Le siège de la présidence de la République
Même «transitoire» et «sans séquelles», l’accident vasculaire cérébral que vient de subir le chef de l’Etat, suscite des inquiétudes légitimes chez la plupart des Algériens. Le ton rassurant du gouvernement et des médecins n’est pas pour les laisser indifférents.
Lorsque le président d’un pays est malade, il est tout à fait normal que le peuple s’en inquiète. C’est, il n’y a rien de plus légitime. La maladie de Mitterrand avait mis en effervescence la scène médiatique française, celle de Chirac n’en avait pas fait moins. La maladie de Chavez a dominé les sujets de débat au Venezuela, celle de Poutine en Russie et j’en passe. Ce qui est tout aussi normal c’est que, avec la maladie du président d’un pays, surgissent toujours certaines interrogations qui peuvent être liées soit à la maladie elle-même, c’est-à-dire à sa nature, à ses conséquences et à sa gravité, soit à la capacité du président à poursuivre son mandat, soit, enfin, à l’après-mandat, c’est-à-dire à ceux qui pourraient prendre la relève et à la capacité même du pays à offrir une relève.
L’AVC, bien que léger, que vient de subir Bouteflika a, sans doute, suscité chez les Algériens toutes ces interrogations à la fois. Peut-être même un peu plus. La santé de quelqu’un de 76 ans étant certainement plus objet à inquiétude que celle d’un jeune homme de 20 ans, il est tout à fait normal que l’alerte de santé de ce samedi 27 avril, et malgré le ton volontairement rassurant du communiqué officiel, n’était pas pour laisser les Algériens indifférents.
Cet AVC est d’un type plutôt léger. Un «accident ischémique transitoire sans séquelles» comme l’appellent les spécialistes. Cependant, même transitoire et sans séquelles, cela n’empêche pas les Algériens de se poser certaines questions quant à la possibilité pour Bouteflika de continuer à gérer. En principe, Bouteflika devrait tenir sa promesse de Sétif et se retirer en avril 2014. Il devrait pour cela s’opposer à tous ceux qui l’appellent à postuler pour un quatrième mandat et qui ne le font que pour sauvegarder et continuer à servir leurs propres intérêts. Mais comme l’autre possibilité est aussi envisageable, alors, du coup, c’est une autre préoccupation qui surgit. Même s’il arrive à trouver la capacité nécessaire pour continuer à gérer, sera-t-il capable de gérer au-delà? Ceci nous emmène directement à la question du quatrième mandat. L’élection de 2014 apparait alors dans sa véritable dimension. Elle sera importante, voire décisive pour le pays.
Que fera Bouteflika?
Si Bouteflika, fatigué par l’exercice du pouvoir et affaibli par l’âge et la maladie décide de renoncer à se porter candidat, que se passerait-il? En principe, nous devrions dire rien de particulier; c’est-à-dire que, à l’image des pays normaux, le départ d’un Président ne devrait poser aucun problème. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour nous. Pas encore, pour le moins!
Il est de notoriété que les régimes qui jettent l’ancre de la médiocrité et du clientélisme au lieu de s’ériger sur les compétences et le mérite ne peuvent survivre, et encore moins sévir, qu’en faisant table rase des compétences à dix mille à la rond. Aucune tête, dans la logique de ces régimes, ne doit dépasser autre que celle tolérée par les tenants du régimes. Aucun mérite ne doit être reconnu que celui reconnu par le régime lui-même! Et aucune compétence réelle ne doit s’épanouir à côté de celle de substitution décidée par le régime en place. C’est aussi, malheureusement notre cas! Des voix se sont tues absorbées par les trous noirs mis en place. Des volontés se sont brisées sur les écueils érigés comme d’infranchissables dos d’âne, tout le long des parcours mille fois détruits. Et des générations se sont cassées sur le mur de l’indifférence manifeste à l’égard du pays et sur celui du mépris du citoyen.
