Maintenant que tu as frayé le chemin pour les générations, repose-toi en paix Da l’Hocine.
Il est des hommes dont la vie est véritablement une leçon, et celle d’Ait Ahmed en est une. Par delà le fait qu’elle est une leçon de courage, de résilience et de combativité, elle est de par sa singularité, son intensité, sa complexité, sa conjugaison de la l’action et la réflexion en même temps, une leçon politique au sens propre du terme. Ainsi, l’une des caractéristiques qui ont distingué Ait Ahmed de ses pairs aussi bien dans le mouvement national qu’après l’indépendance est sa force de propositions, son dynamisme intellectuel et son action. Sa vie se confond avec celle de son idéal, celui de la libération de l’Algérie du joug colonial et sa construction en la dotant d’un État de droit fort à la mesure de son aspiration. En se construisant politiquement et intellectuellement, il construisait la nation algérienne. Il jeta les bases et les valeurs universelles de la jeune nation algérienne à laquelle il a contribué à naître pendant qu’il affaiblissait l’empire colonial. Il est de ceux qui ont compris très vite dans le mouvement national que le système colonial doit être détricoté quelque part, puis sa disparition n’est qu’une question de temps. Et pour cela il faut conjuguer action et réflexion dans le même temps Il est de ceux qui ont atteint leur maturité politique et intellectuelle en ayant encore l’âge d’adolescence.
La vie d’Ait Ahmed et celle de tous les révolutionnaires sont des cas d’école, car en regardant leur parcours surprenants de militants on se rend compte qu’ils étaient tous jeunes pour réaliser les œuvres qu’ils ont faites ! Cela prouve que ce n’est pas l’âge qui fait la maturité d’un homme ou d’une femme, mais plutôt son vécu, le destin auquel il (elle) s’est confronté. Quand on est né sevré de la liberté, nourri du pain de l’humiliation, de parents damnés et dominés, le joug sur les épaules, la maturité déroge à la règle du temps pour obéir à celle des faits. Elle ne suivra pas le cours des ans, mais plutôt celui de l’intensité, de l’épaisseur des faits vécus. La vie de Hocine Ait Ahmed nous enseigne que la maturité, qu’elle soit mentale, intellectuelle ou politique, n’est pas une affaire de l’âge, mais quelque chose qui s’acquiert dans la vie, celle-ci n’étant pas consubstantielle à l’âge, mais au vécu. La maturité n’est pas une donnée naturelle, mais une construction individuelle.
Jeune étudiant au lycée, à fleur d’âge, il abandonna ses cours pour se dévouer à la cause nationale, car l’urgence pour lui fut de rendre sa dignité à ses concitoyennes et concitoyens, de rendre leur liberté à ces millions d’Algériens, de leur permettre de manger à leur faim après avoir été affamés par le pouvoir colonial. L’urgence fut pour lui l’Algérie, ce pays merveilleux confisqué violemment aux siens par l’empire colonial depuis 1827.
Certes, le choix n’était pas facile, mais pour Hocine Ait Ahmed, ayant une vue d’en haut, plaçant tout avant son pays, sa patrie, le choix ne se posait même pas. L’Algérie d’abord, ensuite les études. Et puis, s’engager dans le mouvement national à 16 ans, s’employer énergiquement comme il a fait à démanteler le système colonial, un système vieux comme le monde, n’était pas déjà un cas d’étude, une leçon politique ? Défier une puissance mondiale comme la France à cette époque était pour nombre de personnes dans le monde, et en particulier en Algérie où l’asservissement a atteint les gens dans leur moelle épinière une idée suicidaire. Mais pour Ait Ahmed a été un exercice et une construction politiques. Comprenant que le système colonial est comme un tissu, il suffit de défaire une maille pour que les autres suivent, il mène une action militaire et diplomatique. Son combat ne s’arrête pas là, après avoir libéré le pays du joug colonial, il s’est employé à la libérer du joug de la « mafia politico-financière », pour reprendre l’expression de Boudiaf, qui a mis la main basse sur elle depuis 1962 après le hold politique et bancaire. En sens, la vie de Da l’Hocine est à juste titre une leçon politique qui mérite d’être enseignée. Maintenant que t’as frayé le chemin aux générations, repose toi en paix Da l’Hocine.
Omar Tarmelit