Haut lieu de l’histoire de la révolution, Si tu vas à Ighil Imoula…ombe en ruine.

Haut lieu de l’histoire de la révolution, Si tu vas à Ighil Imoula…ombe en ruine.

Sept années étaient passées, avant que la dignité arrache son droit à l’existence.

Une brise froide soufflait sur le village en ces premières heures des nuits d’octobre. Le mois tirait à sa fin. Un bruit de coups sur les tables, de cris de victoire et autres se laissait entendre de plusieurs mètres du café de la place du village. On ne pouvait rien entendre de ce qui se faisait et se disait aux alentours. Le brouhaha était en fait voulu. Les gens qui jouaient aux dominos et à la tombola dans le café exécutaient en fait une mission. Dans la maison au-dessus, l’histoire accouchait d’une nation, l’Algérie.

C’était une chambre exiguë éclairée à la chandelle. Des personnes s’affairaient à tirer à la ronéo la déclaration qui allait signer l’arrêt de mort du colonialisme et l’avènement d’un grand mouvement de libération des nations opprimées. La déclaration du 1er Novembre après avoir était tapée à la machine par un journaliste, sortait en plusieurs exemplaires de la ronéo pour aller changer l’Histoire.

Quelques heures plus tard, la guerre battait son plein. Le village était mis à feu et à sang par l’armée coloniale. Les maisons étaient systématiquement incendiées. Les habitants frappés, malmenés sur la placette du village et beaucoup étaient emmenés en prison. Le village subissait de plein fouet la haine du colonialisme qui y semait chaque jour la désolation. Les familles comptaient, dans la douleur, mais dignement, leurs morts. Les meilleurs enfants du village étaient mort, et d’autres, aigris par la guerre, arrachaient à l’armée coloniale des victoires mémorables. Sept années étaient passées, avant que la dignité arrache son droit à l’existence. Les enfants du village, sans oublier leurs camarades de combats morts au champ d’honneur, revinrent écrire et raconter l’histoire aux générations futures. Un beau jour du mois de mars, la guerre cessa et les coups de feu se turent.

Ighil Imoula, un demi-siècle plus tard

Par cette journée de fin octobre, le ciel à d’Ighil Imoula était clair. Le village regardait de haut, comme il y a des siècles, la vallée d’Azaghar qui surplombait le Djurdjura. Les gens à la place du village s’affairaient pour préparer un événement capital pour leur village. La célébration du 1er Novembre. C’est dans une des maisons situées juste à la place du village qu’a été tirée la Déclaration du 1er novembre. La maison d’Ali Zamoum reste en effet debout juste repeinte depuis qu’elle est devenue une sorte de musée.

L’on n’y voyait guère de villas qui laisseraient apparaître des signes de richesse. Les anciennes maisons faites de pierres et de terre sont toujours là, debout et fières. Pas de signe d’opulence; juste une posture digne d’un village qui s’est mis au travers d’une des grandes armées du XIXe siècle.

Humblement et dignement, Ighil Imoula resta dans l’oubli, depuis plus d’un demi-siècle. Nna Ouiza, digne mais déçue de la situation actuelle d’Ighil Imoula: «La place de la ronéo est dans un musée.»

L’âme ne vieillit jamais. Le sourire toujours présent, la veuve d’Ali Zamoum nous a ouvert sa maison et son coeur. Ses propos laissaient transparaître une amertume et une déception de l’issue que l’Etat a réservé au village d’Ighil Imoula. «Il ne reste plus rien d’Ighil Imoula», rétorque-t-elle à la question de savoir la différence entre Ighil Imoula du 1er Novembre 1954 et Ighil Imoula 1er Novembre 2013. «Dans la maison où a été tirée la Déclaration du 1 novembre, même les portraits des moudjahidine ont été arrachés. Il n’en reste que les punaises», faisait-elle remarquer, l’air déçu.

Mme Zamoum a, par ailleurs, tiré à boulets rouges sur les pouvoirs publics qui ont abandonné la maison et les machines qui ont servi au tirage de la Déclaration du 1er Novembre. «La maison doit être érigée en musée avec un agent de sécurité. La ronéo et la machine dactylographique doivent être dans un musée et non chez une vieille femme» assène-t-elle.

En effet, n’est-ce pas regrettable que l’objet – d’une valeur historique inestimable – qui a servi au tirage de l’un des textes fondateurs de la République algérienne, un texte qui annonçait que l’Algérie allait être arrachée au joug colonial, se trouve chez une vieille démunie! Terrible est la situation d’après-guerre.

