Depuis quand est-ce que Daesh permet aux journalistes occidentaux de se promener parmi ses rangs?
L’information qui circule à fond, depuis hier, sur la Toile et qui est reprise par toutes les agences de presse est celle se rapportant à un certain Jürgen Todenhöfer qui, après avoir passé dix jours avec les djihadistes de Daesh, revient faire des déclarations fracassantes et attirer l’attention du monde civilisé sur le fait que l’armée de Daesh est «plus forte et plus dangereuse» qu’on ne le croit. On nous dit qu’en attendant qu’il publie ce qu’il appelle «10 jours dans l’Etat islamique», il n’a pu s’empêcher de faire des déclarations à la célèbre CNN, une chaîne dont nul n’ignore le rôle, le positionnement et la mission depuis la première guerre du Golfe.
Cette information bien qu’elle ait, cependant, tout pour être bizarre, tordue et douteuse nul ne semble intéressé par la vérité car, nous est-il donné de croire, les rôles sont partagés dans sa diffusion et sa propagation.
Jürgen Todenhöfer aurait, selon ses dires, passé dix paisibles jours à se déplacer entre «Raqqa et Deir Ezzor en Syrie, ainsi qu’à Mossoul, ville irakienne devenue ‘capitale » du califat proclamé par le leader de l’EI, en juin dernier». Une petite promenade de santé, une sinécure quoi, dans les territoires occupés par Daesh. Il se serait ainsi déplacé à son aise et aurait même eu la latitude d’interviewer, dans la tranquillité et la sérénité les plus absolues, les soldats de cette armée et de discuter librement avec les villageois de leurs sentiments vis-à-vis de Daesh, de leur choix et, bien entendu, ces derniers avaient toute la liberté de dire leurs vrais sentiments et leurs choix les plus intimes. Il a même constaté «un sentiment de normalité terrible à Mossoul» et n’oublie pas de mentionner que «de nombreuses personnes apprécient même la stabilité que l’Etat islamique a apportée».
Il a eu tout le temps de vérifier que les soldats de l’EI sont forts et redoutables par leur «volonté de mourir sur le champ de bataille», qu’ils sont loin d’être des imbéciles pour qui aurait tendance à la croire: «Ce ne sont pas des imbéciles. L’un d’eux venait de terminer sa licence de droit, il avait de très belles offres de travail, mais il a préféré tout plaquer pour la guerre.» Et pour confirmer qu’ils ne sont pas des imbéciles, il ajoute: «J’ai même rencontré des Européens et des Américains.»
Durant ses déplacements paisibles, Jürgen Todenhöfer a pu, sans aucun problème, rendre visite à un prisonnier kurde qui, le sourire grand comme ça, lui a juré sur tout ce qu’il a de cher qu’il n’a jamais été torturé par les gentils et pacifiques soldats de Daesh. Puis, la main de celle de l’innocence, poursuivant sa belle promenade, Jürgen Todenhöfer a été pris par un désir soudain de pèlerinage à la désormais célèbre mosquée depuis laquelle Abou Bakr Al-Baghdadi avait eu l’idée de proclamer le califat un jour.
Et, une fois terminée cette croisière au coeur même de la paix promenade, au son d’une fanfare peu commune, il a été raccompagné, mouchoirs à la main de ses accompagnateurs, pour essuyer les larmes extirpées par la dure séparation. Et voilà qu’il est revenu parmi les siens, raconter ce qu’il veut.
Racontez-la donc à d’autres!
Cette immersion dans les camps de l’EI est simplement incroyable, du moins telle qu’on la présente, et pour des raisons si évidentes qu’elles n’ont même pas besoin d’être dites. Il est des questions que l’on ne saurait se priver de poser.
Depuis quand est-ce que Daesh permet aux journalistes occidentaux de se promener parmi ses rangs? Depuis quand leur permet-il d’interviewer ses soldats? Depuis quand leur permet-il de parler aux villageois sans contrôle? Depuis quand leur permet-il de parler aux prisonniers sans surveillance?
On a l’impression que l’on veut, quelque part, changer l’image de Daesh. En faire quelque chose de plus comestible pour la communauté internationale, lui procurer même un peu de sympathie. Ce qui laisse croire que la mission qui lui a été assignée n’est pas encore terminée et qui soulève des questions, beaucoup de questions, quant à la mission de Jürgen Todenhöfer auprès des soldats de l’EI parce que, tout compte fait, on a l’impression que la rencontre des deux, Daesh et le «politicien-journaliste-allemand-qui-revient-d’une-promenade», n’est pas fortuite et qu’elle serait même arrangée par les employeurs des uns et de l’autre!
Dans ce monde, il en est qui travaillent sur le très long terme et se plaignent de ne pouvoir planifier sur un horizon plus long encore, alors que les autres sautent d’une case de la marelle à l’autre, et croient avoir vu au-delà du temps! Nous sommes ces derniers.