Crime de lèse Premier ministre que cette estocade portée par le ministre de la Santé Djamel Ould Abbès, mardi dernier, depuis Laghouat, au Premier ministre Ahmed Ouyahia. Ce dernier, comme décontenancé par une telle impertinence, est resté, depuis, sans voix. N’aurait-il d’autre choix que d’accuser le coup et se taire ?
Le Premier ministre avait eu à reprocher formellement à Djamel Ould Abbès son incapacité à gérer la crise du médicament. Ce dernier a donc une raison de lui en vouloir, surtout que le rappel à l’ordre a fait les choux gras de la presse. Mais sa sortie à Laghouat est tout sauf l’expression d’une rancune. Elle est avant tout message politique fort éloquent.
Message de ce que le Premier ministre n’a aucune autorité sur les ministres du gouvernement dont il coordonne l’action, du moins pas sur le bien nommé Ould Abbès. «Je suis le premier et l’unique responsable du secteur de la santé. Il n’y a aucun différend entre le Premier ministre et moi. Il est désigné par le président de la République et moi aussi. Lui est chargé de la coordination entre les différents ministères, et chaque ministre travaille selon une feuille de route définie par le président de la République.»
On ne peut meilleure formule de contestation de l’autorité d’Ahmed Ouyahia. Mais d’où vient-il qu’un ministre passe outre l’obligation de réserve et informe l’opinion qu’il n’est redevable que devant le président de la République qui l’a nommé, faisant très peu de cas du Premier ministre dont la charge est présentée comme une fonction symbolique ? D’aucuns savent que Djamel Ould Abbès fait partie des ministres proches du chef de l’Etat. C’est un fait incontestable. Serait-ce alors sa proximité avec le chef de l’Etat qui a fait prendre à Ould Abbès la liberté d’un déballage public du genre ? Pas seulement, rétorqueraient les observateurs avertis. La position de membre privilégié de la cour n’absout pas de l’obligation de réserve. Il y aurait donc autre chose. D’avoir ainsi osé parler, Djamel Ould Abbès, pour qui les alcôves n’ont certainement pas de secret, se sait-il à l’abri de remontrances ? Assurément, étant donné sa proximité jamais démentie d’avec le chef de l’Etat.
Soit. Mais, au-delà, ne délivrait-il pas incidemment un message, genre une fin de magistère proche pour Ahmed Ouyahia ? Il y a motif à convoquer une telle supputation, d’autant que la rumeur autour d’un changement du gouvernement a déjà fait le tour des chaumières. Si c’est cette perspective proche qu’a trahi Ould Abbès, on imagine l’inconfort d’un Ouyahia qui sait ses réussites partisanes et institutionnelles interdépendantes. S’il perd sur un registre, il risque fort, par effet d’entraînement, d’en faire les frais sur un autre. C’est, peut-être, cette incertitude des lendemains qui l’a laissé sans voix.
S. A. I.