C’était le 24 février 1971. Le deuxième président algérien, feu Boumediène, avait surpris le monde par son fameux «nous avons décidé !». La mesure avait provoqué une crise diplomatique avec la France. Pour une provocation, c’en était une. A la limite d’un casus belli.
A l’époque, la guerre froide battait son plein, l’Algérie militait pour un nouvel ordre économique mondial et une répartition équitable des richesses. Elle avait gagné la bataille des «nationalisations» où les multinationales disputaient la vedette à la diplomatie et aux services de renseignement. La prise du risque était néanmoins à la hauteur de l’enjeu. Les programmes de développement lancés par le gouvernement nécessitaient la mobilisation de sommes d’argent qu’on n’avait pas. Le recouvrement de la souveraineté sur les richesses du sous-sol avait fait l’affaire, mais non sans fracas. En effet, l’Etat avait confié le monopole sur l’exercice des activités pétrolières à la Sonatrach, à travers l’exclusivité sur les permis de recherche et les concessions d’exploitation. La compagnie nationale fut ainsi imposée comme associée majoritaire avec au moins 51% des actifs dans tous les projets de recherche et de production des hydrocarbures liquides et ses partenaires étrangers furent obligés de constituer, pour des raisons fiscales, des sociétés de droit algérien. Il s’agissait de l’abolition des accords passés avec la France en 1962 et 1965, des accords plutôt favorables aux compagnies françaises. Cette nationalisation, si elle avait balisé le terrain aux géants énergétiques anglo-saxons, avait surtout multiplié les recettes engrangées dans l’exportation du gaz et du pétrole. Des recettes qui continuent de nourrir les Algériens à défaut d’industrialiser le pays comme le souhaitaient Boumediene et son équipe.
Hugo Chavez a fait reculer Bouteflika
Quand Bouteflika avait accédé à la magistrature suprême en 1999, l’Algérie avait déjà survécu à une multitude de crises. Elle avait subi de plein fouet, l’effondrement des cours du baril et du dollar en 1986 avant de sombrer dans une guerre civile, une décennie durant. Lui et son équipe ont eu la chance de travailler dans une embellie financière due à une hausse vertigineuse des prix du baril. Ils ont essayé d’ouvrir davantage l’économie à l’initiative privée et ont fait de l’adhésion à l’OMC un cheval de bataille, promu comme un gage à l’amélioration de la compétitivité des entreprises algériennes. Le «double pricing» du gaz (à l’international et au local) étant l’un des obstacles qui bloque cette adhésion, l’amendement de la loi sur les hydrocarbures s’était imposé comme une priorité. Vint alors la loi n°05-07. Les articles 9 et 10 établissant les prix des produits pétroliers et du gaz naturel sur le marché national sont une réponse aux demandes formulées par certains membres de l’OMC. Chakib Khelil, ministre de l’Energie de l’époque et promoteur de cette loi, avait puisé dans la littérature libérale pour formuler ses arguments : «Inefficacité du monopole, nécessité de la concurrence, attractivité du secteur, récupération par l’État de ses prérogatives, diminution des comportements rentiers…». Sa rhétorique de circonstance ne prêtait à aucune confusion : «Vu l’abondance des ressources pétrolières dans le monde et la vive concurrence que se livrent les pays exportateurs, l’Algérie doit ouvrir son domaine minier aux investisseurs étrangers pour pouvoir préserver sa part du marché.». Cette libéralisation du secteur, contestée par Ali Benflis, alors chef du gouvernement, a été entreprise grâce à l’assistance technique de la Banque mondiale. La loi dite de «Chakib Khelil» avait surtout supprimé le monopole de l’État – et de facto la Sonatrach – sur les activités de recherche et de production des hydrocarbures. Elle a remis en cause la mesure phare de la nationalisation : l’«obligation d’association avec la Sonatrach». Cette libéralisation a aussi suscité une levée de boucliers, en Algérie et au sein de certains pays de l’OPEP car, pouvant les impacter directement. Chakib Khelil qui a eu au moins le mérite de débattre le projet de loi dans des ateliers organisés à travers plusieurs universités du pays, n’avait pas eu l’occasion d’en faire de même avec les députés. Bouteflika l’avait promulgué à la faveur d’une ordonnance le 28 avril 2005.
Toutefois, s’était rétracté, trois mois après, par une autre ordonnance, pour rétablir le rôle de la Sonatrach comme acteur principal garantissant le monopole de l’État dans le secteur, avec l’obligation d’avoir une participation minimale de 51% dans chaque projet de recherche et de production d’hydrocarbures (ordonnance n°06-10 du 30 juillet 2006). La pression politique et syndicale et celle du Venezuela d’Hugo Chavez (membre de l’OMC depuis 1995, Ndlr) avaient, enfin, eu raison de la volonté de Chakib Khelil & Cie.
L. H.