Il faut changer de système politique et de pouvoir pour changer l’Algérie

Il faut changer de système politique et de pouvoir pour changer l’Algérie

aL’Algérie est en crise, tout ne change que pour se conserver à l’identique. Les Algériennes et les Algériens veulent une sortie de crise qui permette de mettre tous les compteurs à zéro pour remettre sur les rails le train de l’Etat qui a déraillé et le faire démarrer vers la démocratie.

Le pouvoir exercé par le président Bouteflika, qui n’émane pas de la souveraineté populaire librement exprimée par des élections propres et honnêtes, est illégitime. La voie des urnes est faussée et le suffrage universel, qui est le fondement de l’accession au pouvoir, parce qu’il garantit la liberté et la sécurité du scrutin, est perverti par des élections closes quant à leurs résultats avant d’avoir commencé. Les fraudes électorales massives sont la démocratie assassinée.

La vraie question est l’illégitimité de ce pouvoir basé sur la fraude électorale. Tout émane du Président, qui concentre tous les pouvoirs, a mis la main sur les principaux leviers du pouvoir, est jaloux de les conserver, sans être en mesure de les exercer. Il n’a à l’esprit qu’une seule obsession capable de satisfaire son infantile appétit de jouissance : réduire l’Etat aux fonctions régaliennes pour servir sa politique et ses ambitions, confisquer le pouvoir à son profit, celui de sa tribu et de son clan, avec une tentation dynastique et une dérive monarchique.

Homme providentiel, il use et abuse de ses pouvoirs, décide de tout, intervient sur tout, contrôle tout, commande tout, inspire tout, règne et gouverne à la fois, régente tout ce qui dans le pays délibère et légifère. Il exerce une dictature qui fait de lui un pharaon au pouvoir illimité, étouffe la liberté qu’il fait recouvrer, car là où elle fait défaut, surgit la tyrannie. Le pouvoir exécutif, qui s’est emparé de l’Etat qui dispose du peuple, appartient après la révision de la Constitution en avril 2008, au seul Président. Les sentiments et les humeurs qui demeurent feutrés prennent une dimension nouvelle, pour illustrer les entraves politiques qui pèsent sur le pouvoir et qui s’expriment par les jeux d’enfants qui disent : qui joue au dictateur en Algérie ? L’écho des montagnes, des plaines et des vallées d’Algérie renvoie : Abdelaziz Bouteflika.

La politique menée par Bouteflika est un échec dans tous les domaines

Il est responsable de l’échec de l’Algérie qui se dessine sur le plan politique, social, économique, notamment agricole et industriel. Le bilan catastrophique se caractérise par l’infantilisme économique, qui n’a pas assuré le décollage économique en mesure de faire de l’Algérie un pays émergent. Devant une prospérité sans précédent grâce à la manne pétrolière, il suffit pour se rendre compte de l’échec de scruter les vrais chiffres du chômage, la chute du pouvoir d’achat, l’absence de justice sociale qui est un élément fondamental de la cohésion sociale, la détérioration des hôpitaux, la faillite de l’éducation, de l’école primaire à l’université.

Le mécanisme habituel de notre économie est le moteur à trois temps : inflation galopante, qui est le cancer de la société qui appauvrit les plus démunis, hausse des prix, dévaluation du dinar, symbole de la monnaie qui reflète celui de l’économie dont le niveau est fixé par le dollar et l’euro, la terre comme l’air et l’eau n’est pas une marchandise, mais un droit imprescriptible, le libre accès de la population à ce qui lui est vital, le travail et la nourriture. Il faut d’abord produire pour consommer algérien. Le pays n’est pas à la hauteur de sa vocation agricole. Le nouveau fer de lance de la nouvelle culture de contestation dans le pays ce sont les salariés.

Le soutien syndical pour un avenir meilleur ne faillit pas et c’est l’essentiel. L’engrenage manifestations-répressions, la brutalité de l’appareil policier répressif, mènent le pays au bord de l’explosion. La jeunesse, qui a élargi sa base, défend de manière rapide et efficace ses droits. Les clans du Président, ses proches, rehaussent son bilan par des éloges que seul le Parti communiste soviétique réservait autrefois «au camarade Staline, le petit père des peuples». Le pouvoir génère par son bilan désastreux, les critiques les plus acerbes et les plus déterminées. Les conflits sociaux, d’abord isolés, se reproduisent avec plus de force et de manière coordonnée, pour impliquer toutes les sphères de la société.

