Le remaniement du gouvernement Sellal a bien eu lieu. Il était dans l’air depuis avril dernier, mais la maladie du président Bouteflika l’a retardé et a fini par lui donner un tout autre sens. Le président Bouteflika n’a pas dérogé à la règle qu’il s’est imposée depuis son accession au pouvoir : c’est lui qui choisit le timing, après avoir laissé les principaux antagonistes se découvrir.
À sept mois de l’élection présidentielle, le président Bouteflika vient de signifier à tout le monde qu’il n’est pas encore fini et qu’il faudrait compter avec lui pour la suite des événements.
Les ministres FLN ont été débarqués du nouveau gouvernement, pour avoir tergiversé à rouler pour Amar Saïdani. Seul rescapé : Tayeb Louh, qui monte en grade puisqu’il s’occupera désormais du délicat département de la Justice, était le seul ministre FLN présent lors du plébiscite du nouveau patron du FLN imposé par le frère du président.
Le RND, lui, perd un poids lourd, l’indéboulonnable Chérif Rahmani, qui, jusqu’à la dernière minute, espérait être maintenu au gouvernement. Ou encore Amar Tou, pourtant proche du chef de l’État, mais qui a fait les frais de la crise du FLN.
Rahmani et Tou ne sont pas les seuls ministres à avoir été pris de court. Mourad Medelci a été reçu, il y a trois jours par le chef de l’État, et se trouve actuellement au Tchad pour une réunion sur le Sahel. Réputé être un proche du chef de l’État, le désormais ex-chef de la diplomatie algérienne est “appelé à d’autres fonctions”, selon le communiqué de la Présidence. Ou va-t-il être appelé à occuper d’autres fonctions en ce moment charnière de fin de mandat présidentiel ? Son successeur à la tête des Affaires étrangères est un diplomate chevronné qui a fait ses preuves, notamment dans la gestion des crises en Afrique.
Ramtane Lamamra, qui occupait le poste de commissaire africain à la Paix, réussira-t-il à recadrer la diplomatie algérienne et lui redonner son lustre d’antan ? Toujours est-il que sa désignation est tout à fait méritée.
Parmi les partants, il y en a un qui a déjà exprimé son désir de quitter l’Exécutif pour des raisons de santé. Il s’agit de Daho Ould Kablia, qui, à
80 ans, va pouvoir se retirer. Multipliant les bourdes à la tête d’un département très sensible, Ould Kablia donnait l’air, ces dernières semaines, de quelqu’un qui était hors contexte, qui ne voulait plus rien assumer.
Le département de l’Intérieur revient désormais à Tayeb Belaïz qui présidait jusque-là le Conseil constitutionnel, et qui avait dirigé, auparavant, le département de la Justice. Fidèle parmi les fidèles du président Bouteflika, Belaïz est nommé ministre d’État et aura la lourde charge de bien préparer l’élection présidentielle.
En revanche, Karim Djoudi, que l’on disait partant pour des raisons de santé, conserve son portefeuille des Finances.
Autre nomination à un poste sensible, celle du chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, en tant que vice-ministre de la Défense. Assuré de la fidélité de l’homme, le président Bouteflika lui aurait même, selon les informations parues ces derniers jours dans la presse, confié les directions les plus sensibles du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), que sont la communication, la justice et la sécurité de l’armée. Gaïd Salah aura donc la double casquette de chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, et dispose présentement d’un immense pouvoir, contrairement à l’ex-ministre délégué à la Défense, Abdelmalek Guenaïzia, dont la fonction était quasi symbolique et qui se voit écarté.
Si les départs de Abdelaziz Ziari du département de la Santé était dans l’air depuis fort longtemps, celui de Rachid Harraoubia, de l’Enseignement supérieur, réputé être un proche de Saïd Bouteflika, a de quoi surprendre. À moins que cela soit aussi lié à la crise qui a secoué le FLN. Rachid Benaïssa, l’ex-ministre de l’Agriculture, fait lui aussi les frais de la crise du FLN, bien qu’il se soit rangé à la dernière minute derrière Amar Saïdani.
