Les prix des principaux produits de base se sont envolés à un rythme anormal. Pour les officiels, c’est une simple conjoncture et il ne faudrait point s’en s’alarmer. Mais pour le CNES, l’UGTA et la Fédération des consommateurs, cela préfigurerait d’une «catastrophe» annoncée risquant de peser lourdement sur le budget des ménages si des solutions diligentes n’étaient pas apportées.
Tous sont unanimes à estimer que le pouvoir régulateur de l’Etat devrait permettre de contenir les dérives et autres abus du marché, d’autant plus que les dépenses massives non contrôlées et les effets pervers d’une inflation peu maîtrisée viennent s’ajouter comme un «cercle vicieux» qui alimente les pratiques sournoises des spéculateurs et leurs réseaux. Protection du pouvoir d’achat, réorganisation des circuits de la distribution commerciale et établissement d’un bilan sur la situation des prix sont quelques pistes suggérées par ces institutions.
La flambée continuelle des prix de large consommation inquiète la plupart des intervenants. La Fédération des consommateurs, le CNES et l’UGTA s’attellent à décortiquer bilans et analyses, au regard de cette soudaine hausse des prix qui pénalise les ménages et rend vulnérable les couches déshéritées des consommateurs.
Au point qu’une simple décision politique paraît, à tous égards, insuffisante, selon certains analystes. D’abord, le CNES qui s’est réuni récemment avec l’UGTA manifeste son incompréhension face à «une situation inadmissible» de cette hausse des prix. Au rythme où va l’inflation, le renchérissement des prix des produits agroalimentaires ne sera que le résultat à attendre.
Pour Mohammed Seghir Babes, président du CNES «la baisse de la production et la spéculation ne sont que les facteurs apparents». Selon lui, «tous les intervenants de la chaîne de spéculation ne sont pas visibles». Ce qui suppose qu’il y a «d’autres manquements et failles qui facilitent ces pratiques».
De leur côté, les représentants de l’UGTA ne font pas dans la dentelle. Ils estiment urgent de convoquer un débat avec tous les acteurs concernés. «Il y a un risque de catastrophe s’il n y a pas une prise en charge réelle de la situation», avertit Mohamed Lakhdar Badredine, ex-président de la Fédération des pétroliers.
Dans la foulée, un comité de réflexion conjoint sur la hausse des produits alimentaires entre CNES et UGTA a été installé. L’idée est de dresser d’abord un bilan sur la situation et d’examiner des pistes pour des recommandations aux pouvoirs publics. Mohamed Seghir Babes fait valoir la thèse «de réinstaurer l’autorité de l’Etat». L’absence, selon ce dernier, «d’un Etat régulateur et stratège» fait courir le risque de faire «durer les pratiques spéculatives».
Alors, dans ce cadre, le président du CNES suggère de « recourir à la révision de certains textes de loi, de procédures et de la réglementation, ainsi que d’«agir autrement pour lutter contre ce phénomène qui pénalise les petites bourses». D’autant que le CNES et l’UGTA sont unanimes à considérer que les éléments «du pacte économique et social n’ont pas tous été mis en œuvre».
M. Bouhali, expert au CNES, préconise de «faire un état des lieux sur toute la situation économique» avant de s’attaquer aux «causes des augmentations des prix». Mais pour M. Bouras, un autre membre du CNES, «c’est l’inflation qui est au cœur de l’ensemble de tout le processus».
Plus simplement, il souligne «la fragilité de la production, la fragilité structurelle dans le système de change et la fragilité structurelle de l’Etat» qui font le lot de ces augmentations. L’approche des salaires est proposée par M. Louati, expert auprès de l’UGTA, qui estime important de «s’attaquer à la révision du SNMG en proposant la révision et la redéfinition du salaire national minimum garanti dans le Code du travail».
LE POUVOIR D’ACHAT FACE À LA RÉGULATION
Le ministre du Commerce soutient que «la hausse des prix est un problème conjoncturel, au moins pour les produits frais dont les prix commencent à connaître une tendance à la baisse». L’autre considération est liée, selon Mustapha Benbada, «à l’amélioration du pouvoir d’achat des Algériens après les augmentations de salaires décidées au profit de larges catégories de travailleurs».
Mais l’argument qui ne prête pas à équivoque est que «les prix de plusieurs produits alimentaires sont aussi liés aux fluctuations des marchés internationaux». A l’inverse, le ministre souligne le caractère impérieux de «la boulimie d’achat qui, à son tour, a provoqué une inflation
C’est un phénomène naturel dans tous les pays du monde». C’est donc le phénomène de la planche à billets qui a conduit inexorablement à la spirale inflationniste et donc à une augmentation des coûts des produits comme conséquence qui devait se traduire par les prix actuels.
