Que ce soit la presse écrite, la télévision ou le ministère des Transports, tout le monde est unanime sur la question et dénonce ce terrorisme de la route qui fauche des vies humaines par milliers et en handicape des dizaines de milliers d’autres.
Si les statistiques font ressortir que la défaillance humaine est responsable, au premier degré, dans 70% des cas, il reste qu’une défaillance humaine d’une autre nature est également responsable de cette hécatombe. Il s’agit du manque de contrôle et du laxisme des services chargés de faire respecter les dispositions du code la route.
Au cours de notre enquête, nous nous sommes amusés à prendre en
photo des conducteurs en flagrant délit d’infraction. Les photos que nous avons prises auraient être plus nombreuses, certes, et les Algériens, à travers tout le territoire national, ont eu tout le temps de constater l’ampleur du problème.
Le code de la route n’est pas respecté et les raisons sont multiples. Le propos n’est pas de nous substituer aux autorités compétentes, mais de participer à cet effort de sensibilisation, justement, pour tenter de mettre fin à la longue liste des morts, victimes de la route. Que la voiture ou un autocar, en soit la cause, le résultat est le même. Le voyageur qui remet sa vie entre les mains d’un conducteur pressé d’arriver à destination ou qui n’a pas fait des vérifications élémentaires, mérite d’être sécurisé par des gestes simples qui peuvent éviter une catastrophe.
L’Algérien est-il indiscipliné?
Les jeunes, généralement, sont ceux qui commettent le plus d’infractions. Probablement parce qu’inconscients du risque qu’ils font courir aux autres et à eux-mêmes, en «grillant» un stop ou en refusant de céder une priorité. Le commun des mortels mettra à l’index le papa qui a offert à son fils ou à sa fille une voiture alors qu’il n’en connaît pas la valeur, parce que n’ayant rien fait pour la mériter
. Dans certains cas, des témoins jureront que des jeunes n’ont jamais mis les pieds dans une voiture de conduite pour apprendre, exceptée la voiture familiale qui a servi d’atelier d’apprentissage. Nul ne pourra citer leur nombre; ils existent cependant. Quand il est seul face à une plaque qui lui interdit une manœuvre ou qui l’oblige à se conformer à une prescription, et quand il n’y a pas d’agent en vue, le conducteur ne respecte pas la signalisation. Que le conducteur soit jeune ou moins jeune.
La signalisation est «semée» au hasard
Il ne suffit pas de planter des plaques sur un itinéraire pour espérer obtenir l’adhésion du conducteur. Encore faut-il que le choix de l’emplacement réponde à des critères précis comme le schéma de circulation, qu’il soit conforme à ce que le conducteur apprend quand il est élève et que la signalisation soit contrôlée. Il est fréquent de voir, sur nos routes, des panneaux de limite de vitesse. Il est, très rare, cependant de voir un autre panneau y mettre fin.
Un défi est lancé aux responsables chargés de la signalisation afin de compter combien de panneaux de fin de limitation de vitesse, ou de fin d’interdiction de dépasser, suivent ceux qui en font l’interdiction. Est-il raisonnable de voir une interdiction de dépasser ne pas être suivie de fin d’interdiction, d’Oran à Tlemcen, par exemple? Le défi est lancé.
Dans d’autres cas, des panneaux interdisant un demi-tour sont plantés face à des locaux de services de sécurité, police ou autre, ce qui n’empêche pas des voitures faire la manœuvre interdite, et ce toutes les 50 secondes, comme nous nous sommes amusés à le chronométrer. Même chose pour ce sens interdit très emprunté et ne parlons pas de cette limitation de vitesse à 40 km/h sur une voie expresse sur laquelle filent toutes les voitures à, au moins, 90 ou 100 km/h.
Et l’agent de circulation?
Très souvent, des automobilistes ne respectent pas des panneaux de prescription absolue, comme les feux rouges et le stop, sous l’œil de l’uniforme sans que ce dernier réagisse.
