Le règne de Chadli Bendjedid fut, sans doute, celui qui fera découvrir aux Algériens les “vertus” de la consommation.
“Pour passer du socialisme au capitalisme, il suffisait de traverser la route”, écrivait un jour le défunt Abdou Benziane pour schématiser la transition imposée par Chadli Bendjedid. Les souks el-fellah et les Galeries étaient devenus, l’espace d’un règne, un véritable temple. Ils étaient la première cible des émeutiers d’octobre 88. À cette époque, les familles rêvaient de marier leurs filles à des employés de ces deux symboles. Des chaînes interminables se formaient devant ces enceintes. Des gens y passaient des nuits entières pour découvrir, le lendemain, qu’ils avaient fait tout cela pour “obtenir” un pneu, une batterie ou, au mieux, un thermos.
L’époque des frigidaires, des cuisinières, des télévisions couleur, des “Passat”, des “Honda” et autres “Ritmo” et “Zastava” allait changer fondamentalement les habitudes et les certitudes des Algériens.
Les allocations touristiques allaient donner aux Algériens la chance de pouvoir faire le tour du monde, en toute aisance, surtout que cette époque ne connaissait ni visa, encore moins d’espace appelé Schengen.
Le pays s’était transformé en bouche ouverte qui consommait tout ce qu’on lui importait. Inconscient des dangers qui le guettaient et qui allaient compromettre sérieusement son avenir, avec la chute brutale des cours du pétrole. Mais les années 1980 étaient aussi celles de l’éruption de Makam Echahid, “Houbel”, pour les jeunes de l’époque. C’était l’époque de l’apparition du raï, des discothèques réservées aux enfants de la nomenklatura, “la tchi-tchi”, et du feuilleton “Dallas” ramené par Chadli lors de sa visite aux États-Unis d’Amérique. Mais c’était aussi la construction de la mosquée Émir-Abdelkader de Constantine, confiée à l’imam El-Ghazali, et l’organisation de conférences de la pensée islamique qui ont vu défiler des centaines de “cheikhs” et préparer le lit de l’islamisme politique en Algérie.
C’était aussi l’époque où les jeunes ont commencé à s’exprimer dans les stades, à dire leur ras-le-bol. “Babor l’Australie” faisait un tabac sur tous les gradins, tout comme les blagues sur le défunt Président étaient le sujet préféré dans tous les cafés du pays.
Les années 1980 allaient permettre à une faune de privilégiés de se sucrer des monopoles d’importation. Les “Messieurs 10 pour cent” étaient légion et sévissaient partout où il y avait de l’argent à prendre. On murmurait, par-ci, par-là, des affaires louches, et on balançait de temps à autre un lampiste pour faire taire la rumeur, comme ce fut le cas pour “Testosa” à qui on avait fait porter le chapeau dans l’affaire du détournement dans une banque publique.
Le pays vivait au rythme des rumeurs, d’une opposition clandestine qui se barricadait dans les universités et le monde syndical. Généralement constituée de militants de gauche, cette opposition était très active, mais n’arrivait pas à sortir son combat des ghettos dans lesquels elle était cantonnée.
Des combats ont été menés, que ce soit pour la reconnaissance de l’identité amazighe, ou que ce soit lors du débat autour du code de la famille, ou que ce soit pour la liberté d’expression, ou encore des revendications des lycéens ou de la sauvegarde du tissu industriel, des militants ont été emprisonnés, maltraités et exclus, pendant que l’article 120 de triste mémoire était encore de mise et qui écartait, de fait, toute personne, quelle que soit sa compétence, des postes de responsabilités, faute d’appartenir au FLN unique.
Les années 1980 avaient fini par enterrer une époque, pour plonger le pays dans l’inconnu. Les imprudences commises pendant cette période de transition allaient être payées cher, durant la décennie 1990 et le pays continue à en payer les conséquences.
A. B