Dans ce contexte de la nouvelle reconstruction du paysage politique, où les islamistes toutes tendances confondues, s’attèlent à créer le contre poids face aux démocrates , encouragés dans cela par les effets du printemps arabe qui a hissé au pouvoir les islamistes en Tunisie, au Maroc, en Libye et en Egypte, nous assistons à la veille des élections législatives, à une confrontation sur le terrain qui semble avoir pour cible le FLN . Pour le courant islamiste, il s’agit d’une lutte de longue date, nous vous livrons dans ce qui suit l’historique de ce mouvement depuis sa naissance à nos jours. Une lecture que nous avons puisez pour nos lectures sur une publication intitulée : «Les Cahiers de l’Orient »
Deux courants intellectuels qui n’ont pas réussi à fusionner :
1-L’influence de Malek Bennabi et des intellectuels “francisants”
Dès ses débuts, le mouvement islamique algérien a été déchiré entre deux courants intellectuels qui n’ont pas réussi à fusionner. C’est parmi les intellectuels “francisants” que s’est développé, au milieu des années 1960, le premier courant, qui s’est traduit par un mouvement de ré-islamisation autour des mosquées et des facultés. La première salle de prière est ouverte dans la faculté des lettres d’Alger, en 1965, par Rachid ben Aïssa, qui y prêchera jusqu’en 1971… En français. Avec quelques amis militants, il publie en français également, une petite revue appelée “Que sais-je de l’Islam”. Mais le véritable inspirateur de ce courant est Malek Bennabi, un brillant intellectuel algérien, auteur de nombreux ouvrages, chez qui se réunissait chaque semaine, jusqu’à sa mort en 1973, un petit cénacle de disciples. Malek Bennabi, qui avait écrit sur sa porte “nul n’entre ici s’il n’est ingénieur”, était un esprit très original qui disait constamment à ses auditeurs: “ne pointez pas votre doigt sur l’autre, mais sur vous”.
Il reste l’inventeur du concept de “coloniabilité”: en effet, selon Bennabi, le peuple algérien a été colonisé à cause de faiblesses inhérentes à sa personnalité… Les références de ce groupe d’intellectuels étaient des philosophes français: Aron, Garaudy, Lefebvre, Guénon… Agissant à contre-courant d’une opinion très influencée par les options socialisantes des débuts du régime de Boumediene, le “mouvement des mosquées” essaime d’abord vers Constantine, puis, plus lentement, vers le reste de l’Algérie. A la première génération des “francisants” succèdera une “génération américaine”, animée par des étudiants qui ont découvert l’Islam aux Etats-Unis. Il faudra attendre une quinzaine d’années, jusqu’à la fin des années 1970, pour qu’arrivent en masse dans les universités algériennes les fils des campagnes, porteurs d’une idéologie islamiste algérienne. Mais c’est dans la première mouvance, celle issue d’un courant animé par des “francisants”, que se fera le plus sentir en Algérie l’influence politique de la révolution iranienne.
2- Les héritiers de l’Association des Oulémas
Plus traditionnel, le second courant du mouvement islamiste algérien s’est construit autour de personnalités comme cheikh Abdel Latif Soltani — mort en 1984 à l’âge de 83 ans — et cheikh Ahmed Shanoun, qui prêchent à la mosquée de Kouba, dans la banlieue d’Alger. Anciens membres de l”Association des Oulémas”, ils placent délibérément leur action dans la perspective de celle de Ben Badis pour “relever le peuple musulman algérien de sa déchéance intellectuelle et morale”. En 1964, deux ans après l’indépendance, plusieurs personnalités de ce courant avaient fondé l’association “al Kiyam” dont le secrétaire général était al Tidjani. Mais ce dernier fut emprisonné pendant quelques mois en 1969 et l’association dissoute. Tous les militants islamiques algériens soulignent à quel point l’Algérie était un “désert” du point de vue islamique, à la fin du régime de Ben Bella et au début de celui de Boumediene, ce qui explique le caractère spontané, quelque peu chaotique, du développement de ce courant.
