L’expert énergétique et ancien PDG de Sonatrach Nazim Zouioueche a pointé, mardi, dans l’émission « l’invité de la rédaction » de Radio M, une double erreur du gouvernement algérien sur la question du gaz de schiste et l’a invité à éviter un « passage en force » sur un dossier qui n’est pas « urgent ».
La première erreur du gouvernement a été de croire que le gaz de schiste était la solution aux futurs problèmes énergétiques du pays. La seconde erreur est de nature politique : le gouvernement a oublié qu’il devait l’expliquer aux habitants de la région. Ce sont ces deux erreurs qui créent aujourd’hui, une situation de crise à In Salah et dans le sud du pays en général.
La « première erreur est d’avoir pensé avoir trouvé une solution idoine » aux problèmes énergétiques du pays », la seconde a été de penser qu’il n’avait astreint à l’expliquer.
L’ancien PDG de Sonatrach est revenu sur la visite du ministre de l’énergie et la délégation qui l’accompagnait au bassin de l’Ahnet pour annoncer le forage « réussi » du premier puits-pilote. Une visite « maladroite » qui a été » perçue par les habitants de In Salah comme un affront. Certes, note-t-il, le ministre est revenu sur place pour expliquer la démarche gouvernementale mais « c’était déjà trop tard ».

Le gaz de schiste n’est pas une « urgence »
Il souligne que pour les habitants des oasis, la question de l’eau est une question de vie et de survie.
« Pour eux, l’eau c’est la vie. Ils ne pourront pas suivre un projet qui menace leur source de vie depuis des millénaires ».
La situation est devenue aujourd’hui plus complexe pour le gouvernement. Comment aborder et gérer cette histoire de gaz de schiste ? Poursuivre au risque d’être en perpétuel conflit avec les habitants ? Ou stopper toute exploration en attendant de voir comment procéder et par quels moyens ?
Pour M. Zouioueche, il est plus prudent de « discuter et de convaincre ». Il conseille même au gouvernement de « ne pas s’entêter à faire passer de force un projet qui n’est pas une urgence pour le pays pour le moment ».
Le gouvernement invoque la forte croissance de la demande en électricité pour justifier le recours rapide au gaz de schiste. Les besoins internes pourraient atteindre des niveaux très élevés à l’horizon de 2030.
« Les projections parlent d’une consommation de l’ordre de 85 milliards de m3 en 2030, boostée essentiellement par les consommateurs domestiques. Si l’industrie qui représente actuellement 5% du PIB reprend ne serait-ce que son niveau des années 1970 (20%), on aura du mal à satisfaire la demande interne » note-t-il.
Pour pallier à ces gros déficits qui s’annoncent, l’Algérie pourrait prendre un certain nombre de mesures qui permettrait d’économiser l’énergie et rationaliser la consommation.
« On pourrait mieux exploiter les gisements existants déjà, intensifier l’exploration car l’Algérie reste une province pétrolière pas totalement exploitée, récupérer le gaz torché, amorcer la transition énergétique et revoir les subventions ».
Il faut sauver Hassi R’mel
L’ancien PDG de la Sonatrach estime par ailleurs qu’il n’est pas encore trop tard pour sauver le gisement de Hassi R’Mel surexploité durant la période de Chakib Khelil, au détriment d’une gestion prudente visant à préserver de bons niveaux de récupération.
« Si on ne fait rien maintenant, ce sont 40% des volumes de ce gisement qui vont être piégés à jamais, soit 1500 milliards de mètres cubes de gaz d’une valeur d’environ 450 milliards de dollars US ».
Le déclin du gigantesque champ gazier de Hassi R’Mel peut être évité mais, dit-il, le « temps presse ». Et si les exploitants ne font rien rapidement d’importantes quantités de gisements de ce champ risquent d’être piégés au sous-sol.
Pour lui, l’essoufflement de ces gisements est dû au non-respect du « cyclage », c’est-à-dire la réinjection d’une partie des gaz extraits afin de maintenir la pression.
Il était normalement question de réinjecter 60 sur les 92 milliards de m3 extraits et de ne commercialiser que 32 milliards de m3. Mais des arbitrages ont été fait, il y a près de dix ans, en faveur de l’augmentation des volumes à commercialiser au détriment de la vie du gisement. Cela a pour conséquence une baisse de pression et donc des taux de récupération moindre.
Ces 1500 milliards de m3 de gaz que l’Algérie risque de ne pas produire représentent une dizaine d’années de recettes d’exportations en hydrocarbures, rappelle-t-il
Zouioueche a regretté par ailleurs que 6 milliards de m3 de gaz torchés continuent de partir en fumée au lieu d’être récupérés chaque année pour répondre à une demande en hausse. Ce sont ainsi deux milliards de dollars qui sont perdus pour le pays. La pratique du « torchage » est non seulement un grand gaspillage économique, elle a aussi un impact environnemental très négatif.