Il l’inscrit dans la tradition des luttes inédites des algériens: “La révolution démocratique doit consacrer l’élan citoyen du 22 février”

Il l’inscrit dans la tradition des luttes inédites des algériens: “La révolution démocratique doit consacrer l’élan citoyen du 22 février”

Après avoir fait une critique en règle du système, Saïd Sadi a déroulé des propositions pour “transformer le rejet du système en projet pour le pays”.

Pour Saïd Sadi, la solution à la crise, que vit actuellement le pays, doit commencer par le départ d’Abdelaziz Bouteflika, la démission du gouvernement et l’organisation d’élections libres et transparentes. L’ancien président du RCD, invité hier au Forum de Liberté, estime qu’“il faut transformer le rejet du système en projet” pour le pays. Après avoir fait une critique acerbe du système et du chef de l’État, Abdelaziz Bouteflika, Saïd Sadi déroule ses propositions. “La période de transition comme sas devant permettre l’ouverture de discussions annonçant un nouveau départ est aujourd’hui admise”, indique-t-il. L’homme estime que “la démission du chef de l’État et de son gouvernement avant l’installation d’un gouvernement chargé de liquider les affaires courantes (gouvernement de transition, d’union nationale, intérimaire…) est désormais intégrée dans le processus alternatif”.

En troisième lieu, “l’installation d’une équipe (ou d’un binôme) chargée d’assumer les fonctions de la représentation symbolique de l’État est également acceptée”. À cela, Sadi ajoute la création d’une commission de préparation des élections et surtout la mise en place de “postulats démocratiques” qui seront la garantie pour un État républicain. “Ceux qui veulent participer à la transition doivent annoncer respecter l’égalité des sexes, la liberté d’expression, la liberté de conscience et de culte. Ceux qui refusent doivent être exclus du jeu démocratique. Il faut absolument avoir des garanties”, a indiqué Saïd Sadi.

Ce dernier précisera que la période qui s’ouvre doit se faire avec les nouvelles générations. “Ma génération doit aider, mais ne doit pas avoir d’ambition organique”, a-t-il indiqué tout en précisant que lui-même n’est “candidat à rien”. Pour l’invité du Forum de Liberté, “la classe politique a à apprendre de ce mouvement”. “La capacité à transcender les différences pour additionner les énergies et les intelligences, l’affirmation de la tolérance et du pardon qui évacuent les rancœurs et les frustrations qui ont été le ferment et le ciment de cette dynamique sont déjà riches d’enseignements pour le futur immédiat”, a-t-il indiqué. L’ancien détenu d’Avril 1980 a lié les événements en cours à l’histoire des luttes des Algériens depuis les siècles de différentes dominations. “La révolution démocratique qui doit consacrer l’élan citoyen du 22 février n’est, au fond, que la perpétuation d’une tradition de luttes inédites que le génie algérien est l’un des rares à oser et savoir déclencher”, a-t-il indiqué.

Ali Boukhlef

“Le pouvoir veut instaurer l’état d’urgence”

Saïd Sadi a révélé qu’il détenait des informations indiquant que le pouvoir irait vers l’instauration de l’état d’urgence. “J’ai eu une information d’une source dont je n’ai pas de raison de douter et qui dit que dans le cercle présidentiel, la démarche arrêtée est la suivante : pousser à l’exaspération la jeunesse pour aller vers l’état d’urgence. D’où, la nécessité de savoir que la volonté Bouteflika n’est absolument pas près de négocier une phase de transition, mais d’asseoir encore plus l’emprise de son clan sur le pays. Et qu’il faut encore plus de vigilance lors de ces manifestations.

Si on veut jouer le pire, on va faire les fous et on va se retrouver devant la Cour pénale internationale (CPI), et s’il doit y avoir un Gbagbo algérien (en référence à l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, présenté à la CPI, ndlr), alors chiche ! Gbagbo a essayé de ruser avec la rue ivoirienne. C’est souvent le destin des despotes qui ne savent pas partir à temps”, a-t-il dit. Estimant que “Bouteflika ne partira pas sans un rapport de force favorable” au peuple, Sadi propose d’adopter “les grèves générales” comme mode de protestation parce qu’elles “évitent les provocations” et “c’est très efficace”.

Ali B.

“La France est passée à côté de mouvements historiques de l’Algérie”

Invité à donner son avis sur la réaction de la France, Saïd Sadi a énuméré les “ratages” de la France officielle concernant l’Algérie. “Ce n’est pas la première fois que la France passe à côté d’un mouvement historique en Algérie. C’est une maladresse de plus. Il faut que les Algériens s’en souviennent. Pendant la guerre de Libération, François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, disait que la seule réponse à la rébellion est la guerre. Une fois l’indépendance acquise, le pouvoir français, plus particulièrement les socialistes, ont cru faire oublier leurs dérapages pendant la guerre et ont soutenu mordicus le FLN d’après-guerre qui n’avait plus de rapport avec le FLN historique.

