Les cadres sont posés à terre, évidés de leur précieuse toile. Cette vision incroyable d’un Louvre sans tableaux se trouve actuellement dans une petite exposition, «Le Louvre pendant la guerre» : 56 clichés, originaux pour la plupart, inédits pour certains, montrent ce qu’était l’immense musée sous l’Occupation. Écrasé par la marée humaine aujourd’hui, ce fut un bâtiment déserté de ses collections, à moitié fermé, sporadiquement visité par des groupes de militaires allemands.
Issues du fonds du photographe Pierre Jahan, d’archives allemandes, d’images de presse ou de clichés commandés par le Louvre à son administration, les photographies sont à mi-chemin entre le reportage et l’art. Massive et impavide, une Vénus de Milo encordée, prête à être enfermée et cachée pendant des années, symbolise à elle seule cette période trouble. Une Diane à la biche, cachée derrière des sacs de sable et une photo de chars passant devant le Louvre rappellent le contexte cru de la guerre.
On suit le déménagement des œuvres, qui s’organisa dès 1939. Officiellement, c’est pour éviter les pertes dues aux éventuels bombardements que tout, ou presque, partit en province. On voit de gigantesques caisses en bois et des ouvriers qui peinent à les faire entrer dans des camions. Leurs regards durs et tranchés en disent long sur la portée symbolique de cette mise à l’écart du patrimoine français. Si les Allemands ont réclamé l’accès au Louvre et aux collections nationales dès septembre 1940, ils n’ont eu droit qu’à des moulages ou à des œuvres secondaires. La Joconde, la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace furent mises à l’abri, à partir de l’été 1939, au château de Chambord, dans celui de Valençay ou au musée de Montauban.
Tout fut remis en place en 1947
Plusieurs centaines d’objets et 3 690 tableaux manquèrent ainsi au Louvre pendant près de dix ans. Parce qu’il fut longtemps difficile de circuler après la Libération, et que le Louvre avait des problèmes de chauffage, le retour à la normale ne sera, en effet, possible qu’en 1947. Tout fut alors remis en place. Le Louvre estime que le comte Wolff-Metternich, responsable à la Wehrmacht et grand amateur d’art, a joué un rôle « d’allié » des conservateurs français dans leur lutte contre les revendications allemandes.
Par ailleurs, cinq images historiques et inédites retrouvées dans les archives allemandes, à Coblence, dévoilent un autre pan de l’histoire des collections, celles des œuvres spoliées aux familles ou aux marchands d’art juifs.
« Jacques Jaujard, le directeur des Musées de France d’alors, avait pris la décision d’affecter des salles du Louvre pour les spoliations juives. Dans son esprit, c’était une manière de garder une forme de contrôle sur ce qui allait être envoyé en Allemagne. Après guerre, lors des tentatives de restitutions, cette stratégie s’est révélée payante », explique Guillaume Fonkenell, commissaire de l’exposition.
Des clichés passionnants, où l’on aperçoit une partie des collections Rothschild et Kramer, dûment et absurdement étiquetées.
Le Louvre, salle de la Maquette, jusqu’au 31 août.