Aujourd’hui, la situation est dramatique car, à part les hommes du système lui-même, on a beau se tordre le coup à chercher, il n’y a personne à l’horizon qui puisse sérieusement prétendre à la candidature pour 2014. Bien sûr qu’il existe de ceux qui, comme un certain président voisin, s’empresseraient, à cause du manque d’expérience et du tact, de couper les relations avec les autres pays et de folkloriser la fonction de Président de la République, mais ce n’est pas de ceux-là que le pays aurait besoin. Ceux qui ont la stature d’homme d’Etat et qui ne proviennent pas du système ne courent malheureusement pas les rues de notre République. La mise à sec du pays de ses cadres et de son élite a été très bien organisée et systématiquement menée. En vue, il ne reste que les bénis «beni-oui-oui», ces applaudisseurs soumis, sans véritable projet pour le pays et sans réelle ambition pour eux-mêmes. Ce type d’hommes est à chercher en principe dans l’opposition, sauf que de son côté, l’opposition, pervertie par le pouvoir qui lui a longtemps servi à boire et corrompue par les prétentions illégitimes, n’en est plus une. Ces bavardages qui lui servent de discours et ces insanités qui lui servent de théorie ont fini par lasser plus d’un. Arrivés n’importe comment dans le lit commun de l’opposition, beaucoup de ses éléments n’ont rien à voir avec la politique, entre charlatanisme, «oppositionnisme», «dervichisme» de crieurs de souk, les principes mêmes d’opposition ont été clochardisés et, de tout le lot, on ne peut sortir qu’un nombre vraiment infime de véritables opposants dont une partie a fini par quitter la scène.
Où ira-t-on chercher notre prochain président?
Désespéré de devoir vainement attendre des éternités, et frustré par le nombre incroyable de désillusions, le citoyen n’a plus confiance aujourd’hui en le pouvoir autant qu’il n’en a pas en l’opposition. Pour remplacer Chadli Bendjedid, on a dû aller chercher Boudiaf, et pour remplacer Zeroual on a dû aller chercher Bouteflika. L’un comme l’autre étaient mis à l’écart par le régime en place et vivaient ailleurs. Aujourd’hui, dehors, il ne nous reste plus que Hocine Aït Ahmed et c’est déjà un choix irrationnel à cause de l’âge de celui qui figure parmi les derniers rares historiques en vie. D’ailleurs, dernièrement, il a décidé de se retirer de cette agitation fatigante et inutile que l’on appelle vulgairement «la politique». Où ira-t-on alors chercher notre prochain président?
Le seul choix qui reste, un choix depuis longtemps orienté, est celui de se rabattre sur les hommes du système, car c’est seulement chez eux que l’on trouvera des gens plus ou moins habitués au traitement de dossiers sérieux. C’est comme un piège qui se referme!
Les noms de ces hommes-là sont connus. Qu’ils aient quitté ou pas la scène politique nationale, leurs noms demeurent les seuls qui reviennent à chaque fois.
Coincé entre un choix irrationnel qui ne l’attire pas et un choix orienté qui l’a suffisamment marquée, l’Algérie aura à décider en 2014 pour sa véritable émancipation. Une émancipation par rapport à elle-même d’abord et une émancipation par rapport au joug du temps qui lui semble imposé par un régime désuet. Un régime qui s’entête à s’accrocher malgré tout le mal qu’il a fait au pays.
Quelle que soit la décision de Bouteflika, deux choses sont sûres pour l’instant. La première c’est qu’il n’annoncera cette décision que le plus tard possible. Histoire de préserver les équilibres du moments et d’éviter des problèmes au pays, à court terme du moins.
La seconde, c’est qu’on devra assister, ces jours-ci, à un empressement de la commission de la révision de la Constitution pour qu’elle se dépêche de remettre sa copie afin de passer le plus rapidement possible à l’étape suivante, celle de la validation. En effet, la maladie de Bouteflika devrait, sans doute, perturber le calendrier initial relatif à la Constitution car elle soulève, plus que jamais, la question de la procédure et des mécanisme de sa succession. Initialement, le délai imparti à cette commission pour la remise de son travail était la fin de l’année, mais désormais il faut s’attendre à ce que ce délai soit réduit de trois à quatre mois au minimum. Disons que cela devrait se passer vers la fin août – début septembre, ce qui permettra de boucler cette histoire de Constitution avant la fin d’année. Mais comme cette réduction de délai ne se fera pas sans pression, il est aussi légitime de se poser la question de savoir quelles seront les parties interposées par lesquelles sera menée la prochaine lutte entre ceux qui voudront expédier la chose au plus vite et ceux qui s’y opposeront. Des voix vont s’élever, plus pressantes désormais, pour demander à ce qu’il n’y ait pas de quatrième mandat.
D’autres, plus convaincues que jamais du contraire, crieront leur soutien, sans réserve, comme on a pris l’habitude de l’entendre dire, à ce quatrième mandat. Il y aura certainement de nouvelles grèves qui viendront s’ajouter à celles existantes, des effervescences sociales ici et là, une reprise des revendications du Sud peut-être, voire d’autres formes de pression que l’on n’a pas encore connues.
Mais pour l’instant, l’homme est malade, souhaitons-lui un prompt rétablissement et souhaitons du coup à l’Algérie qu’elle puisse éviter les pièges de ceux qui ne peuvent regarder que leur ventre et qui n’ont de considération que pour leur nombril.