Au point que des hommes comme Hocine Aït Ahmed ont été refoulés de l’aéroport d’Orly (Paris) parce qu’il avait parlé sur Europe 1. Ahmed Khider a été chassé de France, à l’instigation d’un certain Abdelaziz Bouteflika, pour que le FLN d’après-guerre ne soit pas fâché”, a rappelé Sadi. Plus direct, Sadi s’en est pris au chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian. Ce dernier “a ses petites relations avec les notables du régime qui lui servent de points d’appui pour faire mûrir les contrats, les approches et les visions stratégiques. Il est dans son rôle. Mais ce n’est pas à lui de nous dire si les Algériens doivent accepter un chef de l’État octogénaire pendant que son pays se donne un quarantenaire flambant neuf”.

Ali B.

“L’opposition a ses faiblesses mais aussi du mérite”

L’ancien président du RCD est catégorique. Les cercles du pouvoir en place infiltrent les comptes sur les réseaux sociaux et les manifestations pour discréditer, entre autres manipulations, la classe politique, particulièrement l’opposition amenée à jouer un rôle déterminant dans l’étape actuelle de la vie du pays. “Faute de pouvoir sauver le système, ces agents et relais s’emploient à disqualifier toute la classe politique en amalgamant pouvoir et opposition”, a-t-il affirmé, hier, au Forum de Liberté.

Il a indiqué qu’une sémiologie étudiée est introduite méthodiquement dans les slogans, du genre : “Il n’y a pas d’opposition et d’opposants” ou “Les politiques se valent tous”. Pour lui, c’est une manière d’ériger des barrières entre les jeunes Algériens qui occupent depuis des semaines les rues, exigeant le départ de toutes les personnes incarnant le régime, et les militants politiques et de droits de l’Homme de longue date, structurés ou pas dans des partis politiques. “Ce travail de diabolisation des luttes pour les alternances démocratiques et la volonté de fractionnement des expériences participe d’une stratégie d’isolement du mouvement du 22 février pour en faire un ectoplasme informe et acéphale, livré à terme à l’usure ou, si possible, aux manipulations”, a-t-il prévenu sur un ton grave.

Il a jugé urgent de débusquer les infiltrés et de préserver ainsi les aspects sains de la révolte populaire. D’autant qu’il lui faudra, à un moment ou à un autre, une représentativité  à différents niveaux. “Le mouvement n’a pas besoin de leaders, mais d’une organisation”, a suggéré Saïd Sadi. Des comités de quartiers, mais aussi dans les corporations et les catégories sociales, investies dans le rejet du système. “Un encadrement ne veut pas dire embrigader et étouffer la créativité des manifestants. Il faut, néanmoins, mettre en place une structure de personnes, admises par le peuple, qui pourra agir en son nom si les événements s’accélèrent”, a-t-il souligné.

Pour cet objectif, le capital expérience des partis et organisations de l’opposition n’est pas de trop. “L’opposition a ses limites et ses faiblesses. L’attaquer en disant qu’elle n’a rien accompli est une erreur. Elle a le mérite d’exister dans un régime qui a verrouillé tous les espaces d’expression et de militantisme”, a recadré l’homme politique, qui met en évidence, encore une fois, les missions conférées à la classe politique en cette conjoncture “sérieuse et complexe”. Elle sera encore plus efficace si elle apprend “de ce mouvement, la capacité à transcender les différences pour additionner les énergies et les intelligences, l’affirmation de la tolérance et du pardon”, a-t-il précisé. Jusqu’à présent, l’opposition s’est considérablement fragilisée par ses divergences idéologiques, mais surtout par ses disputes autour du leadership.

Ce sont des erreurs commises lors des rencontres de Mazafran 1 et qu’il ne faudrait pas rééditer, a averti Saïd Sadi. “Les ambitions sont légitimes, mais l’impatience relève de l’obscénité. Après la période de transition viendra le temps de s’engager dans les compétitions”, a-t-il conseillé. Pour ce qui le concerne personnellement, il affirme ne prétendre à rien sauf à apporter sa contribution pour faire avancer le processus de dépassement de l’impasse actuelle. “Ma génération a passé son temps en termes d’exercice du pouvoir. Je n’ai aucune ambition partisane ou exécutive. Mon rôle est d’aider, quand c’est utile et nécessaire, à passer le gué…”

Souhila Hammadi

Une “armée politique” ne peut être en phase avec “la nouvelle société”

Saïd Sadi a commenté les multiples interventions dans le débat public, depuis le début de l’insurrection populaire, du général de corps d’Armée Gaïd Salah. Il y a relevé des tergiversations, des maladresses et des contradictions. “Cela doit cesser pour le bien du pays, de l’armée et surtout de ceux qui ont disposé de cette institution en fonction de leurs positions et de leurs intérêts”, a-t-il asséné. “J’ai entendu récemment des paroles qui heurtent la conscience citoyenne et blessent chaque patriote.

Ce n’est pas à l’armée de porter des jugements sur le peuple ou d’en être fière, mais au peuple d’être fier de son armée, faut-il encore qu’elle le mérite”, a-t-il corrigé. “Une nouvelle société est en marche (…) Elle consacre la fin de l’armée politique et de son emprise sur la nation (…) Une page se tourne aussi pour l’armée. Celui qui n’a pas compris cet appel est condamné à rester sur le bas-côté de l’histoire”, prévient-il.

Souhila H.