Cet ancien colonel de la Sécurité militaire a accepté d’être à la tête de cette institution dans un contexte sécuritaire extrêmement difficile.
En 15 ans, il a porté les effectifs de la police à 170 000 agents dont 9000 femmes. Il l’a modernisée et disciplinée.
Le défunt Ali Tounsi peut se targuer, de là où il est, qu’il a désormais mis en place les bases d’une institution républicaine riche par ses hommes, et ce, en dépit de toutes les frasques ou les erreurs de gestion qu’il aurait pu commettre durant son mandat de 15 années.
Il faut reconnaître à cet ancien colonel de la Sécurité militaire d’avoir accepté de prendre les rênes de l’institution dans un contexte très difficile, marqué par une violence inouïe et une vie sociale des plus dures. C’était le 21 mars 1995.
La Sûreté nationale qui devait entamer sa refonte, à la lumière de l’ouverture politique de 1989, s’est retrouvée confrontée au terrorisme, auquel elle n’était pas du tout préparée ni matériellement ni humainement.
L’armée est déjà impliquée sur le terrain, en vertu de l’instauration de l’état d’urgence décrété au début des années 1990. Ali Tounsi a en fait succédé à deux policiers, Mohamed Tolba de 1991 à 1994, et Mohamed Ouadah, de 1994 à 1995, époque où le nombre de policiers assassinés avait largement dépassé le millier, sans compter les blessés et ceux portés disparus, enlevés par les terroristes. Une période où les policiers vivaient coupés de leurs familles, vivant souvent dans des casernes, ou dans des hôtels, et ayant comme seule préoccupation les opérations antiterroristes et avec des moyens dérisoires.
C’est d’ailleurs de cette catégorie de policiers actifs que Ali Tounsi va s’occuper en priorité ainsi qu’à la réorganisation de l’administration centrale. Ses sorties sur le terrain lui ont appris à mieux connaître l’institution et ses hommes. L’effectif s’est rétréci sensiblement pour descendre sous la barre des 60 000 hommes, pour 31 millions d’Algériens.
Un chiffre très loin des normes universelles, qui prévoient 1 policier pour 300 habitants. Un plan de renforcement des effectifs, des équipements, du parc roulant, de l’acquisition d’armement et d’infrastructures est mis en place et commence à porter ses fruits. Les inaugurations des Brigades mobiles de police judiciaire se multiplient sur le territoire des zones urbaines.
Contre toute attente, et en dépit de la menace de mort qui pesait sur le métier du policier, l’engouement des jeunes pour une carrière au sein de la Sûreté nationale n’a pas été freiné. Les sorties de promotions se succèdent tout au long de l’année. En moins de dix ans, l’effectif des policiers a doublé, pour dépasser les 120 000. Ce qui a appelé à un renforcement des établissements de formation qui ont atteint le nombre d’une dizaine au moins. En 1998, le défunt a rouvert les portes de la Sûreté nationale aux femmes, après avoir été fermées durant les évènements de 1988. Il consacre l’école de Aïn Benian, ouverte en 1991, à la formation d’agents de l’ordre public (féminin) et une autre école à Constantine, pour former des officiers femmes.
En moins de dix ans, l’effectif des femmes dans les rangs de la police dépasse les 9000, ce qui constitue un acquis considérable même si l’effectif reste en deçà des aspirations. C’est aussi en 1999 que Ali Tounsi inaugure l’Institut national de la police criminelle de Saoula, un outil de formation pour la police judiciaire.
Il pèse de tout son poids pour que le laboratoire scientifique de criminalité soit à la hauteur de ses homologues du bassin méditerranéen, et dépasse ceux du monde arabe. Des campagnes de recrutement de jeunes diplômés de toutes les universités a permis à ce centre de recherche criminalistique de devenir un véritable outil de travail mis à la disposition de la justice et des enquêteurs.
En parallèle, les cérémonies d’inauguration de sièges de sûreté de daïra et de commissariats se multiplient pour combler l’énorme déficit. Il avait à ce titre affirmé aux députés qui lui rendaient visite en 2001, que 350 daïras étaient dépourvues de structures de police sur un total de 555. Ce renforcement des unités s’est accompagné de la professionnalisation qui permet aux policiers de recourir à des moyens de lutte modernes.
Dans ce cadre, l’institution s’est dotée de plusieurs hélicoptères équipés de caméras pour la surveillance aérienne qui permet de suivre et de chercher des personnes ou des véhicules suspects, ou encore suivre un mouvement de foule après des matchs ou lors des manifestations publiques. Il faut reconnaître au défunt d’avoir été le premier à avoir introduit des modules de droits de l’homme au niveau des écoles de police, au moment où les bavures policières faisaient les unes de la presse nationale.
Il se montrait impitoyable à l’égard de ses éléments contre lesquels des plaintes pour abus d’autorité ou de pouvoir sont déposées par les citoyens. Pour ces derniers, il lance les premières unités de police de proximité, pour être à leur écoute. Mais au fond, il savait que pour construire une police digne de ce nom, il fallait commencer par construire l’homme. Dans la préface du livre de Aïssa Kacemi sur l’histoire de la police algérienne, sorti en 2001, il a écrit : « De nombreuses idées et projections exprimées modestement par l’auteur préfigurent déjà les grandes orientations stratégiques qui guident et structurent le développement de la Sûreté nationale en ce début de millénaire : la formation et le perfectionnement permanents des personnels, l’amélioration constante de la qualité des prestations des services de police, le rapprochement et la proximité avec les citoyens, la communication. »
Mais, pour atteindre ces objectifs, il tenait beaucoup à restaurer la discipline. En 15 ans, il a fini par l’inculquer à ses 170 000 hommes, en dépit de tout ce qu’il a pu générer comme lutte de clans à l’intérieur de l’institution et surtout d’erreurs de gestion qui ont brisé des carrières et des familles. Ses ennemis ne semblent pas lui tenir rancœur. Ils étaient tous présents à son enterrement. Ce qui fait de lui un homme, ou plutôt un chef pas comme les autres…
Par Salima Tlemçani