Les manifestations du 11 Décembre 1960 n’ont pas coûté la vie qu’aux adultes. Des centaines d’enfants y ont laissé la leur.
On les appelle «Les enfants de décembre». Comme leurs illustres aînés, ils ont écrit avec leur sang l’une des pages les plus glorieuses de l’histoire de la Guerre d’Algérie. On ne connaît pas avec exactitude leur nombre, mais selon les journaux de l’époque, ils seraient des centaines à être tombés sous les balles lors de la répression sanglante des manifestations du 11 Décembre 1960, un génocide qui s’ajoute à tous les «crimes d’Etat» qui ont été perpétrés par le France coloniale durant l’occupation. Intervenant, samedi, à l’occasion du 51e anniversaire de ce triste épisode, Maître Fatma-Zohra Benbraham qui était l’hôte du forum d’El Moudjahid, est revenue longuement sur ces manifestation qui, dit-elle, ont, durant trois jours ébranlé le monde. Documents à l’appui, la conférencière a précisé que tout a commencé le 10 décembre lorsqu’une bagarre a éclaté entre «musulmans et Européens» à la rue d’Isly considérée comme le fief de ces derniers. «Les musulmans comme on les surnommait, alors, avaient organisé une manifestation pacifique qui les avaient menés jusqu’à ce quartier chic.
Les contre-manifestants, qui étaient tous des ultras, leur ont barré la route en faisant usage de leurs armes, tuant ceux qui étaient en tête du cortège», a-t-elle indiqué. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre puisque dans les heures qui suivirent, des milliers d’Algériens se dirigèrent vers Belcourt aux cris de «Lagaillarde au poteau», «Abbas au pouvoir», «Algérie algérienne» et «Rencontre De Gaulle – Abbas». Des balcons où ils avaient pris position, des ultras ont tiré sur la foule, tuant trois Algériens dont un enfant. Le lendemain, c’est-à-dire le dimanche 11 Décembre 1960, tout Alger fut en ébullition. Le Clos Salembier, Diar Essaâda, Kouba, Belcourt, Champ de manoeuvres, tous les habitants de ces quartiers descendirent dans la rue pour crier leur colère et dénoncer les exactions de la France coloniale.
Les habitants de la Casbah qui avaient passé la nuit à confectionner des drapeaux aux couleurs nationales et toutes sortes de banderoles hostiles aux partisans de l’Algérie française, se joignirent, à leur tour, aux manifestants, suivis par ceux des quartiers de Bab El Oued et du Frais-Vallon, un enfant qui s’était égaré a été intercepté par un groupe d’Européens qui le battirent à mort. Maître Fatma Benbraham se souvient encore de ces femmes des quartiers de la Casbah qui ont fait passer au nez et à la barbe des forces de l’occupation des centaines de mètres carrés de tissus vert et blanc pour confectionner, au cours de la nuit, des milliers de drapeaux. «Le tissu était acheté auprès de Omar Ben Kanoun, qui avait son magasin à l’entrée de la Casbah. En quelque heures les femmes ont tout pris, sans éveiller le moindre soupçon» a-t-elle déclaré. Quant aux magasins de droguerie, ils ont écoulé tous les manches à balai qu’ils avaient en stock, que les manifestants ont achetés. L’invitée du forum d’El Moudjahid n’a pas oublié, non plus, toutes ces femmes qui avaient abandonné leur haïk pour porter soit une jupe, soit un tailleur. De même qu’elle n’a pas oublié tous ces morts, parmi lesquels des centaines d’enfants fauchés à la mitrailleuse alors qu’ils avaient à peine dix ans. «Consigne a été donné pour nettoyer à la mitraillette des manifestants dont beaucoup étaient des enfants qui avaient entre huit et 16 ans». Selon elle, «les manifestations du 11 décembre 1960 n’ont pas encore livré tous leurs secrets et leurs lots de morts. Beaucoup de personnes y ont laissé leur vie. Les blessés ont été achevés pendant qu’on les transportait à l’hôpital. Des dizaines ont été portés disparus. Quant aux enfants morts lors de ces manifestations, on n’en connaît malheureusement, pas exactement leur nombre», a-t-elle ajouté. Qualifiant ces événements de moments glorieux qui ont ébranlé le monde, Maître Fatma-Zohra Benbraham appelle toutes les personnes de bonne volonté afin qu’elles fassent des recherches pour donner à cette date la dimension qu’elle mérite.