Hommage à Tahar Amirouchen: « L’homme essentiel de la Wilaya III »

Hommage à Tahar Amirouchen: « L’homme essentiel de la Wilaya III »

Il y a 58 ans le lieutenant Tahar Amirouchen tombait au champ d’honneur dans le Djebel Boutaleb, dans la région de Sétif. C’était le 9 juillet 1959 qu’il trouva la mort au cours de durs combats lors de l’opération «Etincelles».

Né le 7 août 1930 à El Kseur (Béjaïa), le jeune Tahar avait ouvert les yeux, comme de nombreux adolescents sur les réalités de son époque, en suivant autour de lui, les événements et les faits jusqu’aux plus anodins qui le marquèrent pour toujours. Avant d’adhérer au Mtld, il était scout aux côtés de ses aînés, comme Abdelhamid Benzine, Said Sfayah, Khelil Saâdi…Après des études au Cours complémentaire, il devient commis greffier près le tribunal d’El Kseur où il était apprécié par ses chefs, notamment un juge français anticolonialiste et de ses camarades, comme Hocine Salhi, Oukmamou Arezki…

Le groupe d’El Kseur faisait déjà partie de l’élite de la ville. Au déclenchement de la guerre de Libération nationale, le groupe fit partie de la première cellule de la ville. Après son démantèlement, il rejoint les maquis au début de l’année 1956 où Tahar rencontra Amirouche Ait Hamouda. Les deux hommes comprirent aussitôt qu’ils devaient bientôt présider aux destinées de la Wilaya III historique. Tahar était un seigneur de la guerre; il fut l’un des hommes qui ont fait la gloire de la Wilaya III et du colonel Amirouche; il a marqué de son empreinte tous les responsables et tous les combattants qui l’ont approché ou qui, comme moi, ont eu le privilège de collaborer avec lui. Très proche d’Amirouche, on lui doit la mise en place du PC de la Wilaya III historique qui donna un souffle nouveau à l’état-major de la Wilaya III et à l’organisation des archives. Tahar Amirouchen est devenu l’homme essentiel de la Wilaya III qui a eu une chance inouïe de l’avoir dans ses rangs.

Il lui a insufflé un type d’organisation, le choix des hommes, une discipline, à l’image d’Amirouche. Il prenait des initiatives, toujours dans l’intérêt de la révolution. Son action permanente était d’organiser, d’ordonner, de contrôler et de commander. Ce fut un honneur pour moi de l’avoir comme premier chef dans les maquis. Et c’est à ce titre que je devais lui rendre hommage. Alors que j’étais encore adolescent, c’est lui, avec Amirouche qui ont complété mon éducation et ma formation. Avec une taille comme la sienne, de 1m80, il était imposant et avait le sens du commandement et de l’autorité, deux qualités qui étaient innées chez lui. De l’avis des proches de l’état-major de la Wilaya III, il n’avait d’égal qu’Amirouche.

Son comportement, sa ténacité et son acharnement dans l’organisation de la Wilaya III ont fait son aura d’une façon spontanée et ce, jusqu’à ce qu’il tombe au champ d’honneur en juillet 1959. C’était une chance pour moi d’avoir été à ses côtés pendant plusieurs mois, d’avoir combattu à ses côtés, de collaborer avec lui Nous avons pu relever chez lui plusieurs facettes: mystérieux, autoritaire, même à l’égard des commandants, à l’exception de Mira, le seul avec qui il ne s’est jamais entendu. Tous les autres étaient sur le qui-vive devant lui, comme s’ils attendaient des ordres et qu’ils étaient prêts à les exécuter. Nous voyions en lui, un homme plein d’avenir, un tribun et peut-être un futur grand commis de l’Etat dans une Algérie indépendante. Amirouche Ait Hamouda en le découvrant avait trouvé en lui, le collaborateur idéal; il comptait déjà sur lui pour être l’un des cerveaux de la Wilaya III.

