Iguersafen (Tizi-Ouzou) : la leçon d’écologie et de solidarité villageoise

Iguersafen (Tizi-Ouzou) : la leçon d’écologie et de solidarité villageoise

Incrusté dans un écrin de verdure à environ 1000 m d’altitude, le village Iguersafene, relevant de la commune d’Idjeur (daïra de Bouzguene), à une soixantaine de kilomètres à l’extrême Est de la wilaya de Tizi-Ouzou, est un exemple de solidarité villageoise et de respect de l’environnement.

En cet automne particulièrement chaud, cette agglomération de 4500 âmes, dont le nom Iguersafene signifie étymologiquement entre deux rivières (en l’occurrence Assif Aït Hendis et Assif n’Abd Laali), profite des derniers rayons du soleil, respirant à plein poumons l’air frais de la forêt de l’Akfadou qui l’accueille dans son giron.

Quittant la ville d’Azazga, la route sinueuse vers Iguersafene, lauréat du premier prix du village le plus propre de la wilaya (édition 2014) décerné par l’APW de Tizi-Ouzou, se déroule à travers de beaux paysages. Les dépotoirs sauvages disparaissent comme par enchantement.

Un panneau sur lequel est écrit « soyez les bienvenus au village des 99 martyrs, Iguersafene », accueille les visiteurs.

La place du village, qui domine une grande partie de l’agglomération, aménagée en moins d’une semaine par les villageois, sent encore la peinture fraîche.

La route principale qui dessert Iguersafene, descend vers une fontaine, superbement décorée de fausses pierres taillées et de faïence multicolore et embellie par des pots de fleurs.

A Iguersafene, qui a célébré ce week-end le 60ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale et son prix du village le plus propre, chaque coin rappelle l’engagement des habitants pour le bien-être de la communauté à travers des actions de protection de l’environnement et de salubrité publique.

« Chez nous, la préservation de l’environnement ne se limite pas à des discours tenus dans des salles, mais c’est un travail quotidien et des actions qui se traduisent immédiatement sur le terrain par des projets concrets », témoigne Bakour Ali, président du comité de village.

Ces actions sont visibles à travers toute l’agglomération où le visiteur, dès son arrivée au village, découvre la propreté des ruelles. Même pas le moindre petit bout de papier, ni mégot traînant par terre. Des corbeilles sont placées un peu partout, à cet effet, le long des trottoirs plantés d’arbres ornementaux.

Des poubelles pour le tri sélectif des déchets sont également proposées à chaque groupe d’habitations. Si ces contenants sont tous de même couleur, des affiches y sont collées pour y désigner le type de déchet à y déposer. Une idée « simple et efficace », selon les habitants rencontrés sur place.

Le comité de village, épaulé par l’association écologique locale « Alma vert », ne s’est pas arrêté au tri sélectif des déchets, puisqu’il se soucie aussi de leur destination. Après avoir réalisé un centre de tri, ces deux organisations ont trouvé un récupérateur pour le plastique, particulièrement pour les bouteilles d’eau et de boissons. « Nous avons constaté que sur les déchets recyclables le matériau le plus présent est le plastique qui est aussi très dangereux pour l’environnement, car non biodégradable », a indiqué Mohelbi Karim, membre de l’association « Alma Vert ».

L’argent récupéré de la vente de ce produit est versé à la caisse du village qui l’emploie dans des actions d’utilité publique. Avec la subvention obtenue au concours Rabah Aïssat du village le plus propre, et qui s’élève à cinq millions de dinars, l’association étudie la possibilité d’acquérir un broyeur pour rentabiliser davantage la vente du plastique.

Objectif : village sans décharge

Poursuivant la visite du village, des bacs en bois qui rappellent des ruches d’abeilles, et posés un peu partout près des habitations et des établissements scolaires, attirent l’attention. Ce sont de petites unités de compostage des déchets biodégradables, indique M. Mohelbi. Un réseau de compostage micro-collectif a été mis en place dans le village en complément du compostage familial pratiqué par certaines familles.

Les membres du comité de village et de l’association « Alma vert » soulignent que leur objectif est de faire d’Iguersafene « un village sans décharge ». Pour ce faire, « nul besoin de chercher et étudier les expériences des autres pays, puisque la solution nous l’avons chez nous », a observé Omar Bessas qui rappelle que « il y a encore quelques années, les villageois en Kabylie, qui vivaient en harmonie avec la nature, pratiquaient le compostage traditionnel dans un coin du jardin réservé spécialement à cet effet, et dont le compost obtenu est ensuite utilisé comme engrais naturel ».

Aujourd’hui, le mode de vie ayant changé, des composteurs ont été installés pour permettre aux familles ne disposant pas de jardins, d’y déposer les déchets biodégradables.

