Les détenus d’opinion, dommage collatéral ou sacrifice inévitable ?

Les détenus d’opinion, dommage collatéral ou sacrifice inévitable ?

C’est avec un amer gout d’inachevé que les Algériens fêtent cette année le troisième anniversaire du Hirak, le soulèvement populaire du 22 février 2019. Un sursaut qui a mis fin aux 20 ans de règne du président Bouteflika.

Un sursaut populaire sans précédent, une structure verticale qui a obligé tous les politiques à se soumettre au dictat du peuple. Le Hirak a charmé avec son pacifisme, son énergie et ses aspirations. Trois ans après, malgré le départ du Bouteflika et de son clan, les Algériens ressassent quand même le gout de l’échec.

Restés au travers de la gorge de chaque Algérien soucieux de ses concitoyens, les détenus d’opinions restent l’une des épines les plus douloureuses d’après le Hirak. « Au début nous demandions la liberté, maintenant nous réclamons la libération des détenus », estiment plusieurs observateurs du mouvement populaire.

L’emprisonnement, souvent injustifié, de plusieurs activistes et militants, d’opposants politiques et de simples citoyens hirakistes, a commencé dès les premiers vendredi du Hirak en 2019. Cette démarche adoptée par les autorités évolue en dents de scie, mais elle a connu des proportions intolérables depuis quelques mois.

La répression durcit

Les aspirations démocratiques et les volontés d’épanouissement et de liberté du Hirak se sont vite heurtées au concept de la « démocratie responsable » mis en avant dernièrement par les discours, mais aussi dans les faits des officiels.

Selon la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), le nombre des personnes en détention, car elles se sont « trop librement » exprimées, était de 330, le 5 février 2022.

Hommes politiques, journalistes, militants associatifs, simples citoyens, parfois même handicapés moteurs, il ne se passe pas un jour sans que l’on entende parler d’une nouvelle arrestation, d’une perquisition, ou bien d’un mandat de dépôt.

De la rue à la prison… puis à la faim

La machine judiciaire s’est mise en branle. Les emprisonnements jugés abusifs se multiplient, et les procès, ainsi que leurs reports, finissent par causer un ras le bol dangereux. Certains détenus d’opinion, dont certains ne demandent que la tenue de leur procès, finissent par jouer leur dernière carte, une carte dangereuse, celle de la gréve de la faim.

Pas moins de 40 détenus d’opinion ont entamé une grève de la faim afin de dénoncer leur incarcération et les poursuites portées à leur encontre, fait savoir Me Abdelghani Badi, fin janvier dernier. Certains dénoncent « les poursuites et les fausses accusations dont ils sont les victimes » tandis que d’autres protestent contre « la prolongation abusive de leur détention provisoire ».

Réaction des autorités ? Le parquet démenti toute grève de la faim dans les établissements pénitenciers, quelques jours après, le ministère de la Justice transfère des détenus d’opinion grévistes vers d’autres prisons du pays. 13 détenus ont été transférés vers la prison de Bouira, 10 autres ont été affectés vers la prison de Berouaguia, dans la wilaya de Médéa.

Dans sa dernière rencontre avec la presse nationale, le président Tebboune s’est penché sur le dossier des libertés. Selon lui, l’Algérie «ne compte aucun détenu d’opinion». Le chef de l’État a expliqué que  «la construction de la démocratie passe par une liberté d’expression réelle et responsable et non pas la liberté de sabotage».