Les rescapés de l’ancien gouvernement sont nombreux. À commencer par Bouabdallah Ghlamallah qui reste aux Affaires religieuses, ou encore Youcef Yousfi à l’Énergie, ou Mohamed-Cherif Abbas aux Moudjahidine, Abdelmadjid Tebboune à l’Habitat, Mohamed Necib aux Ressources en eau, Khalida Toumi à la Culture, Mustapha Benbada au Commerce, Abdelatif Baba Ahmed à l’Éducation, Mustapha Ferroukhi à la Pêche, Souad Bendjaballah à la Solidarité, Mahmoud Khedri au ministère des Relations avec le Parlement, Mohamed Noui au secrétariat général du gouvernement et même Mohamed Tahmi que l’on disait partant du département de la Jeunesse et des Sports. D’autres ministres, à l’instar de Louh, changent de portefeuille. Il s’agit de Amara Benyounès qui passe à l’Industrie, laissant l’Environnement à Dalila Boudjemaâ, de Amar Ghoul qui laisse les autoroutes inachevées avec leur lot de scandales, pour aller s’occuper des Transports.
Mohamed Benmeradi passe désormais au département du Travail et Abdelkader Messahel retrouve son domaine de prédilection : la Communication. Seul hic, M. Messahel est malade et serait toujours hospitalisé en Belgique. Mais, faut-il s’en étonner, alors que le chef de l’État lui-même est en convalescence depuis des mois ?
En tout, une vingtaine de ministres ont été maintenus, alors que douze font leur entrée.
Il s’agit notamment d’Ahmed Gaïd Salah qui devient l’homme fort du système, de Tayeb Belaïz qui fait son come-back de fort belle manière, de Ramtane Lamamra qui obtient une promotion somme toute logique, de Zohra Derdouri, l’ex-président de l’ARPT, qui vient de gagner sa bataille contre l’ex-ministre Moussa Benhamadi en prenant ainsi sa place, mais aussi des walis de Tlemcen, de Annaba, d’Oran et de Bordj Bou-Arréridj qui ont donné satisfaction au chef de l’État. Abdelwahab Nouri s’occupera de l’Agriculture, pendant que Noureddine Bedoui se chargera de la formation professionnelle, alors que Mohamed El-Ghazi dirigera le secrétariat d’État chargé de l’Ordre public, un tout nouveau département qui vient d’être créé, tandis que l’ex-wali d’Oran, Abdelmalek Boudiaf, se chargera du secteur de la Santé.
De son côté, Mohamed Djellab, ex-P-DG du CPA, est nommé ministre délégué chargé du Budget, et Abdelmadjid Bouguerra (à ne pas confondre avec le joueur de football !), un diplomate de carrière, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et ancien ambassadeur en Allemagne, est chargé de la Communauté algérienne à l’étranger.
Que faut-il retenir de ce remaniement ministériel ? Même s’il a emporté quelques dinosaures, comme ce fut le cas pour le dernier remaniement qui avait porté Abdelmalek Sellal à la tête du gouvernement, celui-ci reste partiel et ne touche en rien aux fondements de la politique suivie depuis toujours par le président Bouteflika. Si l’on excepte les super-pouvoirs accordés à Ahmed Gaïd Salah et au retour en force de Tayeb Belaïz, en attendant de savoir qui prendra sa place au Conseil constitutionnel, force est de constater que l’on est loin du changement tant clamé, encore moins du rajeunissement que l’on voudrait vendre à l’opinion publique.
Alors que l’on laissait croire que le Premier ministre aurait sa liste de ministrables à proposer, et alors que les partis politiques ont été tenus à l’écart et n’ont même pas été priés, comme le veut la tradition, de proposer leurs listes, le président Bouteflika fait son come-back de façon tonitruante, bousculant tout sur son passage et forçant les derniers obstacles. Ceux-là mêmes qu’il ne pouvait faire bouger lorsqu’il était en pleine possession de ses moyens.
L’on se rappelle de l’époque où il clamait qu’il ne voulait pas être les trois quarts du Président et où son bras droit, Noureddine Yazid Zerhouni, projetait de mettre le secteur de la défense sous sa coupe. Image surréaliste d’un Président convalescent qui réussit un coup de force. Mais, qui sait s’il s’agit réellement d’un coup de force, ou d’un baroud d’honneur ?
A. B