Agissant dans l’anonymat, nous avons posé la question à un agent qui constatait l’infraction, sans réagir. «Certes, l’automobiliste ne s’est pas arrêté, mais il ne s’est rien passé» dira-t-il, comme si brûler un feu rouge ne devient une infraction que lorsqu’un accident survient. Un autre agent nous dira qu’il préfère ne pas arrêter le contrevenant car il peut tomber sur une connaissance du chef et prendre le risque de se faire remonter les bretelles, «comme cela est arrivé à un collègue qui a verbalisé un contrevenant».
Debout dans un autre carrefour, nous avons attiré l’attention de l’agent sur une infraction commise par une jeune fille. «Pas question de l’arrêter ou de lui retirer le permis» nous répondra l’agent. Le chef nous reprochera de faire dans la sélectivité. Il est vrai que la fille conduisait un cabriolet, cheveux blonds au vent et musique à fond. «Va l’arrêter», me lança-t-il en guise de défi.
La sensibilisation est inefficace. La dissuasion, alors…
En pleine campagne de sensibilisation contre les dépassements dangereux, le nombre d’accidents est monté en flèche. Et le nombre de victimes, avec. La sensibilisation est inefficace parce que le citoyen ne se sent pas concerné. Tout ceux qui sont au volant se prennent pour des as. Tous rejettent sur l’autre la responsabilité, même quand ils sont en infraction flagrante.
C’est le cas de ce conducteur d’une Mercedes qui enfilait un sens interdit et qui attendait de celui, qui venait dans le bon sens, de faire marche arrière sous prétexte qu’il était déjà engagé! Un autre, qui n’avait pas la priorité, a failli battre un autre qui était dans son droit, parce qu’il avait un gabarit impressionnant. En l’absence de statistiques, et contrairement au port de la ceinture de sécurité qui est globalement respecté, l’usage du téléphone portable est très fréquent au volant. Pour ne pas être alarmiste, nous dirons que 99% des conducteurs ont utilisé, une fois au moins, leur téléphone alors qu’ils conduisaient.
Certains vous diront qu’ils ont répondu à un appel urgent, d’autres qu’ils devaient en passer un, et les autres vous diront «Quelle différence y a-t-il entre parler au téléphone et parler à un ami assis à côté? C’est exactement la même chose!» Quand on en arrive à remettre en cause la loi, ce n’est pas la peine de perdre de l’argent à sensibiliser.
Ce n’est un secret pour personne si on affirmait qu’une grande partie des permis retirés est restituée à ses propriétaires, sur intervention, sur injonction ou moyennant un billet. En regard du volume des accidents, le nombre de permis retirés est dérisoire et laisse penser qu’une grande partie n’atterrit pas sur les bureaux de la commission.
Les écoles de conduite et les examinateurs
Nos écoles de conduite ne sont pas tous blancs comme neige. Très peu de moniteurs s’acquittent sérieusement e consciencieusement de leurs tâches, expliquent aux élèves le sens des panneaux et s’assurent qu’ils ont bien assimilés.
Dans certains cas, le moniteur charge un «bon» élève de faire la classe. Flatté, ce dernier joue le rôle de moniteur et se prend au sérieux. Il s’agit généralement de garçons qui cherchent à en jeter plein la vue aux filles, de plus en plus nombreuses à vouloir obtenir le permis. Restent les examinateurs qui font la loi.
L’Etat des routes laisse à désirer et il est impossible de placer derrière chaque panneau de signalisation un agent de police ou un gendarme. Que faut-il faire pour cesser l’hécatombe qui transforme nos routes en cimetières et nos voitures en cercueils ambulants? Est-il logique qu’un fonctionnaire des mines, l’ingénieur, possède la dernière née des Mercedes, et vienne le jour de l’examen au volant, comme pour défier toute morale? Creuser, dans ce sens, réduirait certainement le nombre d’accidents et préserverait bien des vies.
Miloud Horr