building des Nations-Unies parmi les longues hampes qui portaient les drapeaux des autres Etats membres. Un instant d’éternité où les larmes fusent, où les gorges se nouent. Un instant où les sanglots délivrent les plus beaux messages de bonheur. Je nous vois tous gagnés par cette indicible émotion, mais je vois surtout, près de moi, le Pakistanais Zafrullah Khan, président de l’Assemblée générale des Nation-Unies, essuyer, lui aussi, ses larmes et le secrétaire général U Thant, oui lui-même, le Birman, faire le même geste à mille lieues de la maîtrise de son calme froid habituel. Et quand, le soir venu, nous offrîmes à 3 000 délégués un immense cocktail, la file d’invités, qui battait de la semelle et qui se prolongeait démesurément jusque hors du building des Nations-Unies, était celle d’ambassadeurs, de ministres des Affaires étrangères, de chefs de gouvernement (car le «Débat général» qui commence en octobre à l’ONU attire tous les grands de ce monde). Ils étaient tous là pour saluer le miracle sept fois renouvelé d’un peuple resté debout… Ceux qui ont vécu, ou vu des scènes de cette nature, ou d’autres tout aussi saisissantes de grandeur et d’émotion, ne peuvent pas nourrir de doute sur l’avenir heureux de l’Algérie, quel que soit le goût amer de l’instant…
K. B.-A.
Décryptage
Mohamed Bedjaoui, ancien ministre des Affaires étrangères (mais pas seulement, voir un résumé de son CV qui pourrait prendre des pages entières) s’est dit atteint dans son honneur par la presse qui aurait trop vite et trop injustement accolé son nom à celui de son neveu Farid Bedjaoui.
Le nom de Mohamed Bedjaoui est en effet apparu très récemment dans plusieurs titres de la presse nationale et internationale à propos du scandale Sonatrach 2 et Lavalin. Pour rappel et en résumé, au risque d’être très réducteur, des médias italiens et canadiens, repris par la presse algérienne, ont fait état de sa parenté (oncle) avec Farid Bedjaoui, sur lequel enquête la justice italienne qui le soupçonne d’être l’intermédiaire principal dans l’octroi de très gros marchés Sonatrach pour lesquels ENI, par l’intermédiaire de sa filiale Saipem, aurait consenti 180 millions de dollars de commissions grâce à l’entremise de Farid Bedjaoui, très introduit auprès des décideurs algériens et notamment Chakib Khelil. Quant à la justice canadienne, elle s’intéresse aux irrégularités des contrats de leur entreprise Lavalin qui aurait cheminé par le même intermédiaire pour se voir octroyer de très nombreux projets en Algérie, grâce, là aussi, aux présumées commissions occultes. L’ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président de la Cour internationale de La Haye s’est déjà exprimé en s’élevant dans une lettre rendue publique sur le fait que la presse cite son nom dans le scandale de Sonatrach 2. Sa lettre, pourtant très longue, n’a pas convaincu beaucoup de lecteurs. C’est sur cette lettre et l’affaire Sonatrach et seulement sur celle-ci, que nous avons pris attache avec l’intéressé pour demander des éclaircissements. M. Bedjaoui persiste et signe : d’abord, la presse algérienne n’aurait pas dû associer son nom à celui de son neveu. Ensuite, et il est important de le relever, cette affirmation très solennelle de l’ancien MAE et ancien ministre de la Justice : «Je déclare ici que je n’ai jamais ni présenté, ni introduit mon neveu à quiconque de Sonatrach ou du ministère de l’Energie.» Dans la foulée, Mohamed Bedjaoui nous apprend qu’il a démissionné «de sa propre initiative». Précisons, enfin, et ce n’est pas inutile, que l’interview s’est déroulée par courriel.
Bio-express
Mohamed Bedjaoui, né en 1929 à Sidi-Bel-Abbès, a démarré très tôt son itinéraire en s’engageant au sein du FLN en tant que conseiller juridique et auprès du GPRA qu’il assistait au plan juridique comme il le fit également au sein de la délégation algérienne aux négociations d’Evian (1961-1962), en tant qu’expert. Il occupa de très nombreux postes dont on n’en énumérera que quelques-uns : secrétaire général du gouvernement de 1962 à 1964 ; ministre de la Justice, garde des Sceaux de 1964 à1970 ; ambassadeur d’Algérie en France de 1970 à 1979 ; délégué permanent de l’Algérie auprès de l’Unesco de 1971 à 1979 ; ambassadeur auprès des Nations-Unies de 1979 à 1982 ; juge, puis président de la Cour internationale de justice de La Haye de 1982 à 2001. Rappelé par Bouteflika en 1999, il préside la Commission nationale de surveillance des élections présidentielles dont il valide le scrutin, malgré le retrait des six autres concurrents de Bouteflika. Il est nommé, toujours par Bouteflika, président du Conseil constitutionnel de 2002 à 2005 ; ministre des Affaires étrangères de 2005 à 2007, poste dont il démissionnera, nous apprend-il. Depuis, il intervient auprès de nombreux gouvernements et donne des conférences dans de nombreux pays. Enfin, Mohamed Bedjaoui a produit nombre d’ouvrages à caractère politique et juridique ou encore rendu publiques des analyses de traitement d’affaires juridiques liées à ses fonctions.
Entretien réalisé par Khadidja Baba Ahmed
khadidja_b@yahoo.fr