Culture: « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale ».

Culture: « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale ».

Pour la première fois, la série de jeu vidéo à succès Battlefield se déroule pendant la Grande Guerre. France 24 a demandé à un historien spécialiste de cette période de tester ce nouveau volet. Pour lui, les concepteurs sont à côté du sujet.

Spécialiste de la Grande Guerre, le commandant Michaël Bourlet, docteur en histoire contemporaine de l’université Paris-Sorbonne, a accepté de tester Battlefield 1 pour France 24. Sortie le 21 octobre dernier, ce jeu vidéo, développé par le studio suédois DICE et édité par la société américaine Electronic Arts, plonge les gamers en pleine Première Guerre mondiale.

Ses conclusions sont cinglantes. Pour l’auteur du blog les sources de la Grande Guerre, le nouvel épisode de la série à succès Battlefield n’a pas grand chose à voir avec ce qu’ont vécu les soldats durant le conflit mondial.

Michaël Bourlet : « Battlefield 1 n’est pas le premier jeu vidéo qui s’inspire de l’histoire. Mais les jeux sur la Grande Guerre sont plus rares que ceux sur la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Or Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale. Il appartient à une série de jeux de tir à la première personne (FPS). La fidélité aux faits historiques compte peu dans ce type de jeu d’action destiné au grand public. D’ailleurs, aucun historien ne semble avoir été consulté dans sa conception. Seuls des reconstituants et des spécialistes de l’armement ont été sollicités.

« Un grand spectacle sans réalité historique »

En réalité, la Première Guerre mondiale sert de prétexte pour développer un jeu de tir avec des armes, des engins et des environnements nouveaux. Certes, pour patienter pendant le chargement, on peut entendre ou lire quelques commentaires historiques, mal écrits et qui sont bien souvent des raccourcis. L’histoire permet d’enrober le produit et les libertés prises par les concepteurs du jeu sont totalement assumées. Et notamment les contre-sens et erreurs historiques : l’absence des armées françaises et russes, la négligence du front russe, les Américains qui sauvent Amiens au terme de combats urbains inventés pour satisfaire les joueurs.

À ce sujet, les armées se sont rarement battues dans un environnement urbain pendant la Première Guerre mondiale. Elles y ont été contraintes lorsque des villes ont été assiégées, comme à Maubeuge en 1914, ou quand elles ont pris d’assaut des villages pendant la guerre de mouvement dans le Nord et l’Est de la France et en Belgique en 1914 et 1918. La reprise de la ville du Quesnoy, par exemple, dans le Nord en 1918 aurait pu ainsi faire l’objet d’une séquence de jeu. En effet, la ville a été reprise par les Néo-Zélandais. Les assaillants avaient alors escaladé les remparts Vauban à l’aide d’échelles puis livré des combats de rues acharnés contre les soldats de la garnison allemande.

Ma seule expérience avec la série de jeux Battlefield remonte à 2004, où j’avais un peu joué à Battlefield Vietnam. Avec Battlefield 1, j’ai l’impression que sur le fond, il n’y a vraiment rien de nouveau : des équipes de joueurs qui s’affrontent et s’entretuent sur un champ de bataille au moyen d’armes portatives, de canons de campagne, de blindés ou d’aéronefs dans le but de conquérir ou défendre des positions. En revanche, et par rapport à ce que j’ai connu, le jeu offre ici de belles cartes, des graphismes soignés et une belle reconstitution de l’environnement visuel et sonore. En somme, Battlefield est un grand spectacle, mais sans réalité historique. Après tout, on peut accepter l’idée de faire un jeu ayant pour décor la Première Guerre mondiale sans respecter les faits historiques.

« Tout droit sorti d’un épisode de Mad Max »

Toutefois, si on se borne uniquement à la reconstitution du combat pendant la Première Guerre mondiale, là aussi le jeu est également à côté de son sujet. Aucune scène de combat de tranchée n’est reconstituée. Le mode d’action est dynamique et le joueur doit constamment être en mouvement s’il ne veut pas être abattu. Cette mobilité ne correspond évidemment à aucune réalité. Pendant la Première Guerre mondiale, le combat d’infanterie n’est pas un vaste cache-cache dans le no man’s land ! Enfin, quand il est en première ligne, le fantassin ne passe pas tout son temps à combattre. Il s’ennuie, attend, monte la garde, effectue toutes sortes de travaux et de corvées avec le risque de se faire tuer. Le jeu ne dépeint à aucun moment les terribles conditions de vie dans les tranchées. Aux dangers du champ de bataille (tireurs d’élite, bombardements, mines, munitions abandonnées), le combattant est exposé aux intempéries, subit la boue et le ravitaillement aléatoire.

Finalement, avec ce jeu, on est loin de la Première Guerre mondiale. Les passionnés de l’histoire de la Grande Guerre seront évidemment déçus. De plus, à titre personnel, je trouve le jeu ennuyeux et parfois malsain. Je n’ai pas aimé, par exemple, quand on entend dans le jeu « sale boche » ou « on va renvoyer les boches à Berlin » ! J’ai été également surpris d’incarner dans un combat un soldat qui semble avoir existé. Enfin, j’ai eu des difficultés à jouer tant les confusions sont nombreuses. Par exemple, un soldat ottoman peut se faire tirer dessus par un char allemand aux marquage britannique. Très vite, on ne sait plus qui est qui. L’adversaire semble même tout droit sorti d’un épisode de Mad Max. Sans aucun doute, Battlefield ravira les amateurs du jeu de tir. Cependant, il ne leur permettra pas de me mieux appréhender ce qu’a été la réalité du combat pendant la Première Guerre mondiale. Battlefield 1 n’est pas un jeu vidéo sur la Première Guerre mondiale. »