Le pouvoir se fortifie chaque jour et devient une monarchie, parce qu’il n’ y a ni séparation des pouvoirs ni pluralisme politique

La réappropriation par le peuple de sa souveraineté est la priorité. La nouvelle façon de gouverner mêle un hyper-Président et ses affidés, une APN et un Conseil de la nation postiches, une justice et des médias en grande partie aux ordres, et un peuple soumis au souverain. La caste oligarchique du pouvoir qui décrète tout savoir, parce que sa nature consiste à ne laisser place qu’à cette alternative, être avec ou être contre, ce qui est l’indice indéniable du verrouillage de l’espace public.

Diplômée mais peu cultivée, elle se met en position d’élite éclairée pour dire ce qui est bon ou pas pour le peuple. Une telle erreur de jugement sur eux-mêmes leur fait accepter toutes les flatteries, s’enfoncer dans toutes les impasses. Le Premier ministre a affirmé, le 19 février 2014 à Aïn Defla : «Le peuple est souverain et personne ne peut lui imposer un quelconque choix.» Le président Bouteflika a confisqué la souveraineté populaire et la citoyenneté par des élections truquées.

Il gère le pays par délégation et procuration, parce que sa maladie grave et durable l’empêche d’exercer tous les pouvoirs dont il s’est doté par la révision de la Constitution en 2008 et de postuler pour un 4e mandat

Il faut dire calmement, mais fermement, que la non-application de l’article 88 de la Constitution, pour une maladie grave et durable du Président, est une violation grave de la loi suprême.

Comment qualifier l’attitude du Conseil constitutionnel : cynisme, inconscience ou trahison ? Le schéma qui a prévalu lors des précédentes élections présidentielles va se répéter avec Tayeb Belaïz, qui a mis dans l’impasse le Conseil constitutionnel, et qui continuera sa besogne en sa qualité de ministre de l’Intérieur, qui est aussi celui des élections. Le feu judiciaire et médiatique déclenché par les affaires de corruption s’est vite éteint avec l’arrivée de Tayeb Louh comme ministre de la Justice. Pour lui, les affaires de corruption relèvent des instances judiciaires. Mais de qui relèvent ces instances judiciaires, du ministre de la Justice ? La pratique du pouvoir l’éloigne du respect de la loi et de l’Etat de droit.

Le pouvoir finissant, en fin de règne, est pourri par la corruption active et passive qui concerne les détournements de la richesse nationale et des biens sociaux, notamment par les cadres de l’Etat, ce qui jette le discrédit sur le pouvoir. Il faut s’indigner de l’impunité dont bénéficient les grands corrompus. Il faut s’attendre, comme en Espagne après le franquisme, à une amnistie semblable «au fameux pacte de l’oubli», pour les prédateurs.

La politique est la technique de la conquête, de la pratique et de la conservation du pouvoir

Le pouvoir réel échappe de plus en plus au Président, glisse de ses mains inertes qui ne peuvent plus le retenir pour échoir à sa fratrie, sa tribu, son clan, l’état-major de l’armée. Malade, incapable d’exercer ses fonctions, il ne peut pas faire, mais fait faire, délègue ses pouvoirs et agit par procuration. Les décisions sont prises en son nom par sa garde rapprochée, mais c’est lui qui est responsable. Edgar Faure disait : «Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent.»

Le Président en position d’attaque soumet les institutions de l’Etat qui ne lui prêtent pas allégeance et obéissance à sa volonté, conforte son pouvoir en se débarrassant de ses rivaux. Il élimine tous ceux qui l’ont fait roi, pour n’avoir à rendre de comptes qu’à lui-même. Le DRS lui fait de l’ombre, il le déshabille en hiver par un froid sibérien, pour couvrir l’état-major déjà chaudement habillé et qui étouffe, ce qui déclenche la colère de l’armée, surtout des généraux et des colonels à la retraite, qui ne sont pas tenus de se soumettre au droit de réserve. La situation est tendue au sommet de l’Etat.

Le Président a semé le vent à l’intérieur de l’armée, il a récolté la tempête. Le jeu de massacre consiste à tirer à boulets rouges qui atteignent leurs cibles. Cette politique qui divise l’armée réveille sa colère. Les énergies, longtemps contenues en son sein, se libèrent. L e conflit ne va pas basculer vers la violence, parce que toutes les parties seraient perdantes. Il y a des dysfonctionnements au sein de l’armée qui ont conduit à la situation présente. Il faut préserver la force et la cohésion de l’ANP, mais les dissidences internes ne peuvent être sous-estimées. Les rumeurs étalées sur la place publique passent du mythe à la réalité.

