Ingénieur, ancien vice-président de Sonatrach (1972-1975), consultant international, Hocine Malti fait partie des rares cadres algériens qui possèdent l’expertise, l’expérience et le vécu indispensables pour raconter la saga des hydrocarbures en Algérie.
Auteur du livre Histoire secrète du pétrole algérien, Hocine Malti répond aux questions de DNA. Lire également : Belkacem Nabi, Sonatrach, El Paso et les 150 milliards « perdus » par l’Algérie /Larbi Belkeir voulait une prison à Hassi Messaoud, Belaid Abdesselam a dit non.
Dans un livre passionnant sur l’histoire du pétrole algérien, Malti raconte la découverte du pétrole dans les années 50, le bras de fer entre Boumediene et les Français pour récupérer les richesses pétrolières du pays, la naissance et le développement de Sonatrach devenue un Etat dans l’Etat, la mainmise des compagnies américaines sur les gisements du pétrole et du gaz dans le sud, les scandales de corruption qui ont jalonné cette entreprise et l’accaparement par une caste de dirigeants algériens de la rente pétrolière.
DNA : Est-ce le scandale de corruption qui a éclaboussé Sonatrach en janvier 2010 qui vous a incité à rédiger ce livre?
Hocine Malti : Ce n’est pas le scandale dévoilé en janvier dernier qui m’a poussé à faire ce livre. Ce qui m’a motivé c’est, d’une part, faire connaître aux Algériens l’histoire du pétrole de leur pays qui a, en grande partie, modelé l’Histoire récente du pays lui-même.
Je voulais, d’autre part, dénoncer les agissements des hommes du régime, ceux en place depuis 1990 tout particulièrement, qui se sont accaparés des richesses pétrolières et qui les utilisent à des fins purement personnelles, à savoir : se maintenir au pouvoir, s’enrichir et enrichir leur entourage au détriment des intérêts du pays et du peuple.
Vous évoquez la théorie du « Dutch Disease ». C’est quoi le Dutch Disease appliqué à l’Algérie?
Le Dutch disease, c’est comme je l’ai expliqué dans l’introduction du livre, l’irruption brusque dans l’économie d’un pays d’une nouvelle richesse, qui vient perturber cette économie et y provoquer de graves disfonctionnements.
Dans le cas de l’Algérie cette richesse c’est le pétrole qui, placé entre les mains de dirigeants avides de pouvoir et d’argent, ont transformé l’économie nationale en un énorme bazar dans lequel la production nationale est quasiment absente et dans lequel ne se vendent que des marchandises en provenance de l’étranger.
Comment est née Sonatrach et quels étaient les objectifs de sa création?
Référez-vous au livre lui-même ; vous y trouverez la réponse à la question de savoir comment est née la Sonatrach. Quant aux objectifs qui lui ont été assignés, ils sont dans le nom de la compagnie elle-même : société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures. En un mot, la création de l’outil destiné à mettre en place une industrie pétrolière nationale.
Le 24 février 1971 Boumediene prend les Français de court et décide de nationaliser les hydrocarbures algériens. Comment a été décidé ce coup de force? Bouteflika a-t-il été tenu au courant de cette nationalisation?
La réponse à la question se trouve dans le livre également. C’est tout un chapitre, le chapitre 8, qui explique pourquoi le président Boumediene en est arrivé à décider la nationalisation totale ou partielle du secteur des hydrocarbures le 24 février 1971.
Lui-même en a d’ailleurs donné les raisons dans son discours historique, prononcé devant les cadres de l’UGTA ce même jour et dont je cite quelques extraits dans mon livre. Ceci étant, sachez que l’idée de la nationalisation était dans l’air depuis quelques mois déjà, comme je l’indique dans le livre également.
Je vous rappelle que nous avions reçu une instruction présidentielle en novembre 1970 nous demandant de nous tenir prêts pour une nationalisation prochaine. Bouteflika ne pouvait donc pas ne pas le savoir.
Savait-il, pour autant, que cela interviendrait le 24 février 1971 ? Je ne crois pas qu’il ait été consulté auparavant par le président Boumediene. Il a dû, je pense, être cependant informé de la teneur du discours quelques instants avant qu’il ne soit prononcé.
En 1974, Sonatrach connait son premier scandale de corruption avec le contrat de gaz signé avec la firme américaine Chemico. Qui étaient derrière cette affaire de corruption?
S’agissant du scandale Chemico, c’est Messaoud Zeghar qui a poussé au choix de la firme américaine pour la réalisation de l’usine de liquéfaction d’Arzew, dénommée Jumbo GNL en raison de sa taille.
Il aurait perçu une commission – qu’il a d’ailleurs remboursée – de 2 750 000 dollars dans cette affaire. A ma connaissance, il était le seul bénéficiaire des « largesses » de Chemico.
