Ahmed Ouyahia n’a guère convaincu sur l’opportunité du quatrième mandat, qu’il disait, il y a deux ans, “ne pas servir l’Algérie”. Sa réapparition publique, après quatorze mois d’éclipse, et surtout sa nomination à la fonction de directeur de cabinet à la présidence suggèrent des pistes pour l’après-présidentielle.
L’ancien Premier ministre a distillé, pendant une heure sur une chaîne de télévision privée, un discours adapté à la mission qui lui est manifestement confiée, soit recadrer les interventions cacophoniques, souvent maladroites des personnalités qui portent la candidature du président Bouteflika à sa propre succession.
Il n’en demeure pas moins que l’homme, réputé pour son pouvoir de persuasion et son charisme, avait de la peine à convaincre sur l’utilité du maintien de l’actuel premier magistrat du pays à sa fonction.
D’ailleurs, il est plutôt mal placé pour défendre ce projet, dès lors qu’il a assuré, il y a deux ans, que “le quatrième mandat ne servira pas l’Algérie”. Il a estimé que l’alternance au pouvoir est une option incontournable à un moment où le débat n’était même pas encore tout à fait engagé sur le propos. C’est dire pourquoi Ahmed Ouyahia ne s’est guère montré très incisif dans ses commentaires sur l’effervescence qui entoure la présidentielle du
17 avril prochain et, surtout, la candidature contestée et contestable du chef de l’État à une énième mandature. Par moments, l’ex-secrétaire général du RND confortait davantage les convictions de l’opposition qu’il remettait en cause. Sur l’état de santé du président Bouteflika, il a soigneusement évité les excès dans lesquels sont tombés Abdelmalek Sellal, Amar Saâdani, Amara Benyounès… et les autres. “Le Président est malade et il n’a pas la santé de 1999”, a-t-il reconnu. Il a néanmoins tenté d’attester de ses capacités à diriger le pays en avançant deux arguments, relativement faibles. Il a soutenu que le chef de l’État reçoit des délégations étrangères officielles. “Si vraiment il était dans une incapacité physique, pensez-vous que le secret serait bien gardé à l’étranger ?” s’est-il interrogé. Il a indiqué, aussi, que M. Bouteflika a tenu avec lui, ces derniers jours, deux séances de travail de 90 et 60 minutes, comme si cela suffisait à rassurer les citoyens sur les aptitudes physiques et mentales du premier magistrat du pays, qui leur est apparu, le 3 mars dernier, au Conseil constitutionnel, sous les traits d’un homme âgé et très éprouvé par la maladie.
Ahmed Ouyahia n’a pas versé, non plus, dans la diatribe contre les opposants au quatrième mandat. “Je n’ai pas de commentaire sur ceux qui sont choqués par la candidature de Bouteflika, mais le scrutin sera transparent. Il y aura plus de 300 observateurs… Il ne faut pas avoir des présomptions de fraude.” Sur un ton apaisant, il a exprimé son “espoir, en tant que citoyen, que les candidats se battent sur le front des idées et des programmes”, sans informer sur son intention de s’impliquer personnellement dans la campagne électorale du Président-candidat ou pas.
A contrario, Ahmed Ouyahia s’est attaqué frontalement au secrétaire général du FLN, Amar Saâdani, en lui reprochant de revendiquer un État civil alors que l’Algérie en est un. “Retenez bien que les généraux n’ont jamais fabriqué les présidents en Algérie. L’Armée nationale est un exemple presque unique au monde dans la discipline. Il est vrai que l’institution militaire, et c’est une tradition que nous avons héritée de la Révolution, donne son avis sur plusieurs aspects liés à la gestion du pays. Mais le dernier mot revient au président de la République”, a-t-il affirmé. Il a accusé aussi Mouloud Hamrouche de commanditer un coup d’État, ce qui est, de son avis, contraire aux principes démocratiques et à l’essence républicaine de l’institution militaire.
Évidemment, l’ancien Premier ministre n’a pas abordé du tout ses propres desseins politiques, bien que sa nomination au poste de directeur de cabinet de la présidence de la République ait coïncidé avec la première diffusion de son interview et, par là même, sa réapparition sur la scène publique après une éclipse de 14 mois, soit depuis sa démission du secrétariat général du RND le 5 janvier 2013. Il s’est permis une furtive transgression à la règle quand le journaliste a soutenu qu’il a quitté le gouvernement par la petite porte. “Lors de mon dernier passage au gouvernement, j’ai presque battu le record de longévité comme Premier ministre, en y restant quatre ans et demi. À un certain moment, le changement s’impose”, a-t-il répliqué, sans se douter, peut-être, qu’il venait de lancer, par là, un lapsus révélateur. Est-il cohérent que l’alternance s’impose à la tête de l’Exécutif au bout de quatre ans et nullement au sommet de l’État après quinze ans ? Assurément non. Sauf si l’on prend en considération la possibilité que le quatrième mandat ne soit, en réalité, qu’une voie d’accès aux commandes du pays, pour une autre personnalité. À ce titre, Ahmed Ouyahia, qui vient d’hériter d’un poste éminemment politique et étroitement stratégique, occupé avant lui par le puissant Larbi Belkheïr, se place bien pour jouer l’outsider embusqué. N’a-t-il pas cité, en janvier 2012, la célèbre phrase de l’ancien président français Valéry Giscard d’Estaing “la rencontre d’un homme avec son destin”, quand des journalistes l’interrogeaient sur ses ambitions de briguer un mandat présidentiel en 2014. “Quand on fait de la politique, on se destine à servir. Être président de la République, c’est servir son pays. Mais il est encore tôt pour parler de çà”, a-t-il épilogué ce jour-là.
S H