Pas d’institutions islamiques, pas d’enseignement, pas de livres, même pas de Coran; des ouvrages classiques comme les écrits de sayed Qotb étaient introuvables en Algérie, et, jusqu’en 1970, seuls quelques dizaines de militants islamiques les avaient lus. Contrairement à une opinion assez répandue, les Frères Musulmans égyptiens enseignant en Algérie comme coopérants n’ont joué qu’un rôle secondaire: après la pendaison de l’un d’eux par Djamel Abdel Nasser (Egypte), peu se sont risqués à faire du prosélytisme. Malgré cela — ou à cause de cela — le mouvement de ré-islamisation se développe peu à peu. Autour des cheikhs de l’ancienne “association des oulémas” se regroupent des personnalités beaucoup plus jeunes, comme cheikh Mahfoud, originaire de Blida, ou Abbasi Madani, qui a fait un doctorat de sociologie en Grande-Bretagne. En 1976, ce groupe se sent assez fort pour affronter le pouvoir, lors du débat sur la charte nationale, notamment en faisant tomber un certain nombre de poteaux électriques autour d’Alger, dans le cadre d’une “action symbolique”. Arrêté avec 17 autres personnes, cheikh Mahfoud est condamné à 15 ans de travaux forcés, mais il sera gracié et libéré en 1979, après la mort du président Boumediene. En 1982, nouveau défi au pouvoir: au cours d’une prière à l’université d’Alger à laquelle assistaient plusieurs dizaines de milliers de personnes, les militants islamiques diffusent un “bayan” (manifeste) en 14 points condamnant l’attitude anti-islamique du régime.
Des Frères Musulmans pas comme les autres?
Cette manifestation consacrait l’émergence de l’aile traditionaliste et modérée du mouvement islamique algérien, qui rejette l’emploi de la violence. Souvent qualifiés de “Frères Musulmans” par leurs adversaires algériens, ces militants récusent les méthodes de l’organisation islamique basée au Caire et aussi son nom: “A quoi cela sert-il d’avoir, comme nos frères du Moyen-Orient, une organisation énorme comme celle des Nations Unies, avec ses chefs et ses sous-chefs, pour des résultats de rien du tout? Cela fait 60 ans qu’elle tourne dans le vide”, déclare un des cadres du mouvement algérien. D’une façon générale, les militants islamiques algériens, tout en ne cachant pas un certain mépris pour l’organisation des Frères Musulmans, qu’ils jugent “réactionnaire, liée à la CIA, et trop impliquée dans des querelles de personnalités”, reconnaissent qu’ils “ont été les premiers dans les temps modernes à dire qu’on pouvait appliquer la Charia”. Tous les militants algériens soulignent le particularisme de leur pays: il n’y a pas, comme en Syrie, de problème alaouite, et à la différence de l’Egypte, l’Algérie n’a pas de minorité copte. Mais après plus d’un siècle de colonisation française, l’Algérie était virtuellement dé-islamisée durant les quinze années de pouvoir de Ben Bella et de Boumediene . “Si nous faisions des élections démocratiques pour proposer un régime islamique, il n’y aurait pas une majorité de oui”, admet franchement un dirigeant de ce groupe, ajoutant: “et si on supprimait l’alcool, les gens se précipiteraient en Tunisie”.
Un terrain peu propice
Très lucides sur les faiblesses du mouvement islamique en Algérie, les militants reconnaissent que leur lutte sera longue, à cause du “manque de maturité” de la population: beaucoup d’Algériens sont des “musulmans délavés” (ou des musulmans géographiques) et le mouvement islamique mène une lutte inégale contre un gouvernement qui contrôle tous les media: “Les masses sont ignorantes, et si on dénonce les injustices dans un tract, les gens se disent: “Ce sont les politiciens qui veulent des postes”… En ce qui concerne les classes moyennes, beaucoup de bourgeois sont contre le gouvernement, mais ils ne savent pas sur quel pied danser à notre égard: ils veulent savoir si nous allons les exécuter, et ce que nous ferons de leurs filles”. Beaucoup d’Algériens, qui n’ont pourtant pas eu peur de se battre contre l’armée française pendant la guerre d’indépendance (1954-1962) et qui travaillent aujourd’hui en France où les organisations islamiques jouissent d’une relative liberté d’action, hésitent à adhérer à ces organisations: ils pensent au retour, en vacances ou définitif, et peu d’immigrés ont envie d’être découverts et fichés comme “intégristes” par les fonctionnaires un peu spéciaux de l’Amicale des Algériens”. De même, en Algérie, la crainte de la répression freine les adhésions aux organisations illégales et provoque une “panne” de militantisme.
