Ali Kahlane : « L’Algérie peut tirer un grand avantage de la blockchain »

Ali Kahlane : « L’Algérie peut tirer un grand avantage de la blockchain »

Ali Kahlane, expert en TIC et Vice-président de « CARE » revient dans cet entretien sur les enjeux de la blockchain à laquelle le Think Tank va consacrer en novembre une de ses matinales, et explique comment les blockchain et les crypto-monnaies peuvent être utiles en Algérie.

Le CARE compte organiser une matinale, le 20 novembre prochain, sur le sujet de la blockchain avec un panel international. Qu’est-ce la blockchain, quelles peuvent être ses applications immédiates dans notre pays?

Historiquement, la blockchain dont l’application la plus connue est le bitcoin (une crypto monnaie parmi près de 950 autres), a été créé en 2008, suite à la crise de subprimes et à la perte de confiance vis-à-vis des banques. Cette technologie a été créée pour ne pas passer par un tiers de confiance, un intermédiaire tel une banque. Il est admis de dire que la blockchain a été créée par un certain Satoshi Nakamoto, dont on est pas sûr de l’identité et, en fait, on ne sait toujours pas si c’est une personne ou un groupe de personnes. Son utilisation en Algérie, pourrait toucher plusieurs secteurs, tels que les banques, les assurances, l’immobilier, la santé, l’énergie, les transports, la politique et les votes en ligne, l’identité virtuelle, la logistique (Supply Chain), le social networking, le stockage cloud, les brevets industriels, la certification des diplômes, la signature électronique, l’identification des objets connectés, la propriété intellectuelle, le commerce équitable, la culture avec l’authentification de tout œuvre… etc.

Comment est perçue la blockchain ? Faut-il l’interdire ?

C’est en fait classique et, le propre de l’être humain, toute innovation, qu’elle soit ou pas technologique, vient d’abord avec son lot de méfiance. A son utilisation réelle, par peur, on la déclare dangereuse. Pour ensuite très vite, se l’accaparer et commencer à la traiter comme une banalité. La blockchain ne fera pas exception à cette règle que le numérique accélère, comme tout le reste, d’une manière exponentielle. C’est effectivement une technologie qu’on a encore du mal appréhender et à comprendre. Car comme toutes les technologies de ces dix dernières années, elle est disruptive. Elle bouleverse l’ordre établi aussi bien dans son fonctionnement que dans sa compréhension. Pour être comprise, elle fait appel à des notions qui sont tout aussi disruptives. Certains pays, qui ont d’abord pensé à interdire la crypto monnaie se sont vite rendu compte qu’ils ne pouvaient pas le faire, du moins pas aussi facilement qu’ils le pensaient. La plupart ont préféré la mise en observation le temps de comprendre sans pour autant arrêter les transactions ou opérations financières sur lesquelles, de toutes les manières, ils ne peuvent pas avoir de prises réelles.

Quel est l’avantage d’utiliser le bitcoin pour un citoyen, en cas de crise par exemple?

Au moment où je vous parle, il y a des pays qui promulguent des lois pour interdire au citoyen de retirer ses économies d’une banque en cas de crise. Tout le monde se rappelle ce qui s’est passé en Grèce où l’Etat a d’abord plafonné le montant à retirer pour ensuite interdire tout retrait, pendant une période. Le bitcoin permet une indépendance totale vis-à-vis de ce type de loi. Le bitcoin n’est pas détenu dans ou par une banque. La crainte d’en voir l’accès interdit par une loi est ainsi inexistante.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’utilisation pratique de la blockchain dans notre pays ?

Je me limiterais uniquement à des exemples de blockchain sans utilisation de bitcoin car ce sont des cas tout à fait réalisables actuellement et tout de suite.

Alger vient de lancer son projet de ville intelligente, “smart cities”. Nous pouvons facilement imaginer la vente de surplus d’énergie produite par des panneaux solaires placés sur le toit d’une maison qui serait vendu à Sonelgaz ou tout simplement à un voisin qui en a plus besoin. Cette opération se fera automatiquement et serait sécurisée au moyen d’un “smart contrat” mis en place par la blockchain, sans aucun intermédiaire.