En plus du compostage et du tri sélectif des déchets, le comité de village a décidé de franchir une autre étape, en supprimant définitivement le sachet en plastique. A cet égard, il a été décidé de réhabiliter l’usage du couffin.

« Nous envisageons pour cela de mener une campagne de sensibilisation auprès des habitants. Nous allons aussi nous rapprocher des commerçants pour leur demander de ne plus utiliser les sachets en plastique », a précisé M. Mohelbi.

Le secret de la réussite de toutes ces actions est, selon M Bakour, lié au fait que toutes les décisions concernant le village sont prises par consensus lors des assemblées générales, regroupant pas moins de 1400 villageois, organisées périodiquement pour traiter des affaires de la cité. « Le consensus est nécessaire pour garantir l’adhésion de toute la population à nos actions », a-t-il souligné.

La forêt : le trésor gardé d’Iguersafene

L’arrivée du gaz de ville en 2013 dans le village d’Iguersafene a été accueillie avec beaucoup de soulagement par les villageois qui pourront enfin mettre un terme à la coupe de bois qu’ils pratiquaient, à contre cœur, dans la forêt de l’Akfadou, confie-t-on.

Dans ce village du Djurdjura où les hivers sont rigoureux et la neige souvent au rendez-vous, la population, qui se retrouve parfois coupée du reste du monde lors des tempêtes de neige, n’a d’autre choix que de se rabattre sur le bois pour se chauffer et cuisiner, indique-t-on.

Aujourd’hui, Iguersafene a décidé de rendre à la forêt ce qu’il a reçu d’elle, et de panser ses blessures par des opérations de reboisement qui viennent appuyer celles initiées par la conservation des forêts de Tizi-Ouzou.

A cet effet, une pépinière de plants forestiers a été installée au niveau du cimetière des martyrs du village. Dans cette pépinière, des plants ornementaux et des plantes à fleurs sont également cultivés et sont destinés à embellir le village.

Sous la bénédiction des 99 martyrs et de Zahra Amrane la poseuse de bombe durant la guerre de libération

Sur le même site, un musée érigé à même le cimetière, rend hommage aux enfants du village tombés au champ d’honneur. Les photos des martyrs tapissent les murs de la petite structure, érigée par les villageois avec la force de leurs bras et financée par la caisse du village. « Toutes nos actions sont dédiées aux martyrs qui sont tombés au champ d’honneur pour que nous puissions, aujourd’hui, vivre libres. Nous continuons leur combat en préservant cette terre qu’ils ont arrosée de leur sang et qu’ils nous ont léguée », rappelle M. Arkoub.

Un document imprimé, comportant un texte et une photo en noir et blanc, est montré avec insistance par les villageois. Il s’agit d’un portrait de Amrane Zahra, dite Malika, une enfant du village, poseuse de bombe durant la guerre de libération nationale (1959/1960).

C’est avec beaucoup de fierté que les villageois évoquent cette grande moudjahida.

Veuve du Moudjahid Krim Rabah, chef de la zone IV, wilaya IV Historique, Amrane Zahra, est née le 03 avril 1939 à Bouzguene. Alors qu’elle était lycéenne, elle décide d’abandonner ses études pour rejoindre le maquis, fin 1956, pour devenir dès 1957 infirmière en zone III, wilaya III, sous les ordres de Mohand Oulhadj, qui était commandant, à cette époque, et du capitaine Si Abdallah, et ce, jusqu’à la fin de l’année 1958.

Sa mission de poseuse de bombe commence en 1959, année de son affectation à la zone IV (wilaya IV). Le 24 septembre 1959, elle a posé deux bombes aux « Galeries de France » ayant fait 32 morts et 56 blessés. En octobre de la même année, elle pose deux autres bombes à la gare d’Alger. Bilan : 18 morts et 43 blessés. Puis, entre novembre 1959 et le 19 mars 1960, elle a posé d’autres bombes au magasin Bata de la rue « d’Isley », (Alger), au portail d’entrée de la faculté centrale, à la gare de Maison Carrée et dans le taxi d’André Monico, faisant plusieurs blessés et des dégâts matériels importants. Elle assurait le transport des bombes de la zone IV (région de Boghni) ainsi que leur réglage.

Elle est décédée le 07 mars 2005.

La réussite du village d’Iguersafene à améliorer le cadre de vie de ses habitants qui vivent dans l’harmonie et la convivialité, tout en préservant l’environnement, ne laisse pas indifférent le visiteur. Cette réussite mérite d’être méditée. Pour ses enfants, il n’y a pas de solution miracle à cela, si ce n’est la volonté, l’union et la solidarité villageoise.

(Par Demri Madjda)