“Il faut être réaliste, l’Etat islamique n’est pas pour demain, nous devons préparer le cadre de notre action, et former des gens qui en constitueront le noyau. Cela ne sert à rien de prêcher dans le désert. Il faut d’abord transformer le peuple en de véritables croyants; pour diffuser le dogme islamique, nous n’avons pas besoin de nous regrouper”. Mais le mouvement islamique algérien manque terriblement de leaders et de théoriciens, de l’aveu même des cadres du mouvement. “Nous manquons d’oulémas, nous n’avons que des oulémas moyens, et nous n’avons pas de livres”. Le mouvement islamique algérien est aussi déchiré par des problèmes de régionalisme. Comme le gouvernement et comme l’armée, il est divisé en clans — des “noyaux” existent à Alger, Constantine, Oran, Sétif, Batna, Blida, etc — et il souffre d’une pléthore de leaders: “C’est un problème typiquement arabe, le “zaïmisme”.
Le mouvement islamique et le pouvoir
Plus que tout autre facteur, c’est l’absence d’une attitude commune à l’égard du pouvoir qui a empêché l’émergence d’un mouvement structuré sur le plan national: “Nous sommes plus gênés que les autres mouvements islamiques en Afrique du Nord ou au Moyen Orient à cause de l’attitude sournoise du gouvernement: son ambiguïté empêche les gens de nous prêter une oreille attentive”, déclarait — avant les évènements d’octobre 1988 — un cadre du mouvement. Depuis que le président Chadli Bendjedid a succédé au président Boumediene (1979), les diverses composantes du mouvement islamique algérien se sont divisées sur l’attitude à adopter à son égard. Aujourd’hui, les “modérés” sont toujours hostiles à l’emploi de la violence pour changer le régime: “Nous n’avons pas le droit de proclamer le “Djihad” en Algérie, sous prétexte que nos adversaires sont des musulmans égarés. Nous n’avons pas non plus le droit de nous entre-tuer: le vainqueur ne construit pas sur le sang des vaincus”. Les “modérés” soutenaient — jusqu’aux évènements d’octobre — que le président Chadli était un “homme pieux et honnête” qui n’a pas les coudées franches pour agir… “Le gouvernement se laisse berner de l’intérieur par des agents marxistes; et même s’il y a des ministres de bonne volonté, les cadres intermédiaires ne font que ce qu’ils veulent”. Alors que de “jeunes militants exaltés” étaient partisans de la violence, les dirigeants “modérés” se prononçaient en faveur d’un dialogue avec le président: “Moi, j’étais partisan d’une manifestation de soutien à la campagne du président contre la corruption”, dit un “modéré” qui ajoute, “ceux qui étaient contre ont cru que le peuple était avec eux, mais le peuple n’est pas avec nous (les islamistes): il est avec celui qui est le plus organisé”. En 1982, alors que la tension entre le régime et les islamistes montait dangereusement, les modérés avaient projeté d’envoyer une délégation d’oulémas demander audience au président Chadli, “pour clarifier notre position, pour qu’il sache à qui il avait affaire.