Le flair d’Amirouche ne l’a pas trompé. Ils créèrent tous les deux le premier PC de la Wilaya III à Mezouara (Sidi Aich), en même temps que Salhi Hocine. Il est vrai qu’à l’époque, il y avait déjà deux autres responsables aux côtés d’Amirouche, à savoir son frère Hamid Amirouchen et son ami Rachid Tariket qui n’étaient certainement pas étrangers à ce choix, ainsi que Hamid Mahdi et Tayeb Mouri, ses deux gardes du corps. Avec Amirouche, ils faisaient un parfait duo. Ils se complétaient et collaboraient en symbiose, à notre grand bonheur et pour l’intérêt de notre révolution. Tous les deux se sont découvert en commun plusieurs traits de caractère: sentiment patriotique, la fougue dans le combat libérateur, l’esprit d’initiative, un caractère inébranlable, la rigueur et l’art du commandement, le sens de l’autorité, le don de la perfection et un tempérament tenace et infatigable. Tous les deux étaient pondérés et se vouaient un respect mutuel et une confiance absolue, une admiration de l’un pour l’autre sans qu’elle ne soit jamais désavouée; l’estime insoupçonnée entre ces deux grands hommes était sans commune mesure. Ils se comprenaient sans se parler; leur langage était perceptible à leur regard.

Tahar a géré à la perfection le PC de Wilaya. Il en a fait une machine qui fonctionnait bien, malgré l’état de guerre permanent, la vétusté du matériel et toutes les difficultés que nous rencontrions. Malgré les insuffisances, le travail se faisait à merveille. Chacun de nous donnait le meilleur de lui-même et compensait les insuffisances par le souci permanent de bien faire, par la foi du combat libérateur et par l’esprit de sacrifice. Chacun de nous se sentait responsable de la réussite de la mission du PC de la Wilaya III. Tahar Amirouchen était conscient du rôle qu’il devait jouer en Wilaya III et il le prit à bras-le-corps. Conseiller politique avisé, Amirouche l’appréciait. Soucieux du bon fonctionnement des structures de la Wilaya, il prenait la liberté de rédiger des notes et de les adresser aux responsables des Zones et aux membres du Conseil de la Wilaya, le tout bien sûr dans l’esprit du colonel Amirouche.

Le colonel Mohamedi Said, le tout nouveau chef de la Wilaya III, était cantonné dans la région de l’ex-Fort-National, à cause de sa corpulence qui l’empêchait de se déplacer et de se mouvoir allègrement en cas d’accrochage ou d’alerte. Il fallait compenser son absence sur le terrain par une activité intense du commandant Amirouche et Tahar Amirouchen. De l’allure princière de Si Tahar se dégageait la confiance, la sérénité. Malgré son aspect autoritaire, sa droiture et sa démarche lente et confiante, nous avions remarqué chez lui, la modestie, la politesse, l’amabilité et une humilité perceptible. En somme, l’homme avait un gant de velours dans une main de fer, tout à fait à l’image d’Amirouche.

Il était à la fois mystérieux et réservé que seuls quelques compagnons au PC arrivaient à lui arracher un sourire qui disparaît aussitôt à l’image d’un rayon de soleil à travers un nuage, au moment d’une éclaircie. Ses compagnons qu’il respectait le plus par rapport à leur âge, comme Hamel Lamara, Amyoud Smail, Ferhani Abdenour, Aissani Md Said, Maître Youcef Benabid; il les considérait comme ses égaux et il voulait qu’ils ne souffrent d’aucune autorité qui pèserait sur eux; leur âge, leur culture et leur modestie y étaient pour quelque chose! Nous sentions chez lui et pour eux, un respect, une amitié et peut-être une complicité.

Ensemble, nous constituions l’équipe du PC de la Wilaya III à notre grand bonheur et au grand bonheur d’Amirouche. Cette atmosphère, cette ambiance allait susciter chez toute l’équipe, un travail de qualité, une répercussion de bon aloi à travers la Wilaya III qui forcera l’admiration de l’ennemi en la situant au sommet de la révolution. Il organisa la circulation de l’information en amont et en aval, comme les notes, les tracts, les instructions, les rapports et analyses et ce jusqu’à la mort du colonel Amirouche. Alors, il devint l’ombre de notre ancien chef de Wilaya et atténuait quelque peu, cette perte immense.

A l’arrivée du commandant Abderahmane, l’ambiance avait changé au niveau du PC. Ne pouvant supporter ce désaccord avec le nouvel arrivant de Tunis, il obtint sa mutation vers les Aurès où il tomba au champ d’honneur dès son arrivée. Aujourd’hui, ses compagnons se remémorent son souvenir avec beaucoup d’émotion. Il a laissé en nous, l’image d’un chef, d’un redoutable guerrier. Et c’est pour toutes ces considérations que je lui consacre un livre, à titre d’hommage, et qui sera le 9ème de mes publications. Il est intitulé «Tahar Amirouchen, l’homme essentiel de la Wilaya III».

Janvier 1957 à Mezouara (Akfadou): Tahar Amirouchen, secrétaire général du PC de la Wilaya III historique.