La solution peut-elle venir du sommet de l’Etat, qui offre un certain éclairage sur l’actualité, ou l’Etat va-t-il sombrer dans les basses manœuvres et les ambitions personnelles ? Il y a des rivalités et des divergences stratégiques. Le débat politique, qui occupe tout l’espace, compte tenu de l’ampleur de l’enjeu, est orienté vers les clans éclatés du pouvoir qui ne parviennent pas à se mettre d’accord, ce qui donne la mesure de la dérive. Le temps des analyses et des hypothèses est terminé et doit laisser la place à l’action pour sortir le pouvoir de son inertie et de sa myopie politique.

Dans son message soigneusement préparé pour avoir un impact important, mais dont la marge de manœuvre est réduite, le Président se pose en arbitre, révèle peu mais pas trop, pour taire les vrais secrets. Les Algériens, qui attendent un début d’ouverture politique qui serait un espace de liberté, concrétisé par un compromis ou un consensus pour réduire les divisions au sein de l’armée et neutraliser les rivalités, ne doivent pas oublier que le Président divise les institutions, exerce où il excelle pour reprendre un pouvoir qui lui échappe. Mais son fauteuil, qui est un fauteuil roulant, est facilement éjectable. La crise libère un espace aux anciens du système politique qui veulent le faire évoluer en pratiquant l’indépendance dans la dépendance, pour trouver un nécessaire compromis entre la Présidence, le DRS et l’état-major de l’ANP. Mais c’est aller à contresens de l’évolution de la société, et d’une véritable alternative démocratique.

Bouteflika ne se prononce pas sur sa candidature ou son retrait pour rester le maître du jeu jusqu’au dernier quart d’heure L’élection présidentielle du 17 avril 2014 suscite des interrogations et des controverses. Le scrutin, s’il a lieu, sera marqué par un nouveau record d’abstentions. L’abstention est la sanction et l’expression du désaveu des dérives du pouvoir. C’est la même pièce de théâtre politique que l’on nous fera jouer avec les mêmes acteurs. Pour le 3e mandat en avril 2009, le scrutin s’est transformé en plébiscite pour le Président, 90,24% des votants, pour faire de sa personne un homme providentiel.

Bouteflika n’est pas la solution mais le problème

Son départ est un préalable à tout règlement politique basé sur un changement stratégique, en faveur du droit et de l’Etat de droit. L’Algérie a besoin d’un pouvoir doté d’une légitimité issue d’élections propres et honnêtes. Le peuple algérien, échaudé par les fraudes électorales, n’attend rien des consultations électorales. Il a multiplié les manifestations qui fustigent les fraudes électorales à la Naëgelen. Bouteflika n’a pas la capacité physique de diriger le pays, il doit laisser le pouvoir à la jeune génération. De lui seul dépendra la décision qu’il prendra, et nul dans son entourage ne pourra préjuger avec certitude ce qu’elle sera. Les électeurs et les électrices hésiteront à voter pour un homme très malade aux gestes lents, à la voix presque inaudible, juste un chuchotement rauque qui peut se trouver dans l’impossibilité d’aller jusqu’au terme de son mandat. Va-t-il organiser sa propre succession ? Les Algériens, qui, par intérêt ou résignation, sont pour un 4e mandat, inscrivent leur action dans le prolongement de la crise.

L’intention, la volonté du Président est d’appeler les Algériens à contribuer à la continuité du système politique en vigueur depuis l’indépendance du pays. Rien ne changera dans le système politique, vieilli, corrompu, inefficace, tant que Bouteflika restera au pouvoir. L’essentiel est dans le nouveau souffle qu’il faut communiquer aux Algériennes et aux Algériens épris de justice et de liberté, afin que leur indignation frappe le pouvoir de discrédit. Il faut remettre l’Algérie d’aplomb et redonner confiance aux Algériens. Il ne sert à rien au pouvoir de jouer les pompiers, après avoir lui-même allumé le feu.

Le pays est plongé dans une crise sans précédent, qui peut tourner à l’affrontement. Tout peut basculer d’un moment à l’autre dans la violence et le tragique peut frapper à tout moment. Il y a péril en la demeure. Les mots n’ont aucun sens, font partie de la langue de bois dont se chauffe le pouvoir. Joseph Goobeels disait : «Le jour où les mots n’auront plus de sens nous aurons gagné.» Les journalistes vont-ils parler après le 17 avril 2014 de l’ex-locataire de la Présidence. L’élection présidentielle ne réglera pas les problèmes auxquels les Algériens sont confrontés mais les aggravera.

Une abstention massive réduira le taux de participation à moins de 15%. Une transition pacifique de la dictature à la démocratie est nécessaire. La solution alternative consiste en une courte transition de 18 mois à deux ans, pour réviser la Constitution qui sera soumise à la libre discussion populaire et ratifiée par référendum, et préparer des élections propres et honnêtes pour toutes les institutions élues de l’Etat, pour donner le pouvoir aux représentants du peuple.

Ali Yahia Abdennour