La Fédération algérienne des consommateurs (FAC) soutient plutôt le contraire en recommandant d’«activer les leviers de contrôle des produits de large consommation, prévus par la loi sur la concurrence, pour mettre fin à la flambée injustifiée des prix de ces produits.
Selon le communiqué de cette fédération, «la loi sur la concurrence prévoit en cas de perturbation sensible du marché le recours à la fixation, au plafonnement ou à l’homologation des marges et des prix des biens et services afin de lutter contre la spéculation sous toutes ses formes et la préservation du pouvoir d’achat du consommateur».
La loi sur la concurrence, précise la même fédération dans son communiqué, peut permettre au «gouvernement d’intervenir en cas de hausses excessives et injustifiées des prix provoquées, notamment, par une grave perturbation du marché, une calamité, des difficultés durables d’approvisionnement dans un secteur d’activité donné ou une zone géographique déterminée ou par des situations de monopoles naturels».
Dans cette optique, la FAC appelle à la nécessité d’installer le Conseil de la concurrence «qui sera l’autorité de régulation du marché dont la mission première est l’instauration d’une concurrence loyale réglementée entre les opérateurs économiques, et de prendre des mesures pour lutter contre l’inflation».
De plus, il y a une exigence pour «le renforcement du contrôle intersectoriel afin de réduire les effets de la spéculation, l’inondation du marché par les produits qui connaissent une augmentation non justifiée, et cela par le recours à l’importation temporaire, la révision du plafonnement des prix de certains produits de base».
De son côté, l’expert en ressources humaines Mohamed Bahloul partage ces recommandations en appelant «au plafonnement des prix comme cela se fait dans les pays ultra-libéraux en déterminant les marges bénéficiaires». Il impute cette situation au réseau de distribution des produits agricoles notamment qui «comprend plusieurs intervenants» et qui fait que les produits agricoles commercialisés sont achetés au marché de gros en troisième main.
LE RISQUE INFLATIONNISTE PÈSE SUR L’ÉCONOMIE
Dans une étude globale sur l’indice des prix à la consommation sur une période de 10 ans, l’ONS a fait ressortir, dernièrement, un bilan où il est constaté que l’indice qui était en 2002 de 101,43 % se situe en 2011 à 142,4%. Ce qui explique déjà «la tendance haussière de ces indices en tenant compte du taux d’inflation et les taux de consommation des ménages», nous explique un des cadres de l’Office des statistiques.
La surchauffe a touché tous les produits alimentaires, mais les augmentations, les plus importantes, ont concerné les produits agricoles frais (23,63 %). Durant les trois premiers mois de 2012, l’enquête de l’ONS indique que «l’indice des prix à la consommation a pratiquement explosé en atteignant la barre des 9 % comparativement à la même période en 2011».
L’indice des prix à la consommation a connu une très forte hausse estimée à 9,34 % en février 2012 par rapport au même mois de l’année 2011, en raison d’une hausse généralisée des prix des produits agricoles frais qui ont augmenté de 19,27 %. Conséquence, une hausse du rythme d’inflation annuel (février 2011-février 2012) à 5,3 % contre 4,9 % en janvier 2011 (4,5 %).
L’expert économiste Mohamed Mebtoul a toutes les rasions de croire que «la première raison de l’inflation est la non-proportionnalité entre la dépense publique et les impacts économiques et sociaux : 200 milliards de dollars annoncés entre 2004/2009 et 286 milliards de dollars de milliards de dollars entre 2010 et 2014, dont 130 milliards de reste à réaliser des projets de 2004/2011 pour un taux de croissance variant entre 3/4 % (donc plus de 400 milliards de dollars, soit presque le programme de relance US et chinois) ».
Selon cet expert, «il y a évidemment un impact autant sur le taux d’inflation que sur le taux de chômage réel qui est largement supérieur aux taux officiels ». C’est donc pour des rasions dépensières que le spécialiste souligne avec force qu’«une récente étude de l’OCDE montre clairement, parmi certains pays du pourtour méditerranéen, que l’Algérie dépense deux fois plus pour deux fois moins de résultats».
L’autre raison, souligne encore Mohamed Mebtoul, est celle liée à «l’extension de la sphère informelle qui contrôle quatre segments : celui des fruits et légumes, de la viande rouge et blanche, du poisson et du textile-cuir». Il se crée ainsi «l’allongement des circuits de commercialisation, à travers leur désorganisation, entre le producteur et le consommateur, ce qui favorise les rentes de monopole».
D’autres économistes relèvent que «la Banque d’Algérie a fait le choix de laisser glisser le taux de change pour freiner le taux d’inflation tiré vers le haut par les augmentations de salaires et l’accroissement des importations». Le problème est, selon eux, dans les importations. «Le coût de revient de nos produits, dont les intrants sont payés en devises fortes, augmente un peu plus à chaque nouvel approvisionnement en matières premières qui suit l’épuisement des stocks ».
Dossier de Faycal Abdelghani