Les exemples d’applications pratiques et pouvant améliorer la vie de citoyen, foisonnent. La blockchain ne sert pas uniquement à payer, ou à vendre elle peut aussi servir à enregistrer et à sauvegarder des données importantes et sensibles tels les registres des actes de naissance, le cadastre (Le Ghana et le Honduras viennent de le décider), les passeports, la carte Chifa (CNAS, ndlr), le permis de conduire biométrique et plein d’autres données qu’on jugeraient suffisamment importantes pour ce type de sauvegardes qui ont la particularité d’être inaltérable et inviolable.

Enfin, il a été dernièrement évoqué l’utilisation du vote électronique pour nos élections. La blockchain le permet aisément avec une sécurisation totale. En fait il est largement anticipé que la technologie blockchain prendrait à terme, plusieurs fonctions de gouvernance. C’est ainsi qu’en Suisse une ville a été baptisée « Crypto Valley ».

A ce titre, Al Gore, ancien Vice-président US et Prix Nobel de la Paix avait déclaré dernièrement : “Je pense… un jour dans l’univers du blockchain… un algorithme remplacera le fonction du gouvernement…”

Que deviendraient à terme les banques?

Bien que la crypto monnaie est manifestement en concurrence directe avec les banques, ces dernières telles que Goldman Sachs, le Crédit Suisse ou même des assureurs comme Axa ont investi des dizaines de millions de dollars pour intégrer la technologie blockchain dans leur fonctionnement. Les banques misent gros, car elles sont persuadées, malgré tout, d’y trouver leur compte. La crypto monnaie leur permettrait plus de valeurs à moindre coût avec une meilleure fiabilité aussi bien dans le fonctionnement transactionnels que la traçabilité des opérations.

Malgré cette adoption hâtive des banques, ce qui semble d’ailleurs quelque peu contre nature ; d’après tous les spécialistes, aussi bien dans la technologie blockchain, les professionnels de la transformation numérique que les économistes, à terme, les banques devraient disparaître. Cela se ferait d’autant plus vite, si une deuxième crise survient et qu’elle est au moins de la même envergure que celle de 2008. Les gens n’auront définitivement plus confiance dans le système financier classique et iront massivement vers les crypto monnaies. Ceci se ferait encore plus vite si, d’ici là, elles auraient atteint une maturité qui alliera confiance, sécurité et maîtrise technologique.

Comment voyez-vous l’avenir immédiat de la blockchain dans notre pays et dans le monde?

En Algérie ainsi que dans les pays dit musulmans, la facilité d’intégration dans la finance islamique qui interdit l’intermédiaire usurier, va grandement faciliter la popularisation et l’acceptation de la blockchain. Elle est par définition sans intermédiaire avec des frais de traitement dérisoires. Ces frais n’enrichissent personne en particulier puisqu’ils rétribuent tout simplement les “mineurs”. Ce sont ces travailleurs anonymes, en fait des milliers d’ordinateurs interconnectés, qui valident les chaînes de blocs, d’où le nom blockchain. Le bitcoin est intrinsèquement halal.

Dans le monde, la blockchain, dont le bitcoin est l’une des utilisations la plus populaire, va révolutionner l’économie du partage en éliminant les monopoles qui ont tendance à se constituer dans ce domaine tel qu’Uber ou Airbnb.

Si les utilisateurs de l’Internet peuvent effectuer des échanges entre eux de manière sécurisée sans aucun besoin d’intermédiaire financier ou autre, et sans assurance, il me paraît évident que le futur des géants du commerce électronique comme Amazon, eBay et ainsi que les géants des réseaux sociaux comme Facebook est sérieusement menacé. Dans l’histoire de l’humanité, cela va être la première fois qu’on peut éviter totalement un tiers de confiance.