Sur les traces de Kateb Yacine à Ighil Imoula

Les grands se reconnaissent au regard. A Ighil Imoula, tous les villageois âgés connaissent personnellement Kateb Yacine. Les jeunes ont entendu parler de sa présence dans leur village. Comme témoignage vivant de cette présence du grand écrivain algérien dans ce village de la Haute Kabylie, nous n’avons pas trouvé mieux que de l’entendre dire par la dame qui l’accueillait chez-elle lorsqu’il venait en visite pour son mari, Ali Zamoum.

N’na Ouiza parlait avec délectation de ce personnage hors normes. «Oui, il venait toujours ici à Ighil jusqu’en 1989. Yacine aimait ramener ses enfants ici. Il connaissait presque tous les villageois. Il s’était fait adopter comme un fils d’Ighil Imoula» racontait-elle.

«Nous l’avons connu lorsque nous habitions au Télemely, à Alger. Il nous rendait visite aussi lorsque nous avons déménagé à Bouira et il a continué à venir nous voir ici à Ighil. Lorsqu’il a su qu’il avait un fils en Allemagne qui s’appelait Hans, il l’a ramené ici à Ighil Imoula. Il ramenait aussi son autre fils Amazigh qui a continué à nous rendre visite mon mari et moi après la mort de Yacine», racontait N’na Ouiza, laissant les souvenirs remonter. Elle s’est rappelée d’ailleurs d’une anecdote qu’elle nous a racontée. «Je me souviens du jour où mon mari et Yacine ont pleuré des larmes chaudes en apprenant la mort de Che Guevara.»

Le maire en parle avec amertume, mais avec volonté de les améliorer.

En effet, il ne pouvait s’agir d’Ighil Imoula, un demi-siècle après la guerre de Libération nationale sans faire réagir le maire de la commune. Amar Zerrouki débordait de volonté d’améliorer les conditions de vie des citoyens d’Ighil Imoula, en particulier et de Tizi N’tleta, en général. Son désir était aussi grand que son hospitalité et sa courtoisie. Mais cela ne parvenait pas à dissimuler sa déception de la situation de ce village et de sa commune qu’il a jugées comme étant abandonnés.

L’actuel maire affirmait en fait, que le village qui a abrité le tirage de la Déclaration du 1er Novembre était abandonné comme tous les villages de Kabylie qui ont subi le même sort.

Le maire affirmait que la commune de Tizi N’tleta est restée dans l’abandon depuis l’Indépendance. «Ce n’est qu’avec son arrivée en commande, l’an dernier, que des budgets ont été alloués pour l’amélioration du village d’Ighil Imoula.

En effet, dès l’entrée, le visiteur constate la dégradation du chef-lieu, vitrine de toute la commune. Les travaux de réfection des trottoirs ne font en effet que commencer. L’arrêt des fourgons était d’une exiguïté dramatique créant des embouteillages monstres dans la petite ville.

Comme l’avait affirmé M. Zerrouki, les opérations de dallage des ruelles ont commencé, les assainissements ainsi qu’un stade et une maison de jeunes digne de ce nom ont vu leur budget attribué dans le dernier BS (budget supplémentaire).

La Déclaration du 1er Novembre traduite en tamazight

Rédigée dans la langue de Voltaire, «le butin de guerre, comme disait Kateb Yacine, la Déclaration du 1er Novembre n’a pas tardé à être reprise en langue arabe. Mais, il aura fallu attendre une cinquantaine d’années pour qu’elle puisse voir le jour dans la langue parlée du village qui l’a vue sortir de la ronéo. En effet, en 2012, l’Assemblée populaire de wilaya sortante a eu l’ingénieuse idée de la traduire en tamazight.

Tirée en petit et grand format par l’APW dirigée en ce temps par Mahfoud Belabès, la déclaration a été distribuée à travers toutes les administrations et les institutions de l’Etat. Pour l’accrocher sur le mur, cela ne dépendait que de la volonté du responsable. L’initiative a été bien accueillie par les Amazighophones.

Que fait la ronéo chez la vieille dame?

«La ronéo et la machine dactylographique doivent être dans un musée et non chez une vieille femme comme moi», assène Mme Zamoum qui a tiré à boulets rouges sur les pouvoirs publics qui ont abandonné la maison et les machines qui ont servi au tirage de la Déclaration du 1er Novembre.«La maison doit être érigée en musée avec un agent de sécurité», a-t-elle souhaité. Le sort réservé à un objet de valeur comme la ronéo avec laquelle a été tiré le document historique le plus cher aux Algériens à savoir la Déclaration du 1er Novembre 1954, traduit tout l’intérêt que portent les Algériens à leur histoire. Regrettable.