Ikram meurt sans rencontrer sa fiancée

Ikram meurt sans rencontrer sa fiancée

« Il était prévu que Christelle vienne au mois de juillet dernier pour se marier avec Ikram en Algérie. Elle n’a pas pu obtenir le visa. Puis ça a été reporté à la fin du Ramadhan. Elle comptait venir avec sa famille pour concrétiser son union avec mon frère », nous raconte, en pleurs, Hicham, son frère aîné.

Rejoindre sa bien-aimée Christelle, une Française de 20 ans qu’il connaissait depuis quatre ans, était le rêve d’Ikram.

Malheureusement, le destin en a décidé autrement. Cet amour est né d’un chat sur un site de rencontres.

Au fil des années, les dialogues anodins se sont transformés en un grand amour. Ikram voulait coûte que coûte exaucer son rêve, celui d’être auprès de la femme qu’il avait choisie.

Ses tentatives d’obtenir un visa sont restées vaines ; c’était le refus à chaque fois.

L’idée de la harga a alors commencé à germer dans la tête d’Ikram, qui était un génie de l’informatique, un technicien de dessin en bâtiment des plus avertis.

« Il était prévu que Christelle vienne au mois de juillet dernier pour se marier avec Ikram en Algérie. Elle n’a pas pu obtenir le visa. Puis ça été reporté à la fin du Ramadhan. Elle comptait venir avec sa famille pour concrétiser son union avec mon frère », nous raconte, en pleurs, Hicham, son frère aîné et son confident, un gardien de parking, père de la petite Anfal (Fifi).

C’est d’ailleurs par la photo de cette petite qu’il aimait tant à appeler Sahbati (mon amie) qu’Ikram s’affichait sur le Net à son amie Christelle avant qu’ils ne passent tous deux à la webcam (discussion en live).

« C’est la veille de son départ, c’est-à-dire mercredi vers 3h, qu’il est venu me voir pour m’annoncer son départ. Après une longue discussion, il a réussi à me convaincre puisque je m’y étais opposé. Puis il est rentré à la maison. Le jour J, c’est-à-dire le jeudi matin, il est parti régler le prix de sa place dans l’embarcation de la mort : 45 000 DA au passeur et 5000 DA à l’intermédiaire. C’était tout ce qu’il avait, fruit d’une dizaine d’années d’économies », poursuit Hicham.

Entre-temps, ce dernier devait préparer le nécessaire au voyage d’Ikram. « J’avais 700 DA seulement sur moi, je lui ai acheté un flacon de shampoing, un déodorant, des lames de rasoir et deux savonnettes. Il n’avait même pas de quoi se payer les cigarettes qu’il devait emporter. J’ai dû alors emprunter 2000 DA auprès d’un ami pour lui en acheter deux cartouches. J’ai tout mis dans un sac à dos que j’ai soigneusement caché car mes parents ne savaient rien », indique Hicham.

Interrogé sur le pécule en devises d’Ikram, notre interlocuteur précise qu’il avait seulement 35 euros.

Une somme qu’il avait procurée à son frère en cédant au bijoutier du quartier la bague de fiançailles de sa femme.

Vers 21h de la fatidique journée de jeudi, c’est une sorte d’adieu qu’a fait Ikram à ses proches.

Hicham l’attendait, avec deux autres harraga du même quartier, dans une librairie pour l’accompagner à la plage Rizzi Ameur, le point de départ.

« Une fois arrivés, nous avons trouvé au moins une trentaine de personnes entre harraga et curieux. Sur les lieux, il y avait deux embarcations cachées par le passeur dans un tunnel, à même la plage. Le moteur était accroché à une barque de pêche. Le passeur était sur place, il coordonnait l’opération par portable. Il y avait toute une équipe. Chacun sa mission pour 500 à 1000 DA », explique Hicham.

Selon lui, la première embarcation est partie vide vers Ras El Hamra (le Vivier).

Quant à la deuxième, sept harraga y avaient pris place, dont Ikram. Les autres ont tous pris des taxis vers le Vivier d’où devaient appareiller les deux embarcations, poursuit Hicham.

« Une fois arrivés, nous avons été surpris de constater qu’il y avait une troisième embarcation. Sur place, nous avons trouvé près d’une centaine de personnes, c’était la confusion totale. Puis le passeur « en chef » a entamé la répartition des harraga entre les trois felouques. Ikram m’a lancé un ultime regard en me priant de prendre soin de mes parents », se souvient Hicham, en sanglots, tenant les 35 euros enroulés telle une cigarette par Ikram et murmurant d’une voix presque inaudible : « Pardonne-moi mon frère, pardonne-moi ».

Il a toutefois tenu à nous signaler que c’est à cause d’une candidate à l’émigration clandestine, membre d’une des trois expéditions, que la tentative des 74 jeunes harraga a échoué.

« C’est certainement son frère qui a vendu la mèche aux gendarmes postés au niveau du cap de Garde. Il était venu chercher sa sœur pour l’empêcher de partir. Mais, il n’a pas réussi à l’en dissuader. Sinon comment expliquer l’arrivée des gendarmes au Vivier alors que la troisième embarcation était encore visible ? Peu de temps après, nous avons reçu un appel de Mehdi, le compagnon et ami d’Ikram, qui nous a informés que les gardes-côtes étaient à leurs trousses, puis la communication s’est brutalement interrompue », poursuit Hicham.

Flairant déjà ce qui allait se passer, ce dernier se dirigea avec des amis du quartier vers le port. Il était une heure du matin lorsque les unités des garde-côtes ont commencé à déposer les harraga sur le quai n°9.

« C’était le cafouillage. Des ambulances de la Protection civile, des véhicules des garde-côtes, de la gendarmerie… J’ai fini par comprendre qu’un drame était arrivé aux malheureux aventuriers, y compris mon frère. Je me suis alors précipité vers les urgences de l’hôpital Ibn Rochd ».

C’est alors que Farid, le meilleur ami d’Ikram, prend la parole pour nous dire que l’évacuation des blessés a duré jusqu’à 3h.

Au total, 18 harraga ont été évacués. Ils étaient gravement atteints de brûlures à différents degrés.

Ce n’est que vers 4h que la dernière ambulance est arrivée mais, à la différence des autres, elle était escortée par des éléments de la Gendarmerie nationale.

Elle ramenait le cadavre d’Ikram. « Voilà comment finissent les jeunes de la République bananière de Bouteflika, d’Ahmed Ouyahia et de leurs compères », s’indigne Farid.

Ainsi, le rêve d’Ikram Hamza, né le 11 avril 1977, de rejoindre sa bien-aimée Christelle dans le nord de la France via la Sardaigne, se termine au cimetière de Sidi Aïssa.

N. Benouaret