Vingt ans après avoir donné sa première médaille d’or olympique à l’Algérie sur 1 500 m à Barcelone, Hassiba Boulmerka revient sur la participation algérienne aux JO de Londres, qu’elle juge insuffisante. Selon elle « il n’y a pas de politique sportive » dans son pays. Symbole de la lutte pour l’émancipation des femmes du monde arabe, elle apprécie également à sa juste valeur l’autorisation du port du voile lors des compétitons.
« Aussi vrai qu’il est impossible de se rendre à la mosquée en short, il est impossible de courir en hijab ». C’est ce que déclarait en 1992 l’athlète algérienne Hassiba Boulmerka, médaillée d’or sur 1500 m aux JO de Barcelone et menacée de mort dans son pays, en pleine montée de l’islamisme. Nombre d’éditorialistes européens ont repris cette déclaration pour critiquer l’autorisation du port du voile décidée cette année par l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF). Aujourd’hui devenue patronne d’une entreprise pharmaceutique (Hassiba Boulmerka International), à Alger, la championne voit au contraire dans cette décision une victoire. Interview.
Que pensez-vous de la participation algérienne aux JO de Londres ?
Elle n’est pas brillante et cela m’a fait souffrir. Dès le début, j’étais déçue par le faible nombre d’athlètes qui ont réussi à décrocher leur billet. Il n’y a malheureusement pas de politique sportive dans notre pays, la victoire de Taoufik Makhloufi est un exploit personnel. Nos dirigeants gèrent l’athlétisme de manière archaïque, sans professionnalisme. Je suis le fruit de la réforme sportive de 1977, qui a notamment amené les entreprises publiques à financer le développement du sport. Nous avions à l’époque des jeux sportifs nationaux qui permettaient de détecter les athlètes, des infrastructures aux normes internationales dans chaque wilaya (région)… En 1989, cette politique a été cassée elle n’a pas été remplacée, amenant les entreprises publiques à se désengager. Nous avons encore des techniciens de qualité, mais ils ne sont pas sollicités. Et ils font le bonheur des pays du Golfe.
En Algérie, vous n’avez pas encore de successeur sur le 1500 m, et il n’y a plus de sportive symbole de la cause des femmes comme vous l’étiez…
J’ai eu une carrière très difficile. En plus des sacrifices liés à l’entraînement et la pression, j’ai supporté les menaces de mort des islamistes, car je représentais la femme émancipée. Cette image a aussi constitué une pression venant des medias internationaux. Le résultat est que mes victoires étaient pour moi sportives et politiques. Il était question d’« être ou ne pas être ». Quand je gagnais, beaucoup de femmes gagnaient avec moi.
Vingt ans après, certains estiment en Algérie que leur société est plus islamisée que la vie politique…
Je ne le crois pas car les Algériens ont vécu des moments terribles de terrorisme aveugle. Ils s’en sont relevés et ils ne vont pas répéter ces erreurs. Ils savent que ces gens sont les ennemis de la joie et de la vie. C’est vrai qu’il n’est pas facile d’être une femme. On vit dans un pays où il y a beaucoup d’interdits liés à la tradition, à la religion et à la loi, et cela ne laisse pas une grande marge pour l’émancipation d’une femme. Tous les jours, il y a des difficultés, mais des femmes se battent, dans le monde de l’art, du sport, de l’entreprise…
L’IAAF a pris une décision courageuse en prenant à leur jeu les pays du Golfe, qui répètaient depuis des années que, sans voile, la participation de leurs femmes était impossible. L’IAAF a levé l’obstacle et ils n’ont plus d’excuse.
Que pensez-vous de l’autorisation du port du voile décidée pour la première fois lors de ces Jeux ?
C’est très important et positif. Je suis contente que des pays comme l’Arabie Saoudite, le Qatar ou Bruneï aient envoyé des athlètes femmes. Leur participation est plus forte qu’une victoire sportive. L’IAAF a pris une décision courageuse en prenant les pays du Golfe à leur jeu. Ces derniers répètent depuis des années que sans voile, la participation de leurs femmes est impossible. L’IAAF a levé l’obstacle et ils n’ont plus d’excuse. Ma position n’a pas changé par rapport à 1992, mais nous autres Maghrébines n’avons jamais été contraintes par des interdits vestimentaires. Pour ces pays arabes, c’est une victoire qui se fait par étapes. Je dois dire que j’en ai été l’un des déclencheurs, lorsque j’étais à la section « sport et femmes » du Comité international olympique (1996-2000), où j’ai défendu une position « révolutionnaire » : un pays qui n’envoie pas de femme ne peut pas participer aux Jeux.
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Propos recueillis par Saïd Aït Hatrit