Marches contre les caricatures de “Charlie Hebdo” , Les salafistes à visage découvert

Marches contre les caricatures de “Charlie Hebdo” ,  Les salafistes à visage découvert
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Notre revendication, c’est d’instaurer l’État islamique en Algérie, même s’il faut pour cela attendre soixante ans. L’État islamique circule dans notre sang.” Le propos n’est pas puisé de la littérature, en vogue alors, des islamistes au début de la décennie noire, mais d’Abdelfattah Hamadache, fondateur du Front de la Sahwa (renaissance) islamiste salafiste, non agréé, un salafiste pur jus qui s’exprimait hier sur les colonnes du Parisien.

Ancien militant du FIS dissous, cet obscur personnage se retrouve subitement projeté sous les feux de la rampe, notamment depuis sa fameuse fatwa, en décembre dernier, contre notre confrère Kamel Daoud. L’appel à une condamnation à mort qu’il a lancé contre l’auteur de Meursault, contre enquête, roman pour lequel il a échoué de peu au prestigieux prix Goncourt, s’il a suscité une indignation dans les milieux intellectuels, de par le monde, n’a pas fait réagir la justice algérienne qui s’est montrée pourtant si prompte pour s’autosaisir à propos des déclarations de Saïd Sadi sur Ali Kafi, Ben Bella et Messali Hadj. Ni les autorités politiques, encore moins le président de l’instance supérieure de l’audivosiuel, Miloud Chorfi, dont la vocation est de veiller au grain sur ce qui est diffusé par les télés, n’ont jugé nécessaire de condamner cet appel au meurtre. Loin d’être inquiété, l’homme écume depuis quelques semaines les plateaux de deux chaînes privées qui lui servent de formidable tribune politique pour ses diatribes.

Quelques jours avant la marche de vendredi, des journaux privés lui ont ouvert leurs colonnes pour qu’il lance son appel à manifestation. Mais bien avant lui, c’est un autre salafiste, ancien chef de l’AIS, Madani Mezrag, qui suscite la sollicitude de la République, puisqu’il a été reçu en qualité de “personnalité nationale” à la présidence de la République dans le cadre des consultations sur la révision de la Constitution. L’homme organise même une université d’été avec ses sbires à Jijel sans que la République s’émeuve ni s’offusque. Opérant depuis longtemps en catimini, confinés dans des repaires d’initiés, le salafisme agit, désormais, à visage découvert, à telle enseigne que des slogans aux relents de violence sont scandés en pleine rue d’Alger sans que le pouvoir politique lève le petit doigt. Dès lors, il est à se demander si ce laxisme des autorités participe d’une manipulation dans une conjoncture politique marquée par l’émergence d’un front de l’opposition ou s’il s’agit d’une nouvelle redistribution des cartes où les salafistes seront intégrés dans le jeu politique.

Soupape ou division ?

LG Algérie

“Les autorités tolèrent certaines manifestations qui constituent une sorte de soupape quand il y a beaucoup de pression. Et elles font tout pour interdire l’organisation d’autres manifestations par les partis agréés. La récupération de ce genre de manifestations par les salafistes intéresse les forces de l’ombre en Algérie. Car certains de ces salafistes sont liés à ces services occultes”, analyse, dans un entretien à TSA, le leader du MSP, Abderrazak Makri. “Notre manifestation a été bloquée au 1er-Mai, alors que les salafistes ont été autorisés à marcher au-delà du 1er-Mai comme cela s’est passé lors de la manifestation pour Gaza. Je pense que la carte de certains salafistes est une carte dont on discutera beaucoup à l’avenir”, prédit-il encore.

Mais pour l’enseignante en sciences politiques, Louisa Aït Hamadouche,

il est prématuré de tirer quelques conclusions. “Il est a priori difficile d’apporter une réponse définitive. De fait, les deux hypothèses sont potentiellement justes. Premièrement, le salafisme est un courant pluriel qui a réussi à s’implanter dans l’ensemble du monde arabe. Sa pluralité (salafisme de prédication, scientifique, djihadiste…) lui permet de s’inscrire sur plusieurs registres à la fois, qui vont de l’islamisation de la société au militantisme politique, pour finir par des actions violentes. Partant de cette pluralité, on peut imaginer que l’un ou plusieurs de ces courants peuvent s’inscrire durablement dans le jeu politique futur, d’autant que, en parallèle, il existe peu d’offres politiques suffisamment mobilisatrices pour contrecarrer les salafismes”, dit-elle. Et de poursuivre : “Envisageons maintenant la seconde hypothèse, une manipulation visant à ‘tolérer’ l’action des salafistes. Cette hypothèse repose sur des précédents historiques nombreux dans lesquels la stratégie des autorités politiques est de diviser l’opposition en alimentant l’opposition de l’opposition : les gauchistes contre les islamistes, les islamistes contre les démocrates et les islamistes modérés contre les islamistes radicaux. Notons que le besoin de diviser l’opposition est particulièrement aigu aujourd’hui, compte tenu de la multiplication des points de tensions internes dans une conjoncture de baisse importante des ressources financières.”

Il reste que, quelles que soient les considérations sous-jacentes qui peuvent expliquer le laxisme, certains nourrissent des inquiétudes quant à l’avenir de la démocratie en Algérie, eu égard à certaines images et à certains slogans renvoyés par la marche de vendredi dernier. “Voilà, nous y sommes. Quand un pays est sans Président et sans État, c’est Ennahar et Echourouk, Hamadache et les autres qui en deviennent les maîtres et les gouvernants. Un demi-siècle après l’Indépendance, on a produit des générations de haine, d’imbéciles et d’intégristes et d’émeutiers. Cap sur le califat et le FIS bis. Quand le directeur d’Echourouk se proclame Président du pays en allant le représenter à l’ambassade de France et y déposer requête, qu’un autre directeur gigolo fait le mercenaire pour brûler ce pays pour quelques dinars et que les islamistes défilent au cri de ‘Kouachi chouahada’, c’est qu’on est une maison sans maître, un pays à la dérive et une nation presque morte. Pleurez martyrs inutiles de notre guerre de Libération”, écrivait, à juste titre, vendredi, peu après la marche, Kamel Daoud sur son compte Facebook.

K. K.