A partir de ce moment-là notre responsabilité était dégagée dans le cas où des échelons dans la violence devaient être franchis”. Mais après l’arrestation en novembre 1982 (suite à la diffusion du manifeste du cheikh Soltani) de 21 militants islamiques, et la mise en résidence surveillée des deux cheikhs, la rencontre a été annulée: “Nous n’avions plus de raison de voir Chadli, puisqu’il s’est dévoilé; il fait peut-être ses prières, il va à La Mecque faire son pèlerinage, mais on a compris que cela faisait partie du folklore”. Le mouvement n’avait pas pour autant coupé tous ses ponts avec le régime: entre autres, il a empêché la campagne d’Amnesty International en faveur de ses 21 militants qui étaient torturés en prison, afin de ne pas provoquer une rupture avec les dirigeants… Si les militants modérés récusent la violence pour des raisons idéologiques, ils ont aussi des arguments plus tactiques: “Nous sommes contre la violence, parce que nous n’en avons pas les moyens. A quoi cela servirait-il de supprimer un chef d’Etat qui est contre l’Islam, si ce n’est pas l’un des nôtres qui prend sa place? L’emploi de la violence est une affaire délicate. Elle suppose une unité dans l’action. Sans cette unité, et si en plus nous n’avons pas les bases nécessaires, c’est la porte ouverte à l’aventure”. Certes, de jeunes militants ne cessent d’affirmer qu’il est “plus facile de faire sauter un camion chargé de TNT à Alger qu’à Baalbek”, mais la direction du courant modéré a réussi jusqu’ici à convaincre les “jeunes exaltés” de ne pas se lancer dans des opérations violentes. A l’exception notable de Bouyali, ancien capitaine de la wilaya IV pendant la guerre d’Algérie, qui avait critique l”attentisme” des modérés, avant de se lancer dans une petite campagne de guérilla avec une poignée de partisans, parvenant à tuer quelques gendarmes avant d’être lui-même abattu en janvier 1987. D’autres petits groupes dirigés par des “émirs” partisans de la violence existent également, mais ils opèrent dans une telle clandestinité qu’il est difficile d’apprécier leur importance réelle. Depuis les émeutes du mois d’octobre 1988, et le bouleversement de la scène politique algérienne qui a suivi, le mouvement islamique algérien a été forcé, malgré lui, de préciser son attitude à l’égard du pouvoir et de l’utilisation de la violence: en outre, la libéralisation de la vie politique, avec l’autorisation des “associations”, le place devant un choix stratégique fondamental.
Les émeutes d’octobre 1988
L’organisation, durant les journées d’octobre 1988, d’une manifestation, au cours de laquelle plusieurs milliers de manifestants ont brandi des banderoles avec des slogans islamiques, a immédiatement suscité des interrogations sur une éventuelle tentative du mouvement islamique de canaliser à son profit les émeutes populaires. L’armée, elle, n’a pas hésité à tirer sur les manifestants, faisant plusieurs dizaines de morts. Un responsable islamique algérien à Paris avait qualifié l’organisation de cette manifestation par l’imam Ali bel Hadj, jusqu’alors inconnu, “d’initiative irresponsable d’un jeune imam vaniteux qui veut percer sur le plan national”. Selon lui, cheikh Sahnoun avait réussi à éviter un bain de sang en dissuadant au dernier moment plusieurs dizaines de milliers de personnes de se joindre à cette manifestation… Et il réaffirmait avec force le caractère spontané des émeutes. “C’était une réaction inorganisée de gens qui en avaient “ras le bol” de courir après le pain et la semoule. Et les Islamiques n’ont pas voulu récupérer le mouvement populaire; nous n’avons pas essayé d’en prendre la tête, car cela aurait été de la spéculation, ce qui est interdit par l’Islam… Nous n’avons pas essayé de monter dans le train en marche et de récupérer le mouvement pour deux raisons: tout d’abord nous ne sommes pas d’accord avec le mouvement laïc qui essaie de faire pression sur le gouvernement pour obtenir plus de démocratie: nous ne sommes pas pour la démocratie et le pouvoir du peuple. Nous sommes pour le pouvoir de Dieu. La seconde raison est que nous ne sommes pas organisés: on ne peut pas arrêter un tank avec un bâton de pèlerin — il faut au moins un tank”. Il ajoutait, pour conclure: “Ces gens ne sont pas morts pour rien; ces massacres remettent en cause l’attitude de ceux qui disent: “Ceux qui sont au pouvoir sont nos frères”. C’est une idée qui ne passera plus… Rien ne sera plus comme avant”. On pouvait donc croire que la modération traditionnelle du mouvement islamique s’était évanouie avec le sang qui avait coulé dans les rues d’Alger.