En 1979, Belkacem Nabi est désigné par le président Chadli comme ministre de l’Energie. Dans votre livre vous dites « on aurait dit que Nabi était arrivé chargé d’une mission particulière, celle de tout casser, de tout détruire ». Par vengeance? Par incompétence?
La réponse à la question est : par vengeance, certainement, par jalousie vis-à-vis de ceux qui étaient en place, probablement, mais aussi et surtout pour mettre en application la politique pro française du régime des DAF (déserteurs de l’armée française), véritables détenteurs du pouvoir déjà à l’époque.
Arrivé au pouvoir en 1999, Bouteflika nomme Chakib Khelil patron des hydrocarbures. Est-ce un cadeau offert aux Américains?
En 1999, Bouteflika a été mal élu. Souvenez-vous que les autres prétendants s’étaient retirés de la course à la présidence la veille du scrutin. Il a très mal vécu la chose, ce qui explique pourquoi il n’a cessé de répéter qu’il n’était pas un trois quart de président.
Voulant s’affirmer vis-à-vis du groupe de généraux qui l’avaient fait roi, mais désireux aussi de jouir auprès du président américain George W. Bush du même prestige que celui accordé au président égyptien ou au monarque saoudien, il a cherché d’emblée à favoriser les intérêts américains dans le secteur qui les intéresse le plus, celui des hydrocarbures. D’où son choix de nommer son ami d’enfance et citoyen américain qui plus est, Chakib Khelil au ministère de l’Energie.
Mauvais manager, piètre politicien, extrêmement rancunier, fuyant ses responsabilités devant à chaque couac, Khelil est pourtant resté 10 ans à la tête du secteur. Comment expliquer cette longévité?
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce qu’il fermait les yeux sur toutes les magouilles auxquelles se sont livrés les hommes du pouvoir, civils et militaires, dans le secteur des hydrocarbures, Chakib Khelil était devenu indispensable, intouchable et « indégommable ». Seuls un scandale comme celui dévoilé en janvier dernier et les règlements de comptes internes au régime pouvaient avoir raison de lui, ce qui advint au mois de mai.
La loi sur les hydrocarbures élaborée par Chakib Khelil a été concoctée avec l’aide des Américains. Quels était les vrais objectifs de cette loi?
La loi scélérate sur les hydrocarbures mise au point par Chakib Khelil avait pour objectif de placer tous les gisements de pétrole et de gaz sous contrôle étranger, celui des compagnies américaines tout particulièrement, comme le voulait la Maison Blanche.
Adoptée à la hussarde en mars 2005, cette loi a finalement été retirée en 2006. Comment expliquer cette volte-face?
La réponse à la question se trouve dans le livre.
Vous dites que Sonatrach est un grand corps malade. Comment cette compagnie classée 10eme au rang mondiale est-elle devenue un corps malade?
La Sonatrach est un grand corps (10è compagnie au monde, comme vous dites), malade cependant car gangréné par la corruption. Très rares sont les contrats de réalisation de projets, d’achat de matériel ou de prestations de services qui ne font pas l’objet de versement de pots-de-vin.
De leur côté, les cadres supérieurs ont été brimés et bridés par la politique sectaire de Khelil. Ils avaient peur de parler, de dénoncer les erreurs de gestion ou les pratiques mafieuses qu’ils constataient. La presse a rapporté que l’ex-PDG, Mohamed Meziane lui-même, aurait déclaré aux enquêteurs et au juge d’instruction qu’il n’avait pas droit à la parole dans les choix opérés par son ministre
. Quant aux techniciens supérieurs et cadres moyens, on a l’impression que la politique mise en place consistait à les faire partir afin de les remplacer par des étrangers, en leur versant, entre autres, des salaires ridicules par rapport à ceux accordés à ces derniers ; tant et si bien qu’ils sont nombreux à avoir quitté la compagnie nationale pour aller se faire embaucher par d’autres sociétés opérant en Algérie. Ils sont également légion ceux qui s’en sont allés marchander leur savoir en Afrique et dans le Golfe.
Comment guérir l’Algérie de ce Dutch Disease?
L’Algérie ne guérira de son mal que lorsqu’un régime véritablement démocratique y sera instauré, avec comme condition préalable que les septuagénaires qui la dirigent quittent définitivement le pouvoir.
Note de la Rédaction : Nous avions convenu avec l’auteur du livre, Hocine Malti, d’un rendez-vous pour réaliser cet entretien. Malheureusement, l’agenda chargé de Mr. Malti ne lui permettait pas de se libérer pour une rencontre avec notre journaliste. Nous avions donc convenu de lui envoyer par écrit les questions. Nous publions ces réponses telles que nous les avions reçues sans que nous ayons la possibilité de le relancer sur certains thèmes.