Le ministre des Affaires étrangères soudanais, Ibrahim Ghandour a rappelé dans cet entretien qu’il nous a accordé le degré de gravité de la crise libyenne sur son pays, affirmant en marge de sa participation à la 11e session des pays voisins de la Libye tenue à Alger que le maréchal Khalifa Haftar était impliqué dans l’approvisionnement d’armes au profit des mouvements rebelles à Darfour, ajoutant qu’il n’existait pas de divergence entre le Soudan et le maréchal sauf sur ce dossier.
Par ailleurs, il a refusé de traiter les Frères musulmans de terroristes, évoquant également les perspectives de coopération avec l’Algérie, surtout en ce qui concerne l’importance des viandes de Khartoum.
Quel diagnostic avez-vous fait de la crise libyenne en marge de votre participation à la 11e session des pays voisins de la Libye? Quels efforts compte votre déployer à la faveur du règlement de la crise?
La réunion d’Alger était un succès. Notre participation émane de notre profond intérêt à la problématique libyenne, du fait que la Libye est un pays frère souffrant depuis des années des divisions et des guerres ayant provoqué la mort à des innocents. Ce qui se passe dans ce pays pourrait favoriser la prolifération des terroristes dans la région arabe et africaine. A cet effet, les pays voisins de la Libye ont un rôle majeur à jouer pour résoudre la crise libyenne. C’est pourquoi nous avons décidé de prendre part à cette réunion, dont notre participation est axée sur trois principes: – l’unité de la Libye est au-dessus de tout.
– La solution de la crise libyenne est entre les mains des Libyens eux-mêmes.
– Nous devons faire de notre mieux aider pour aider nos frères.
Le Soudan ne ménage aucun effort pour aider la Libye. Nous coordonnons et soutenons le gouvernement légitime de Tripoli et nous veillons au grain au niveau de nos frontières avec ce pays, comme le fait l’Algérie. Nous soutenons les Libyens aussi bien au plan sanitaire qu’au plan humain.
Vous aviez parlé de l’impact de la crise libyenne à l’intérieur du Soudan. Vous référez-vous aux événements de Darfour?
Effectivement, la question est très dangereuse. D’ailleurs, Fayez Al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale de la Libye et le ministre libyen des affaires étrangères n’ont de cesse de le répéter lors des rencontres internationales à New York, Addis-Abeba, Johannesburg et en Jordanie. Le danger réside dans le fait que les mouvements rebelles chassés et vaincus à Darfour ont trouvé refuge en Libye, et où ils sont utilisés par certaines parties contre leurs adversaires. Des Libyens eux-mêmes se plaignent de ces mouvements qui s’accroissent, dont leurs éléments sont devenus des brigands.
Sur ce, nous redoutons deux faits : – le retour de ces mouvements à Darfour et rouvrir les plaies que nous avions cicatrisées pacifiquement et le danger qu’ils représentent en Libye.
Quand la paix se réinstalle en Libye, ces mouvements deviennent une sorte d’explosif et ils n’auront devant eux que deux options : – le retour à Darfour, ce qui affectera le Soudan, la Libye et les pays de voisinage, le Tchad et surtout le Niger.
– Leur installation en Libye devrait menacer la vie de la population locale.
C’est pourquoi nous avons mis l’accent sur la nécessité de désarmer ces groupes, dont les citoyens soudanais peuvent revenir au pays conformément à l’amnistie décrétée par le Président, ou de rester en Libye en tant que citoyens et être des acteurs dans la société libyenne.
Nombreux sont ceux qui accusent votre gouvernement d’avoir pris parti en Libye au détriment d’un autre. Autrement dit, on vous accuse d’avoir contribué à l’armement de votre allié, l’ancien chef du gouvernement de salut national libyen, Khalifa Ghweil au détriment du gouvernement basé à l’est. Quel est votre commentaire ?
Probablement, vous voulez nous renvoyer à l’incident dont certains parlent et publient des photos d’un avion soudanais transportant des armes, sachant qu’après les enquêtes menées, il s’est avéré que ces faits étaient infondés. Le Soudan soutenait le gouvernement légitime basé à Tobrouk, dont le premier ministre reconnu avait visité le Soudan et s’était entretenu avec les officiels soudanais.
Le président du Parlement libyen, Aqila Salah avait visité le Soudan et discuté avec le président de la République. La dernière rencontre a eu lieu entre Aqila Salah et le président du Parlement soudanais.