La tentation du jeu démocratique
Il est de fait cependant que le président Chadli Bendjedid a réussi à retourner la situation en sa faveur en organisant un référendum sur les institutions et en autorisant des “associations politiques” à agir au grand jour. Immédiatement le mouvement islamique algérien s’est divisé sur l’attitude à adopter, certains responsables récusant ce qu’ils considèrent n’être qu’un “piège”, tandis que d’autres se sont empressés d’occuper l’espace démocratique” ainsi ouvert… C’est ainsi que l’imam Ali bel Hadj — l’instigateur de la fameuse manifestation islamique du mois d’octobre 1988 — vient de fonder à Alger le “Front islamique national” avec le cheikh Abdel Baki, âgé de 75 ans, qui avait été arrêté à l’époque de l’affaire Bouyali et condamné à plusieurs mois de prison, et avec Abbas Madani, un des auteurs du “bayan” de novembre 1982. Faisant leur analyse de Rachid ben Aissa, qui observe désormais la scène islamique algérienne d’assez loin, et qui estime qu’il “ne faut pas renoncer à cet espace de liberté… Rien ne tue autant la dictature que la liberté… Si demain des forces contraires se manifestent à nouveau, nous serons plus forts”, ces “activistes” considèrent qu’il faut prendre le régime au mot: “Nous avons toujours été privés d’agir publiquement sur le terrain, c’est une occasion qu’il ne faut pas laisser passer… Nous allons voir comment réagit le gouvernement: s’il réagit mal, s’il nous enlève nos nouvelles libertés, alors nous nous défendrons. Ce sera légitime… et tous les coups seront permis”. Mais de nombreux cadres du mouvement islamique algérien refusent de jouer le jeu démocratique proposé par le régime: “Nous n’avons pas confiance; d’abord, ce gouvernement est illégitime, il doit y avoir un procès pour les assassins… L’ennemi se pose en arbitre: il faut être terriblement naïf pour croire que ces gens se sont repentis… C’est une récréation qui va bientôt se terminer avec une répression qui frappera tous ceux qui se sont découverts”. Leur analyse est confortée par le fait que le cadre légal dans lequel les “associations” pourront exercer leurs activités n’a toujours pas été défini: les meetings seront-ils autorisés? Les associations pourront-elles avoir leur presse? Leurs locaux? La mise en garde du ministre des waqfs, interdisant de baser des associations politiques dans les mosquées, confirme leurs appréhensions. Mais pour l’instant, la plus grande menace qui pèse sur le mouvement islamique algérien, c’est le danger d’atomisation: dans chaque ville, à Alger, mais aussi à Oran, Constantine, et dans le sud, dans chaque université, sont fondées non pas une mais plusieurs associations islamiques, avec les appellations les plus diverses. Le courant modéré traditionnel essaie de canaliser cette effervescence en regroupant les diverses organisations au sein d’une “Ligue de l’appel des oulémas” (rabitat al daoua al ouléma) dont les dirigeants sont des personnalités déjà connues des services de police algériens — et qui n’ont donc rien à perdre à se mettre en avant — comme cheikh Sahnoun et cheikh Mahfoud. Une “commission” a été mise en place pour tenter de regrouper toutes les organisations autour d’un programme minimum commun, mais elle fait face à des problèmes insurmontables, pour l’instant, de méthodes, et, surtout, de personnes.Très sévère et très désabusé, Rachid ben Aissa qualifie ces tentatives de “gesticulations islamiques”: “Je crains qu’il n’y ait dégénérescence. Dans les années 1970 le débat était d’un très haut niveau. C’était une exploration intellectuelle, philosophique, de ce que peut être la modernité islamique. Nous n’avions pas peur de l’Autre, de ses deux faces, marxiste et capitaliste. Aujourd’hui on se cantonne à des détails, aux chemins battus du voile, de la pratique rituelle; il n’y a plus de débats d’idées, il n’y a que des compétitions d’appétits personnels”.Expliquant cette situation par le fait qu’il n’y a pas de lettrés arabes en Algérie — “il n’y a même pas de craie pour les maîtres d’école” — Rachid ben Aissa estime que le mouvement islamique algérien a “le droit à l’erreur, le droit à la bêtise, même”. Et il fonde ses espoirs sur la jeunesse, sur un renouveau après une période de “décantation” de trois ou quatre ans, et surtout sur la réalisation d’un “espace maghrébin, chance unique de confrontation avec les autres, d’élargir le débat, d’éviter les fausses pistes”.