En effet, nous traitons avec tous les antagonistes libyens, mais nous reconnaissons le gouvernement reconnu par la communauté internationale.
Notre différend avec Haftar se limite à une seule question ; l’armement des mouvements de Darfour qu’ils utilisent comme armes contre ceux qui ne partagent pas son avis en Libye.
L’Algérie et le Gouvernement d’entente nationale de la Libye ont déclaré que le maréchal Haftar est le commandant général de l’armée libyenne. Etes-vous du même avis ?
Nous reconnaissons tout ce que reconnaît le gouvernement légitime de Tripoli. De ce fait, nous souhaitons que la reconnaissance du parlement s’étende à tous les Libyens. Ainsi, nous serons aux côtés de ceux qui seront aux commandes et à la tête des institutions, y compris le maréchal Haftar.
Il y a beaucoup de convergence au plan politique entre le Soudan et l’Algérie. Peut-elle s’étendre au plan économique, d’autant plus que les investissements algériens dans votre pays restent très maigres en dépit des facilitations. Pourquoi d’après vous?
Je suis tout pleinement d’accord. Nos relations sont plus avancées au plan politique qu’économique, et je crois que la visite en Algérie du Président El Bachir en octobre 2015 où il a rencontré son frère le Président Bouteflika était portée sur ce sujet. Aujourd’hui, il y a des orientations présidentielles pour accorder toutes les facilitations aux investisseurs algériens.
Il y a, en effet, des accords dans les domaines de la production alimentaire, l’agriculture, le gaz, l’électricité et les énergies renouvelables.
Le débat autour de l’importation des viandes de Soudan par l’Algérie revient le plus souvent, dont le ministre de l’Agriculture avait souligné que les prix proposés par le Soudan étaient élevés. Où se situe le problème au juste selon vous ?
Après avoir comparé les prix des viandes établis en Algérie et ceux affichés à l’exportation par le Soudan, j’ai réalisé qu’il y a possibilité de parvenir à des accords sur des prix raisonnables tout en prenant en considération la qualité de nos viandes.
J’ai discuté sur ce sujet avec frère Abdelkader Messahel et nous œuvrerons dans ce sens. Je suis encore persuadé que nous puissions accéder tranquillement dans le marché algérien.
La ligne aérienne Alger – Khartoum n’a toujours pas vu le jour. Pourquoi?
C’est un des points que nous avions débattu avec le ministre Messahel. Nous souhaitons voir Air Algérie atterrir à Khartoum, sachant que la compagnie aérienne tunisienne atterrira prochainement à Khartoum. A ce propos, nous souhaitons qu’il y ait une coordination entre les trois pays de sorte de faciliter le déplacement des Algériens, Tunisiens et Africains.
Le régime soudanais émane historiquement du courant islamique, certains le trouvent plutôt de plus en plus éloigné de la pensée des Frères musulmans. Est-ce vrai ?
L’Islam est en général au Soudan modéré et soufi. En vérité, le gouvernement soudanais n’a à aucun moment été une partie d’extrémisme et ne l’a jamais soutenu.
Certains régimes arabes sont hostiles à l’égard des Frères musulmans. Les trouvez-vous comme groupes terroristes?
Nous pensons que la question des Frères musulmans est vue différemment dans chaque pays. Ils sont des partis distincts. Au Soudan, il y a un parti reconnu « Les Frères musulmans ». Nous n’avons jamais vu en eux des tendances extrémistes, ni des agitations contre l’Etat. Probablement, il existe d’autres qui seraient extrémistes.
Loin des sensibilités politiques, il y a une crise humanitaire au Sud Soudan. Qu’avez-vous fait à cet effet?
Ils sont nos frères et le resteront. Le président Omar El Bachir a une responsabilité morale à l’égard de nos familles au Sud parce qu’il était le président de tous les Soudanais.
Même si les frontières soient fermées du fait que nos frères au Sud n’ont pas appliqué les conventions conclues entre les deux présidents le 27 septembre 2012, le Soudan a ouvert suite à une crise humanitaire et la famine trois points de passage pour acheminer les vivres.
En dépit des conditions qui règnent au Soudan, le pays a fait un don de 20.000 tonnes de maïs et reçu un million de réfugiés.
D’ailleurs, le président de la République a ordonné de les accueillir en tant que citoyens jouissant des mêmes droits que le citoyen soudanais, dont la liberté de circulation, droit de résistance, droit de travail et de propriété, sachant que le Soudan est la première destination des Sud-Soudanais.